La controverse autour du projet du complexe touristique de l’Eden Bay, construit à même la plage de Ramlet el-Baïda malgré toute l’opposition qu’il a suscitée, vient de rebondir dans un nouvel épisode spectaculaire, avec l’inondation, par des eaux d’égouts, des rues de Ramlet el-Baïda vendredi dernier. Il s’est avéré, au fil des déclarations des responsables eux-mêmes, qu’une bouche d’égout principale au niveau du sud de la plage, où se trouve l’Eden Bay, a été scellée avec du béton brut (pour empêcher son déversement près de l’hôtel, apparemment), et que les eaux d’égouts avaient été détournées à la va-vite vers une autre bouche au nord de la plage, sous un café connu, et qui, de toute évidence, n’a pas la capacité d’évacuer une telle quantité d’eau. D’où l’inondation spectaculaire dont la zone de Ramlet el-Baïda a été le théâtre.
Voilà pour l’aspect technique mais qu’en est-il des responsabilités ? C’est là que l’affaire se complique. Le chapelet de déclarations a commencé, juste après l’inondation-scandale, avec celles du président du conseil municipal de Beyrouth, Jamal Itani, qui a dénoncé la fermeture de la bouche d’égout, promettant une enquête qui déterminerait les responsabilités et assurant que la canalisation serait rouverte. Dans son intervention à la télévision, il n’a cependant nommé personne, mais a fait référence, dans une conférence de presse ultérieure, au fait « que quelqu’un, à la municipalité, devait être au courant des travaux de fermeture de la bouche d’égout ».
Samedi soir, nouveau coup de théâtre, quand le mohafez de Beyrouth, Ziad Chbib, accuse pêle-mêle, lors d’une conférence de presse, la municipalité de Ghobeiri (banlieue sud), le projet d’Eden Bay, mais aussi le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) et trois restaurants de la région d’être responsables du fiasco. La municipalité de Ghobeiri a, selon lui, empiété sur les réseaux d’égouts de Beyrouth et a refusé que les eaux usées ne soient acheminées vers une station d’épuration baptisée PS2, située dans son périmètre, qui existe depuis 2001 mais n’a jamais été opérationnelle. Il souligne la responsabilité du CDR dans la non-fonctionnalité de la station et met directement la municipalité de Ghobeiri et l’Eden Bay en cause pour avoir fermé, à deux niveaux différents, les canalisations qui permettent d’évacuer les égouts de cette partie de Beyrouth. Sans s’attarder sur sa propre responsabilité, il se contente de présenter ses « excuses » aux habitants de Beyrouth et d’assurer que cela ne se reproduirait pas.
À la suite de cette conférence de presse, le ministre sortant de la Justice, Salim Jreissati, a demandé au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, de se saisir de l’affaire. Le juge Hammoud a effectivement chargé la police d’ouvrir une enquête immédiate sur la fermeture des égouts en plusieurs points de la capitale.
Comme on pouvait s’y attendre, le conseil municipal de Ghobeiri a répondu au mohafez dans un communiqué, où il l’accuse « d’avoir essayé de détourner les regards de ceux qui lui sont proches et qui empiètent sur le domaine public, préférant accuser une municipalité légitime qui souffre de la négligence » des autorités. En substance, le texte pointe clairement du doigt la municipalité de Beyrouth pour avoir détourné les eaux d’égouts de la plage, « afin de protéger les projets touristiques privés », vers le littoral de Jnah qui s’est transformé en « marécage ». Concernant la station PS2, la municipalité indique « qu’elle n’est pas opérationnelle, ce que le mohafez sait très bien ».
Et du côté de l’Eden Bay ? L’avocat du projet, Bahige Abou Moujahed, a déclaré à la LBCI que la fermeture de l’égout a été exécutée « sous la supervision des forces de l’ordre et avec la connaissance des médias et des organisations de la société civile », appelant à une enquête et à la sanction des responsables de ce fiasco.
