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Liban - Table ronde

Michel Chiha d’hier et d’aujourd’hui

Au Salon du livre, l’actualité de la vision politique du fondateur du quotidien « Le Jour » mise en lumière.

Michel Chiha. Photo d'archives

Jamais la « mutilation du Liban » n’aura été aussi cruellement révélée qu’après cette immersion dans la pensée moderniste d’un Michel Chiha, ressuscitée samedi dans le cadre d’un minicénacle organisé au Salon du livre.

Transformée en une plateforme d’échanges – le temps d’un « bouillon de culture » sur la vision politique, économique et géopolitique que nous a léguée ce brillant maître à penser –, l’« Agora » du nouveau BIEL a attiré une foule de nostalgiques d’une époque révolue dont il ne reste aujourd’hui plus aucune empreinte, ni le moindre repère en termes de valeurs politiques et humanistes, comme le souligneront en substance les intervenants lors d’une table ronde organisée par la Fondation Michel Chiha et L’Orient-Le Jour. À l’occasion de la parution d’une anthologie regroupant une sélection d’écrits politiques et littéraires tirés de l’œuvre fournie de cet écrivain hors normes, un vibrant hommage a été rendu à Michel Chiha, dont les « articles-messages » sont d’autant plus d’actualité qu’ils ont permis de définir les contours d’une « modernité » que le Liban d’aujourd’hui n’a pas réussi à apprivoiser, ni même à effleurer.

« Michel Chiha aurait voulu qu’on réfléchisse avec lui vers l’avenir », lance le modérateur, Karim Bitar, politologue, qui souligne la nécessité pour le Liban de sortir des clichés creux d’un « Liban-plateforme » pour le tourisme et les finances, pour mieux réfléchir à son positionnement économique et géopolitique dans un monde en mutation. Un peu comme l’aurait fait Michel Chiha, « un homme tourné vers l’avenir plutôt que vers le passé », et qui disséquait les réalités de son époque avec pragmatisme.

« Michel Chiha aurait parlé aujourd’hui de l’économie du savoir, des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle, et réfléchi à comment le Liban peut se positionner en mettant en avant ses avantages compétitifs », affirme M. Bitar. Bien placé pour effectuer le parallèle entre le Liban imprégné de valeurs et de grandeur tel que l’a rêvé et préconisé Michel Chiha, et le Liban tel qu’il est devenu, le ministre sortant Marwan Hamadé est également la personne appropriée pour « détecter les repères occultés pendant des décennies de crise, de guerres civiles, de pactes avortés et de réconciliations factices ».

Révolutionner les mentalités

Dénonçant tour à tour un « fascisme bête et méchant », un « isolationnisme aveugle et suicidaire », « une ploutocratie vulgaire dans ses actes », mais aussi, « des “minorités associées” qui se comportent comme des vautours », M. Hamadé n’a pas ménagé ses contemporains.

« Qu’aurait dit Chiha aujourd’hui sur la morale en faillite, sur l’État en déliquescence et sur le pouvoir avachi, lui qui avait insisté en 1948 sur la nécessité de savoir dire non ? » s’interroge le ministre.

« Que dirait-il, lui, critique des courtisans, des gendres affamés et autres courtisans de tous bords, à l’assaut d’un gâteau qui n’est plus ? », se demande encore M. Hamadé, avant de lancer un appel aux Libanais, les invitant à dire « non » et à entamer une révolution citoyenne et réformatrice. Elle serait, dit-il, l’issue pour sortir de la crise actuelle qui nécessitera inéluctablement « une plus grande crise encore » qu’il ne faut surtout pas craindre, et qui est de loin à préférer à l’enlisement « dans ce qui va être un enterrement du Liban avec tous ses repères ».

« La bulle est sur le point d’éclater si le Liban ne remet pas son sort à d’autres dirigeants et surtout à d’autres mentalités », met en garde le ministre, en souhaitant que les élites du changement futur puissent renouer avec l’histoire occultée de la culture nationale, et faire « une cure approfondie de modestie et de civisme ».


Les égoïsmes dissociés

La réforme était au cœur même des préoccupations de Michel Chiha. Tout en étant « le théoricien du confessionnalisme libanais », comme le rappelle Élie Fayad, rédacteur en chef adjoint de L’OLJ, il fut en même temps « l’avocat contre les excès du confessionnalisme ». « Tout ce que l’idée confessionnelle gagne, c’est la nation qui le perd », dit M. Fayad, en citant une phrase-clé de l’auteur.

Autre constat que fait Michel Chiha, c’est que, pour réformer, « il faut commencer par renoncer à la confession en faveur du mérite à l’intérieur de l’administration ».

« La dérive actuelle vers un consensualisme rigide n’est-elle pas l’illustration de ce qu’il craignait ? » s’interroge M. Fayad, qui rappelle au passage que la théorie sur le confessionnalisme chez Michel Chiha « se fonde exclusivement sur un souci organisationnel de l’État et de ses institutions, jamais sur un discours identitaire ».

