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Liban - Polémique

La Salle de Verre du ministère du Tourisme prête... pour les chichas ?

Des architectes reprochent à leur collègue Nabil Dalloul d’avoir gommé l’œuvre de Assem Salam (1924-2012).

Un faux plafond pour installer les équipements modernes.

En mai 2017, un accord visant à la restauration de la Salle de Verre, ce fameux espace d’exposition au rez-de-chaussée du ministère du Tourisme, à Hamra, a été signé par le ministre du Tourisme, Avédis Guidanian, avec la vice-présidente de la Fondation al-Walid ben Talal, Leila Solh Hamadé, pour le financement des travaux. Mme Solh avait signalé à cette occasion que le premier emploi qu’elle avait exercé se trouvait dans le département des informations touristiques à la Salle de Verre, et que cette pièce lui fait revivre des « souvenirs de jeunesse ».

Cet espace tout en transparence avait été conçu par Assem Salam, une des figures majeures de l’architecture et de l’urbanisme au Liban, décédé en 2012. Il fut le fondateur de l’école d’architecture de l’Université américaine de Beyrouth (aujourd’hui département d’architecture et de design), acteur majeur dans la promotion d’une génération de diplômés en architecture de 1954 à 1979 et ancien président de l’ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth. Il avait enrichi la ville de constructions remarquables, dont l’immeuble de la Pan American, la mosquée Khachoggi et le ministère du Tourisme à Hamra, qu’il a conçu vers la fin des années 60, en dotant son rez-de-chaussée d’une vaste salle qui a connu de grands moments d’activité, expositions de livres, d’artisanat, de peintures, etc. Ainsi, « le don de la Fondation al-Walid ben Talal permet de réhabiliter la salle qui tombait pratiquement en ruine et de rendre sa structure fonctionnelle », indique Nada Sardouk, directrice générale du ministère du Tourisme, ajoutant que « la fondation avait lancé un appel d’offres auprès de grandes entreprises pour réaliser les travaux », et que « toutes les autorisations nécessaires ont été obtenues pour les entreprendre ». Toutefois, il ne s’agissait pas seulement de donner un coup de propre et de peinture à la salle, mais de transformer tout le concept. Des arcades divisent désormais la salle en trois compartiments : l’un réservé aux conférences, un autre aux expositions et le troisième accueillera un bureau d’information, explique la personne qui semblait superviser le chantier. Des arcades tout à fait déplacées et incongrues dans cet environnement, estiment de nombreux architectes. « Leur style évoque un restaurant de méchouis prêt à être noyé par les gros ronds des chichas », tance Élie Najm, l’un des vilipendeurs du projet. Mais pour Mme Sardouk, « les détails ne sont qu’une question de goût ». « L’important, c’est d’avoir une belle salle accueillante. Si je porte une robe rouge et que ça ne plaise pas, faut-il pour autant que je la remplace par du bleu marine ? Tant pis, on ne peut pas plaire à tout le monde ! » s’exclame-t-elle. Le maître d’œuvre du projet, Walid Dalloul, n’a pu être joint par L’Orient-Le Jour.


Sauver la propriété intellectuelle de l’architecte

Le problème réside toutefois dans la sauvegarde du patrimoine dit moderne, qui s’inscrit dans une continuité avec l’histoire et la croissance de la ville. Tout au long de sa carrière, Assem Salam s’était donné pour mission de respecter les particularités de chaque époque, de chaque espace, et de concilier le développement de la ville moderne et le cadre hérité du passé. « Aucune ville au monde n’échappe à cette nécessité de répondre à de nouveaux besoins. Mais l’évolution, la transformation doivent s’opérer rationnellement et dans de bonnes conditions », disait-il.

De son côté, le Centre arabe pour l’architecture fondé par Georges Arbid (président), Nada Assi, Fouad el-Khoury, Bernard Khoury, Hachem Sarkis, Amira Solh et Jad Tabet, œuvre à sauvegarder le patrimoine moderne de la ville, construit en majeure partie dans la seconde moitié du XXe siècle. Ces bâtiments de qualité, adaptés aux transformations du milieu urbain, révèlent au mieux leur époque, et l’évolution de l’architecture, marquant clairement la prise en compte des connaissances et des compétences. Il ne s’agit donc pas de sombrer dans du passéisme malsain en les défigurant avec des éléments architecturaux traditionnels.

Pour Élie Najm, qui a collaboré avec Assem Salam, « ce qui se passe ne touche pas uniquement à l’héritage du défunt. C’est l’ignorance et l’inconscience qui prévalent désormais dans notre région. Aïn Mreissé a été témoin de la défiguration de la Maison de l’artisan conçue par Pierre Neema. Les chefs-d’œuvre de Rifaat Chaderji sont démolis en Irak. Et aujourd’hui, voilà que la Salle de Verre tout en transparence est altérée. Par sa situation privilégiée dans la zone commerciale à Hamra, elle juxtaposait toutes les formes d’activités culturelles, salles de théâtre, de cinéma, et deux universités ». Et d’ajouter en substance que ce lieu de mémoire collective ne peut être déformé par un « maquillage accablant ». Il a enfin lancé un appel à l’ordre des ingénieurs et architectes à mettre en perspective la propriété intellectuelle de ses membres par la création d’un comité d’éthique.



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commentaires (1)

Sans opinion sur les modifications ou la restauration de l'oeuvre c'est intéressant en tous cas d'apprendre de l'oeuvre de ce architecte et politicien (Assem Salam) membre de famille Salam, connu pour synthèse entre modernisme (beton brut) et "traditions islamiques".

Stes David

08 h 42, le 30 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • Sans opinion sur les modifications ou la restauration de l'oeuvre c'est intéressant en tous cas d'apprendre de l'oeuvre de ce architecte et politicien (Assem Salam) membre de famille Salam, connu pour synthèse entre modernisme (beton brut) et "traditions islamiques".

    Stes David

    08 h 42, le 30 novembre 2018

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