(Lire aussi : Égouts scellés et inondations : le mohafez de Beyrouth dévoile l'identité des responsables)
Ce n’est pas la première inondation…
Une fois de plus, les responsables se rejettent donc la responsabilité de l’affaire. Le militant Raja Noujaim, qui suit le dossier de Ramlet el-Baïda depuis des années, met l’accent sur la responsabilité du mohafez de Beyrouth qui est l’autorité exécutive de la capitale, appelant « à sa démission, faute de quoi il devrait être démis ». Pour lui, « le mohafez a tenté, lors de sa conférence de presse, de diluer la responsabilité et faire porter le chapeau à plusieurs parties, appelant le parquet financier à se saisir de l’affaire, afin d’en limiter les conséquences à des amendes ». « Mais il n’a pas réussi son coup, poursuit-il, puisque le parquet de cassation s’en est saisi. »
Selon Raja Noujaim, « après deux mois de cauchemar subis à Ghobeiri du fait du détournement de cette bouche d’égout vers son littoral, suite à l’inauguration de l’Eden Bay en juin, la municipalité a obtenu que les eaux usées de Beyrouth reviennent au périmètre de la capitale », ajoutant que « lorsque les inondations ont commencé, cela avait déjà été réalisé, ce qui met Ghobeiri hors de cause dans cette affaire précise ».
Le militant note certains faits marquants : d’une part, l’inondation du 16 novembre n’est pas la première. Une autre avait eu lieu le 28 octobre en raison de fortes pluies, mais elle avait été moins médiatisée que celle qui lui a succédé (quantité de vidéos en attestent). « Il est donc clair que la déviation vers le sud de Ramlet el-Baïda ne réglait pas le problème, explique-t-il. Nous avons su également que la municipalité a essayé, en octobre, d’ouvrir une brèche dans le béton qui scelle l’égout au niveau de l’Eden Bay, sans y parvenir. » Autre fait à retenir : une simple comparaison de photos permet aux militants de se rendre compte que le flux initial d’eaux usées vers la section de plage où se trouve l’Eden Bay est bien moindre qu’avant la fermeture de la bouche d’égout en juin. « Si la situation reste en l’état, d’autres inondations sont à prévoir », affirme Raja Noujaim.
Le militant assure avoir déjà porté plainte auprès des autorités judiciaires concernant cet égout à plusieurs reprises et qu’il s’apprête à le faire une nouvelle fois.
(Lire aussi : Les Libanais pris en étau entre les embouteillages et les eaux d’égouts)
Aucun rôle actif ?
Alors comment établir les responsabilités dans cet imbroglio ? Interrogé par L’OLJ sur cette incroyable confusion, Jamal Itani, président du conseil municipal de Beyrouth, se défend de tout rôle actif dans l’affaire et appelle à « attendre les résultats de l’enquête en cours ». « Le Premier ministre Saad Hariri et moi-même tenons à ce que la vérité sur ce scandale soit faite », dit-il, précisant qu’« à Beyrouth, le conseil municipal décide des projets à effectuer, mais l’exécutif est aux mains du mohafez ». À qui faisait-il référence, donc, quand il a déclaré que quelqu’un à la municipalité devait être au courant de l’obstruction de la bouche d’égout ? « Je ne sais pas qui c’est, mais je pense qu’il est impossible que personne n’ait été au courant de l’affaire », répond-il.
Ne savait-il pas non plus qu’une première tentative d’ouvrir l’égout après l’inondation d’octobre s’était soldée par un échec ? « J’ai eu vent de cette information ces deux derniers jours mais nous ne sommes pas concernés par cela, souligne-t-il. Attendons les résultats concrets de l’enquête. »
Lire aussi
Fête de l'indépendance : l'armée s'excuse pour les embouteillages monstres
commentaires (26)
Des orages sont prévus le 22 novembre. Ça serait bien d'organiser les parades à Ramlet el Baida. Deux avantages: Premièrement la marine pourra défiler sur la corniche. Deuxièmement tous nos (ir)responsables politiques seront présents et pourront donc voir le résultat de leurs (in)compétences de visu. Et en bonus le centre-ville ne sera pas bloqué.
Gros Gnon
14 h 20, le 21 novembre 2018