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Moyen Orient et Monde - Récit

Être mandéen en 2018 : se réinventer, pour ne pas disparaître...

Hantés par des années de massacres et de persécutions en Irak, les fidèles de cette vieille religion prennent les routes de l’exil, sans perspective de retour.


Illustration Ivan Debs

Amer Dagher Aofi n’a pas remis les pieds en Irak depuis qu’en décembre 2013, sa maison, située dans une localité proche de Falloujah, a été bombardée puis prise d’assaut par l’État islamique. « Quand c’est arrivé, même mes voisins sont venus pour me piller. » Comme lui, des dizaines de milliers de mandéens ont été contraints à l’exil pour fuir les massacres qui perdurent depuis bien avant la conquête de l’organisation au drapeau noir. Si les terres des fidèles de cette vielle religion monothéiste et préjudaïque s’étendent jusqu’à l’est de l’Iran, la République islamique leur garantit un statut officiel depuis 2009. En Irak, seule la ségrégation s’offre à eux.

Quand l’État islamique lance son offensive sur l’Ouest irakien en janvier 2014, les jihadistes ne laissent aux mandéens que le choix de la conversion ou de la mort, comme en attestent les décrets de l’organisation. Par dizaines, les familles installées le long de la ligne de front à l’époque, qui s’étendait du Kurdistan irakien au nord à la plaine de Ninive à l’ouest, n’ont pas eu le temps de fuir. C’en est ainsi des localités de Ramadi, Falloujah et Abou Ghraib, dépouillées par l’EI sur la route de la capitale, Bagdad. Razzias, enlèvements, meurtres, viols, trafic d’organes : la dernière des religions gnostiques encore vivante porte les stigmates de dizaines d’années de persécutions, dont l’apogée a été l’arrivée du « califat » dans le paysage irakien. À tel point que les experts estiment que les mandéens auraient presque disparu du nord de l’Irak, hormis quelques dizaines de déplacés à Kirkouk et Bagdad.

Encore 60 000 au début des années 1990, les mandéens ne seraient plus que 400 familles en Irak aujourd’hui, et entre 10 000 et 80 000 dans le monde entier. Tous les interlocuteurs joints par L’Orient-Le Jour ont constaté la difficulté à s’accorder sur des chiffres précis. Disciples de Jean-Baptiste, ils vivent surtout sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, au sud du pays. « Leur rite consiste à recevoir le baptême une fois par semaine en s’immergeant dans l’eau des fleuves », décrit à L’OLJ Claire Lefort, anthropologue à l’École normale supérieure de Paris. « À cause des persécutions successives, les mandéens ont pris le réflexe de ne pas se mêler aux affaires politiques pour survivre », poursuit la chercheuse. Comme beaucoup les considèrent encore comme « impurs » du fait de l’absence de circoncision chez les garçons, les mandéens sont mis à l’écart dès l’enfance. Et leur langue, le vieil araméen, n’est plus parlée que par une poignée de personnes à travers la région.


(Lire aussi : Joseph Yacoub : Le Moyen-Orient est arabo-musulman et... syriaque)


« Interdit de porter des armes »
Dans un Irak de plus en plus communautaire, les milices chiites qui contrôlent la moitié sud du pays imposent leur diktat de Bagdad à Bassora. Craignant l’acharnement de celles-ci, les mandéens n’ont d’autre choix que de vivre dans l’obscurité. « Pour l’heure, je pratique mes rituels religieux à l’abri des regards », confie Youssef, 24 ans, à L’Orient-Le Jour. « Depuis quelques années j’évite de m’exposer à des groupes extrémistes ou à des factions armées », raconte-t-il depuis Bagdad. Victimes de persécutions quotidiennes en plus des attaques de grande ampleur contre leurs villages, les mandéens se refusent à toute forme de légitime défense. « Nous sommes des cibles faciles, notre religion nous interdit, en plus, de porter des armes », se souvient Suhaib Nashi qui a fui l’Irak il y a 25 ans. Les histoires comme celles de Nowar Hussein Rathi, jeune mandéen kidnappé, torturé puis tué en 2015, après que sa famille a payé une rançon de 50 000 dollars aux milices chiites, abondent. L’Orient-Le Jour a eu accès à des dizaines de documents attestant de cas d’enlèvements en pleine rue ou d’assassinats ciblés, depuis 2014, jusque dans leur chef-lieu d’al-Amara, près de la frontière avec l’Iran, où seules quatre-vingts familles vivraient encore. Suhaib Nashi vit aujourd’hui au New Jersey mais continue de recenser les informations que ses frères mandéens lui font parvenir. « C’est encore pire que d’être persécuté : nous avons toujours été des citoyens de seconde zone », confie-t-il à L’Orient-Le Jour. « Je me souviens, à l’époque où j’étais encore en Irak, sous Saddam (Hussein), il y avait le cas de cette fillette qui avait été violée à l’âge de quinze ans. Le juge que son père est allé voir l’a exhorté d’épouser son bourreau pour se laver de son infidélité de mandéenne. »


