Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, est loin d’être seul dans l’épreuve de force dans laquelle il est engagé avec le Hezbollah autour de la nomination d’un ministre sunnite prosyrien au sein de sa nouvelle équipe. Le président Michel Aoun, qui n’avait pas caché son mécontentement lorsque, après le règlement du nœud dit chrétien, le parti de Hassan Nasrallah avait exigé qu’un des six députés sunnites gravitant dans l’orbite syro-iranienne soit nommé dans le nouveau gouvernement, est lui aussi intransigeant sur la question. Selon ses visiteurs, Michel Aoun ne signera pas le décret de formation d’un gouvernement qui comprendrait parmi ses membres un ministre sunnite de l’axe syro-iranien qui mettrait Saad Hariri en minorité dans la nouvelle équipe ministérielle, appelée, dit-on, à durer jusqu’à la fin du sexennat.
La raison derrière l’intransigeance présidentielle ne réside pas seulement dans le refus du chef de l’État de s’associer à une manœuvre dont la finalité est surtout d’affaiblir Saad Hariri, au plan politique, surtout au niveau de la rue sunnite, mais s’explique aussi par le besoin de ne pas donner à Israël un prétexte pour mettre à exécution ses menaces, relayées par les capitales occidentales à une fréquence qui commence à inquiéter les dirigeants libanais. Selon des sources diplomatiques occidentales, le président français Emmanuel Macron avait mis en garde son homologue libanais, durant l’entretien qu’il avait eu avec lui en marge du Sommet de la francophonie à Erevan, sur la gravité de la politique suivie par le Liban et sur la nécessité pour le pays de se conformer rigoureusement à la politique de distanciation et de s’éloigner de la politique des axes. Il faisait notamment allusion à l’affaire des missiles du Hezbollah dans le périmètre de l’aéroport, évoquée par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, en septembre à l’ONU, démentie par le Liban, alors que le secrétaire général du parti de Dieu, Hassan Nasrallah, avait laissé planer le flou sur la question.
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Par la suite, les mises en garde occidentales se sont succédé, au point que certaines capitales ont fait brandir la menace de revenir sur les engagements financiers, qu’elles avaient promis dans le cadre de la CEDRE, si le Liban ne se conformait pas à la lettre à la politique de distanciation. Et si le président Michel Aoun est récemment revenu à la charge pour démentir la présence d’arsenaux du Hezbollah autour de l’AIB, c’est en raison des messages israéliens, guère rassurants, qui lui avaient été relayés par des émissaires occidentaux, notamment par Aurélien Lechevallier, conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, qui a effectué récemment une visite de deux jours à Beyrouth, où il a mené discrètement une série de pourparlers. Il s’est entretenu pendant une heure et demie avec Gebran Bassil, ainsi qu’avec des conseillers de Michel Aoun et du président de la Chambre, Nabih Berry.
En dépit du secret qui a entouré ces discussions, de sources informées, on a indiqué que M. Lechevallier, qui avait visité Israël fin octobre, dépêché par le président français à Jérusalem et à Ramallah pour des pourparlers sur le processus de paix entre Israël et les Palestiniens, a informé ses interlocuteurs libanais de sérieuses menaces israéliennes, concomitantes aux sanctions américaines sur l’Iran. Il les aurait avertis que Tel-Aviv pourrait frapper les ateliers où les missiles sont confectionnés ainsi que les arsenaux où ils prétendent que le Hezb cache ses armes près de l’aéroport, tout comme ses forces aériennes avaient frappé les caches d’armes iraniennes et du Hezbollah en Syrie. De sources diplomatiques occidentales, on indique que le vice-président du Conseil national israélien de sécurité, Eitan Ben David, aurait demandé à Aurélien Lechevallier, lors d’un entretien avec lui, de transmettre aux Libanais un message selon lequel « Beyrouth devrait mettre fin à la crise des missiles du Hezbollah, sinon Israël la réglerait à sa façon ». Eitan Ben David aurait aussi dit à son hôte que « Tel-Aviv s’est fixé un délai pour régler cette crise, mais qu’il est prêt à le prolonger si le dossier peut être résolu par les voies diplomatiques », tout en faisant savoir qu’« il n’est pas question pour mon pays de garder les bras croisés face à cette menace et de se plier à un fait accompli ».
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Le Liban affirme cependant considérer les menaces israéliennes comme une tentative de trouver une excuse pour une éventuelle attaque contre son territoire, simultanément avec les sanctions américaines contre l’Iran. Un sentiment conforté par le discours de Benjamin Netanyahu qui, selon des sources occidentales, avait anticipé l’initiative française en direction du Liban en adressant lui-même un message à Téhéran, par le biais des dirigeants du sultanat de Oman où il se trouvait en octobre dernier, pour leur demander « de cesser de mettre au point de nouveaux missiles au Liban et d’éviter ainsi à ce pays une nouvelle guerre ». Un message qui rejoint celui d’Eitan Ben David.
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commentaires (6)
C’est une machine destructrice qui est en marche .
L’azuréen
17 h 41, le 09 novembre 2018