Empruntant la célèbre formule prononcée par ce visionnaire politique sur « les minorités confessionnelles associées » qui constituent le Liban, M. Fayad en conclut : « Si de ces minorités associées, nous n’avons au final pu tirer que des égoïsmes dissociés, ce n’est certainement pas à Michel Chiha qu’on doit le reprocher. » Le reproche devrait plutôt être adressé aux Libanais eux-mêmes, à la classe dirigeante aussi, qui, « au lieu de renforcer l’idée de la patrie, a approfondi les divergences et transformé le peuple en multiples troupeaux confessionnels, conjugués et divisés », commente Mona Fayad, professeure d’université.

« Les différentes confessions ont transgressé tous les tabous » contre lesquels avait mis en garde Michel Chiha, dit-elle. L’amour de la patrie qui a imprégné ses écrits – et qui est à distinguer d’un « nationalisme systématique limité et buté » – s’est emmêlé avec un confessionnalisme qui à l’origine aspirait à une plus grande équité dans la représentation communautaire.

« Malheureusement, avec le temps, le facteur confessionnel est devenu un outil au service des intérêts de ceux qui dominent leur communauté », constate l’intervenante.


Équilibre et mesure

Michel Chiha « n’imaginait pas à l’époque que certains partis confessionnels exerceraient un jour leur hégémonie sur les autres communautés, créant un État dans l’État au mépris de la notion d’équilibre permanent qu’il prônait », commente à son tour Alexandre Najjar, écrivain et avocat, dans une allusion au Hezbollah.

Auteur éclectique, Michel Chiha ne s’en est pas moins intéressé au poids de la géopolitique, dont dépendent si étroitement les équilibres qu’il prônait pour soustraire le Liban à toute manifestation hégémonique. Très tôt, il a mis en garde contre les risques et périls que pose Israël pour le Liban et la région et considéré le partage de la Palestine comme une des erreurs les plus considérables de la politique contemporaine.

Toutefois, cette attitude prophétique « ne s’accompagne pas d’un antisémitisme haineux et primaire », note M. Najjar, qui évoque à ce propos les craintes exprimées de voir le Liban livré aux ingérences étrangères.

« Pour la paix et le bien commun, appliquons-nous à consolider notre propre domaine avant de jeter nos regards sur celui des autres », avait prédit Michel Chiha.

Éclectique dans sa pensée comme dans ses écrits, Michel Chiha ne s’est pas limité aux méandres de la politique, mais a scruté tout aussi passionnément l’univers de la poésie et de la spiritualité. M. Najjar cite notamment ses « Propos dominicaux », publiés en fin de semaine dans Le Jour dont il fut le fondateur.

« Ils sont riches d’enseignements moraux, imprégnés de mysticisme et d’espoir. La politique ici n’est que prétexte pour une méditation profonde sur la destinée de l’homme qui, face au désordre ambiant, au chaos du monde, se réfugie dans la foi pour donner sens à son existence », conclut M. Najjar.



Pour mémoire

Michel Eddé à la tête de la prestigieuse Fondation Michel Chiha

L’islam politique et Michel Chiha

La pensée « libaniste » de Michel Chiha plus que jamais de mise dans le Liban d’aujourd’hui

Jamais la « mutilation du Liban » n’aura été aussi cruellement révélée qu’après cette immersion dans la pensée moderniste d’un Michel Chiha, ressuscitée samedi dans le cadre d’un minicénacle organisé au Salon du livre. Transformée en une plateforme d’échanges – le temps d’un « bouillon de culture » sur la vision politique, économique et...

commentaires (3)

Un grand de grand ... quand Bachir disait qu il faut être honnête droit et franc c’est lui tout cracher prôner le confessionnalisme mais l’Appliquer de manière honnête sans s’en servir a des fins confessionnelle de division mais de rapprochement ... mais pour le comprendre il faut des cervelles et non des navets

Bery tus

17 h 14, le 12 novembre 2018

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Commentaires (3)

  • Un grand de grand ... quand Bachir disait qu il faut être honnête droit et franc c’est lui tout cracher prôner le confessionnalisme mais l’Appliquer de manière honnête sans s’en servir a des fins confessionnelle de division mais de rapprochement ... mais pour le comprendre il faut des cervelles et non des navets

    Bery tus

    17 h 14, le 12 novembre 2018

  • EH oui les peurs ont remplacé le patriotisme au profit et le bonheur d'une élite égocentriste.

    DAMMOUS Hanna

    12 h 40, le 12 novembre 2018

  • On voit bien que notre pays ne manque pas de penseurs, de fédérateurs et d'humanistes capables de guider la conscience nationale, ceci n'est pas une exception on peut observer la même hauteur d'esprit dans chaque communauté. Les crises répétées depuis 1975 à plongé le pays dans un nombrilisme et égocentrisme laissant chaque communauté avec ses peurs et ses defiances. La corruption et l'enfermement ont fait le reste ....

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 51, le 12 novembre 2018

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