(Lire aussi : Annie Laurent : Les chrétiens d’Orient ont besoin de se réapproprier leur vocation)


« Citoyens de seconde zone » sous Saddam
Jusqu’alors ignorés du reste du monde, les mandéens sont contraints, par le régime de Saddam Hussein, de rendre public leur livre sacré (le Grand Trésor) au moment de son ascension au pouvoir dans les années 1970. Une sortie de l’anonymat synonyme de marginalisation par le reste de la population. « En plus d’être mis à l’écart, ils sont jalousés pour leur forte présence dans les écoles et les universités : c’est une tradition pour la communauté », explique Claire Lefort. Ceux des mandéens qui étaient devenus des grandes figures de la littérature et des sciences se sont attiré les foudres du régime, à l’image de l’histoire du physicien Abdul Jabbar Abdullah, premier irakien à être diplômé d’un PhD du prestigieux Institut de technologie du Massachusetts (MIT) aux États-Unis. Devenu, en 1959, le premier président de l’Université de Bagdad, il sera poussé vers la sortie quelques années après. « Mon père a été envoyé en camp de concentration puis en prison, où il a été torturé par les partisans du parti Baas », témoigne, pour L’Orient-Le Jour, son fils Thabit Abdullah. « Dans l’espoir d’être intégrés à la société irakienne, les mandéens avaient embrassé l’identité arabe, à commencer par la langue. Mais très vite le sentiment national s’est évanoui au profit de la communautarisation des dernières années du régime de Saddam Hussein », explique-t-il.

Quand l’Irak est tombé en ruine après l’invasion américaine, « c’était prévisible que les mandéens allaient être massacrés », raconte à L’OLJ Charles Häberl, spécialiste de l’histoire des mandéens à la Rutgers University (New Jersey). En plus du féroce embargo imposé par les Nations unies après la guerre du Golfe, le régime de Saddam Hussein durcit, dans les années 1990, son discours sectaire et religieux pour contrôler ses opposants rigoristes. Un changement de politique qui achèvera de réveiller les tensions entre les différentes communautés du pays, et qui fera des mandéens une cible privilégiée, pas seulement à cause de leur culte. Ils sont considérés comme les « plus grands orfèvres du Moyen-Orient » et la tradition mandéenne de l’artisanat des métaux précieux est vue d’un mauvais œil par le reste de la société irakienne, durement appauvrie par le programme «Pétrole contre nourriture» des années 1990. C’est à cette époque qu’ont commencé les pillages.


(Lire aussi : Chrétiens, yézidis, voire sabéens, ils sont de retour à l’Université de Mossoul)


L’exil, seul espoir ?
Un an après l’annonce en grande pompe de la victoire sur l’État islamique par le Premier ministre irakien Haider al-Abadi, les humanitaires témoignent du retour progressif des minorités religieuses chrétiennes et yézidis dans la plaine de Ninive, qui était aux mains de l’organisation jihadiste depuis 2014, parmi lesquelles quelque mandéens. « Depuis l’occupation américaine de l’Irak, les mandéens n’ont pas eu d’autre choix que de fuir le sectarisme et partir à la recherche de paix et de sécurité pour pratiquer leur religion, dans d’autres pays », assure Youssef, qui a vu ses frères quitter un à un l’Irak ces dernières années.

Certaines organisations qui financent la reconstruction du pays ont encore l’espoir d’y réconcilier les différentes communautés confessionnelles. C'est sur le modèle d'une école de Kirkouk, au nord de Bagdad, qu'a été fondée par les chrétiens chaldéens une école multiconfessionnelle pour mélanger les élèves mandéens, chrétiens, sunnites et chiites. L’enjeu est de taille pour les humanitaires joints par L’Orient-Le Jour. Pour un responsable de l’ONG Fraternité en Irak, Ghislain de Franqueville, « il faut faire en sorte que les jeunes grandissent ensemble. Il est possible de créer des ponts entre les communautés pour que la paix advienne. Mais pour les générations actuelles, c’est déjà trop tard… C’est pour ça qu’ils partent… ».

Premier refuge pour ceux qui passent la frontière, la Jordanie a accueilli plus de 300 familles à Hashimi Alshamali, un quartier du nord de Amman. Là, le centre Makani prend en charge une centaine d’enfants de la communauté. « Nous les mettons généralement dans des classes séparées des autres à cause de leur religion », explique à L’OLJ l’un des chefs de projet d’Unicef-Jordanie, Osam Alhamad. En dehors de ces centres associatifs, les enfants mandéens ne sont pas autorisés à se rendre à l’école publique avant l’âge de dix ans et le royaume hachémite ne leur octroie ni l’asile ni de permis de travail. En quête d’une vie meilleure, plusieurs dizaines de milliers sont partis demander l’asile en Australie, en Suède ou encore aux États-Unis, parfois sans succès. Contraint de revenir en Irak après que sa demande d’asile a été refusée par la Suède, Ayed Nezzal Khalif al-Kohaili meurt sous les balles d’un fusil mitrailleur le 25 juin 2014 devant sa boutique de Mahmoudia, au sud de Bagdad.


