Est-ce une petite crise passagère comme il en existe finalement dans toutes les familles, ou est-ce les prémices d’une future procédure de divorce ? La question se pose de plus en plus sérieusement alors que Donald Trump ne manque pas une occasion de remettre en question le lien d’amitié qui unit, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens aux États-Unis. Dernier épisode en date, le président américain s’en est pris dans une série de tweets, mardi 10 octobre, à Emmanuel Macron – qui était jusqu’ici épargné par les critiques – en raison de la proposition du président français de construire une armée européenne qui permettrait au Vieux Continent d’être stratégiquement autonome vis-à-vis de l’Oncle Sam.
La « bromance » entre les deux présidents semble bien loin, même si Emmanuel Macron a minimisé hier la teneur des propos de Donald Trump, insistant sur le fait que cela n’avait pas d’importance « et que cela relevait » de la politique interne américaine. « Les États-Unis d’Amérique sont notre allié historique et ils continueront de l’être », a poursuivi Emmanuel Macron, ajoutant néanmoins qu’allié ne voulait pas dire « vassal » et qu’« entre alliés on se devait le respect ». Une manière d’expliquer sa volonté de développer l’autonomie stratégique européenne tout en rappelant que, malgré les sorties imprévisibles et peu diplomatiques du 45e président américain, ni la vieille amitié franco-américaine ni le lien transatlantique ne sont aujourd’hui sérieusement remis en question par Paris.
Du côté de Washington, l’affaire est toutefois plus compliquée. Peu sensible à l’histoire, adepte des relations bilatérales basées sur les rapports de force, Donald Trump ne cache pas son manque d’intérêt et de respect pour les Européens. Au sommet du G7 l’été dernier au Canada, à celui de l’OTAN quelques semaines plus tard à Bruxelles, ou encore à l’occasion des commémorations du centenaire du 11 novembre à Paris la semaine dernière, le président américain a montré à chaque fois qu’il n’avait aucune envie d’être là, accentuant ainsi les tensions au sein de la famille occidentale. Une famille à laquelle l’ancien magnat de l’immobilier ne fait jamais référence et qui paraît même incompatible avec sa vision du monde résumée par le slogan » America first «, pour lequel les considérations intérieures sont toujours prioritaires. Le locataire de la Maison-Blanche est depuis son arrivée au pouvoir clairement plus à l’aise avec les dirigeants autocrates qu’avec ses vieux alliés européens qu’il donne l’impression de voir, en fonction des thématiques, comme un fardeau ou comme un obstacle.
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Pas du tout éloignés
Des divergences importantes ont éclaté au cours de ces deux dernières années entre Européens et Américains concernant plusieurs dossiers clés comme le nucléaire iranien, le climat ou le conflit israélo-palestinien. À chaque fois, Washington est apparu isolé, mais puissant, par rapport au reste des Occidentaux. Mais si cela a pu troubler les partenaires européens, cela n’a pas suffi à abîmer sérieusement le lien transatlantique qui repose encore, et malgré Donald Trump, sur de nombreux intérêts stratégiques communs. « Quand vous prenez les sujets les uns après les autres, comme la relation avec la Russie, la lutte contre le terrorisme, les grandes crises au Moyen-Orient, on s’aperçoit qu’en réalité les Européens et les Américains ne sont pas du tout éloignés comme certains le pensent », décrypte pour L’Orient-Le Jour Pierre Vimont, ancien ambassadeur de France aux États-Unis (2007-2010) et expert auprès du Carnegie Europe. « En pratique, la politique américaine envers l’Europe ne reflète pas les tweets du président américain », renchérit pour L’OLJ Erik Brattberg, directeur du programme Europe et membre du Carnegie Endowment for International Peace à Washington. Autrement dit : on est bien loin d’un possible divorce.
Les Européens ont intégré l’idée que leurs intérêts pouvaient différer de ceux de Washington et qu’ils devaient par conséquent être en mesure de les défendre de façon plus autonome. Ces divergences, ajoutées à la volonté des Américains de responsabiliser les Européens en ce qui concerne leurs dépenses en matière de défense et de sécurité, étaient déjà perceptibles lors des mandats Bush et Obama, même si dans une moindre mesure. Mais l’arrivée au pouvoir du milliardaire a accéléré cette prise de conscience en mettant les Européens face à une nouvelle réalité : et si face à une Russie, à l’est, de plus en plus agressive, ils ne pouvaient plus compter sur le soutien indéfectible des États-Unis ?
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Ce qu’en pensent les Russes
Les faits ont de quoi, pour le moment, largement apaiser cette crainte. « L’engagement militaire américain en Europe est constant, il a même augmenté en quantité et en qualité depuis l’arrivée de Donald Trump, sous la houlette de l’excellent secrétaire à la Défense Mattis, qui comprend les enjeux », souligne à L’OLJ Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Les États-Unis ont augmenté leur soutien à l’OTAN, en envoyant plus de fonds, plus de troupes en Europe, donc on doit regarder au-delà des commentaires du président Trump et de ses tweets et voir ce que les États-Unis sont effectivement en train de faire en pratique », confirme Erik Brattberg.