« Ils perdent leur identité »
« Obtenir l’asile n’est pas simple non plus. Pour entrer sur le territoire américain, les mandéens doivent d’abord demander l’asile au Mexique », souligne Charles Häberl. Les quelques 2 000 mandéens qui ont traversé le Rio Grande habitent surtout à San Diego, à San Antonio, mais aussi dans l’est, à New York et Detroit. Des agglomérations urbaines loin de tout accès aux rivières. « Leurs rites sont menacés en diaspora », commente Charles Häberl, qui atteste de « la grande difficulté à trouver des prêtres », qui doivent justifier d’une généalogie mandéenne pure sur sept générations. « Il a fallu attendre jusqu’en 1999 qu’un prêtre vienne jusqu’à Boston pour administrer le premier baptême mandéen aux États-Unis », raconte-t-il à L’OLJ.

Se réinventer, pour éviter de disparaître : la diaspora mandéenne a dû adapter ses coutumes. Privés d’accès aux temples traditionnels, les « mandis », ceux qui sont aujourd’hui expatriés aux États-Unis et au Canada, se retrouvent chaque année au bord d’une rivière pour communier tous ensemble. « Nous avons la chance ici de ne pas être les seuls à pratiquer le baptême : il y a aussi les juifs et les baptistes... L’année prochaine, nous inaugurerons notre 23e camp », s’enthousiasme Suhaib Nashi, qui a présidé la Mandaean Union Association pendant de nombreuses années. « C’est grâce aux réseaux sociaux et aux chaînes d’e-mails que nous réussissons à garder contact entre nous », explique-t-il. Face à l’éclatement de la communauté, les autorités religieuses mandéennes ont autorisé ces dernières années la construction de piscines spéciales pour pratiquer le baptême hors des cours d’eau. Deux ont déjà été construites en Suède et en Hollande, une autre serait en projet aux États-Unis, sûrement à Détroit.

« Les mandéens sont un peuple traditionnellement endogame, résume Charles Häberl, mais alors qu’ils se retrouvent en diaspora, ils n’ont d’autre choix que de s’ouvrir. Il y a quelques cas isolés de conversions et de mariages mixtes, mais c’est assez minoritaire jusqu’à présent ». À une vision optimiste quant à la capacité des mandéens à s’adapter à ces nouvelles conditions d’exil, s’opposent des voix plus alarmistes. Certains comme Thabit Abdullah associent cette modernisation vitale à une « trahison » de la tradition mandéenne. Expatrié au Canada, il ressent l’exil comme une « extermination culturelle ». « Avec le temps, j’ai l’impression que les mandéens s’adaptent mal à la séparation avec leurs racines. Ils sont trop éparpillés, ils perdent leur identité… », lâche-t-il dans un soupir.


Pour mémoire
Les multiples minorités au Moyen-Orient face au printemps arabe


Amer Dagher Aofi n’a pas remis les pieds en Irak depuis qu’en décembre 2013, sa maison, située dans une localité proche de Falloujah, a été bombardée puis prise d’assaut par l’État islamique. « Quand c’est arrivé, même mes voisins sont venus pour me piller. » Comme lui, des dizaines de milliers de mandéens ont été contraints à l’exil pour fuir les massacres...

commentaires (3)

Je regrette de dire ce que j'ai a dire: les reportages brouillons de l'OLJ ont besoin de sortir d'une structure confuse.C'est pour votre bien.et celui-la n'est pas l'exception. Qui sont les mandeens, d'ou viennent-ils ou ils sont? en qui ils croient? a lire l'article, on croirait que ce sont des martiens.

SATURNE

15 h 05, le 03 décembre 2018

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Commentaires (3)

  • Je regrette de dire ce que j'ai a dire: les reportages brouillons de l'OLJ ont besoin de sortir d'une structure confuse.C'est pour votre bien.et celui-la n'est pas l'exception. Qui sont les mandeens, d'ou viennent-ils ou ils sont? en qui ils croient? a lire l'article, on croirait que ce sont des martiens.

    SATURNE

    15 h 05, le 03 décembre 2018

  • Ils me font de la peine. Encore l'Europe laïc s'est la meilleure solution . C'est un peu comme les Amish aux USA

    Eleni Caridopoulou

    13 h 12, le 03 décembre 2018

  • L'orient de tous les délices, mais aussi de toutes les souffrances et les intolérance. En observant l'état de délabrement moral de l'homme, on constate que celui-ci vit encore son âge de pierre, loin de sa prétendue civilisation. Les minorités ont encore du pain sur la planche pour réussir à se faire accepter.

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 52, le 03 décembre 2018

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