Pour le président américain, qui voit les relations internationales comme des transactions commerciales, l’argent est non seulement le nerf de la guerre mais aussi le nœud du problème. Il exige des Européens qu’ils mettent davantage la main au portefeuille pour financer leurs dépenses en matière de défense. Les Européens se sont engagés à consacrer 2 % de leur PIB à la défense d’ici à 2024, mais leurs efforts ne suffisent pas pour l’instant à empêcher les sautes d’humeur du président américain. Ce dernier laisse planer le doute sur le fait qu’il respecterait l’article 5 de l’OTAN, qui l’oblige à venir en aide à un autre membre de l’Alliance qui subirait une attaque armée. « Il veut maintenir une sorte d’ambiguïté sur l’engagement américain à propos de l’article 5 du traité de l’OTAN. Mais au-delà de Donald Trump lui-même, l’establishment américain tout entier reste favorable à la sécurité européenne », analyse Erik Brattberg. « Il n’y a pas vraiment de doute dans la tête des dirigeants européens concernant le fait que Donald Trump respecterait ses engagements, même si avec lui on pourrait connaître des surprises. La question est surtout de savoir ce qu’en pensent les Russes », note pour sa part Bruno Tertrais.
Le risque est en effet de voir Moscou tenter de profiter de ces tensions au sein du bloc occidental pour gagner de l’influence en Europe. La Russie a tout intérêt à voir s’accroître les divisions entre Américains et Européens et pourrait être tentée de tester la solidité de cette relation. « La question est de savoir si la Russie estimerait à un moment donné que la “famille occidentale” est désunie au point de lui ouvrir des opportunités militaires », résume Bruno Tertrais. « Si par extraordinaire les Américains devaient se retirer d’Europe, combien de temps faudrait-il aux Européens pour construire une posture de défense suffisamment crédible pour dissuader la Russie ? Ce serait une question d’années en tout cas », ajoute-t-il.
Industrie de l’armement européenne
Ce contexte général pousse une partie des Européens à essayer d’accélérer leur projet de défense commune, qui n’a pas vocation à se substituer à l’OTAN, comme l’a rappelé mardi Angela Merkel, mais devrait « permettre d’agir sans avoir besoin d’un soutien américain comme c’est le cas aujourd’hui », a précisé hier Emmanuel Macron. « Cela ne produira pas d’armée européenne ou une autonomie stratégique européenne de sitôt », tempère Erik Brattberg. « Personne ne songe à se débarrasser de l’OTAN du côté européen, bien au contraire, face à la pression russe, on a plus que jamais besoin de l’Alliance atlantique, mais les Européens doivent être aussi capables de prendre leur destin en main et se doter d’une capacité de défense européenne », ajoute Pierre Vimont.
L’idée d’armée européenne apparaît pour l’instant, selon tous les experts, comme une chimère tant sur le plan politique qu’opérationnel. Une grande partie des États du centre et de l’est de l’Europe ne montrent aucun enthousiasme à penser leur politique de défense sous un autre angle que celui du parapluie atlantique.
« Il y a cette idée d’une approche plus pragmatique, plus concrète et précise qui permettra peu à peu à l’Europe d’affirmer sa capacité à opérer elle-même directement et de manière autonome sur des terrains donnés sur le Vieux Continent ou dans d’autres régions du monde », souligne Pierre Vimont, qui estime qu’il faut « essayer d’avancer et d’obtenir des progrès très concrets, comme par exemple dans la manière de construire une industrie de l’armement européenne qui soit beaucoup plus forte qu’à l’heure actuelle ». Problème, cette industrie de l’armement européenne, Donald Trump n’en veut pas. Le président américain souhaite que les Européens dépensent plus, mais cela signifie pour lui qu’ils achètent du matériel américain et non qu’ils en soient de moins en moins dépendants. Le locataire de la Maison-Blanche semble vouloir une Europe dépensière mais non moins dépendante. Ce n’est finalement pas le lien entre les deux rives de l’Atlantique qui est aujourd’hui menacé mais plutôt la nature de celui-ci qui est en partie questionnée.
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commentaires (10)
Il n’y a pas foncièrement de compétition usa-Europe occidentale et encore moins entre la France et les Usa. Les divergences apparentes sont quelques fois politiques mais surtout techniques ou simplement industrielles et commerciales : la France qui sait fabriquer les armes et qui est dotée de l’arme nucléaire veut encore plus développer son armement et son aviation avec d’autre partenaires solides européens tels que l’Allemagne et l’Angleterre . L’Angleterre s’est rabattue sur le Brexit et l’Allemagne n’est qu’un nain militaire et politique mais un mastodonte industriel et commercial. Ça va se faire mais lentement car ses 2 partenaires principaux lorgnent pour l’instant un peu trop les USA . Quant à la Russie ? Cette dernière a terriblement besoin de l’Occident et de la Chine.
L’azuréen
16 h 01, le 15 novembre 2018