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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi le Brésil est désormais un allié d’Israël

La montée de l’évangélisme et la personnalité du nouveau président, deux mauvaises nouvelles pour les Palestiniens.


Des partisans de Jair Bolsonaro célèbrent la victoire à Rio de Janeiro après l’élection présidentielle, le 28 octobre 2018. Carl de Souza/AFP

Les Palestiniens sont sur le point de perdre l’un de leurs meilleurs alliés en Amérique du Sud. Le nouveau président brésilien Jair Messias Bolsonaro ne cache pas sa profonde amitié pour Israël. À peine élu, il a affirmé avoir l’intention de « transférer l’ambassade du Brésil de Tel-Aviv à Jérusalem ». Il a également indiqué que « l’ambassade palestinienne (au Brésil) a été construite trop près du palais présidentiel. Aucune ambassade ne peut être aussi proche du palais présidentiel, nous avons donc l’intention de la déplacer », dans son premier entretien à la presse étrangère, accordé au quotidien israélien Israel Hayom, dans lequel il ajoute que « la Palestine doit d’abord être un État pour avoir le droit d’avoir une ambassade ».

Même s’il a laissé entendre mardi que cela « n’a pas encore été décidé », les propos du président élu marquent une rupture totale avec la position du Brésil sur le dossier israélo-palestinien jusque-là plutôt solidaire des Palestiniens. Brasilia a été jusqu’à reconnaître l’État de Palestine dans ses frontières de 1967 fin 2010, ce qui avait provoqué un effet domino à travers les États d’Amérique latine. Les Palestiniens pouvaient compter sur le soutien de ces pays à l’ONU, qui n’hésitaient pas à condamner les violences israéliennes.

C’est une tout autre ambiance aujourd’hui. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a « félicité » son « ami Jair Bolsonaro pour son intention », qu’il a qualifiée d’étape « juste, historique et passionnante » dans un tweet, auquel M. Bolsonaro a répondu par un « pouce levé » sur la plateforme. La chef du département de diplomatie publique de l’OLP Hanane Achraoui a pour sa part qualifié cette « mesure » de « provocatrice » et « d’illégale vis-à-vis du droit international », qui « ne fait que déstabiliser la région », tandis que le porte-parole du Hamas Sami Abou Zahri a parlé de « mesure hostile au peuple palestinien et au monde arabe et musulman ».

Ce changement probable de cap de la part du Brésil peut s’expliquer par trois causes, qui se nourrissent les unes des autres : le fait que la base populaire du président élu soit composée d’individus appartenant à des églises évangélistes pentecôtistes et néopentecôtistes, pour qui le concept de « Terre sainte » est synonyme d’État d’Israël ; l’admiration du président élu pour l’État Israël ; et son suivisme volontaire envers M. Trump.


(Pour mémoire : Transfert à Jérusalem de l'ambassade du Brésil : Netanyahu salue une décision "historique")


Déferlante évangélique

Le Brésil, plus grand pays catholique du monde, a été témoin ces dernières années d’une progression massive du nombre de chrétiens évangélistes. « En 1970, 92 % de la population était catholique, alors qu’en 2010, c’était 64 % », explique à L’Orient-Le Jour Lamia Oualalou, journaliste spécialiste de l’Amérique latine et auteure de Jésus t’aime ! La déferlante évangélique (Cerf, 2018). Elle ajoute que cette chute du nombre de catholiques « a bénéficié presque exclusivement aux évangélistes, qui représentaient 22 % de la population en 2010 ». Et leur nombre continue d’augmenter : dans un pays où le « recensement religieux se fait tous les dix ans », Mme Oualalou estime qu’on peut s’attendre à ce qu’en 2020, ils représentent « un tiers de la population ».

Les positions favorables des évangélistes vis-à-vis de l’État d’Israël sont liées à une « lecture très littérale de la Bible, sans aucune mise en contexte historique », explique à l’AFP Ronilso Pacheco, chercheur en théologie à l’Université catholique PUC de Rio de Janeiro, pour qui « les évangélistes les plus conservateurs voient en Israël une sorte d’idéal, le peuple élu, qui doit être défendu coûte que coûte, quelle que soit l’attitude de ses dirigeants ». Les évangélistes, « qui se considèrent comme les véritables chrétiens », explique Mme Oualalou, pensent que la terre d’Israël mentionnée dans la Bible est une terre bénie. « Edir Macedo, dit l’évêque, insiste beaucoup sur la logique “d’Israël terre sacrée”. Il a fait construire un temple de Salomon à Brás », au centre de Sao Paulo, « avec des pierres supposément venues d’Israël ».

« La majorité des évangélistes ne savent pas où est Israël ou même l’État voisin, mais il y a eu un marketing idéologique depuis une dizaine d’années », explique Mme Oualalou, pour qui « Israël a fait beaucoup de travail » sur ce plan, en mettant par exemple « en place des agences de voyages pour organiser des voyages en Terre sainte, qui sont les seuls liens entre les évangélistes américains et brésiliens ». Dans ce sens, Tel-Aviv aurait su capitaliser sur l’importance fondamentale de la terre d’Israël biblique dans la foi de dizaines de millions d’évangélistes, dont le nombre ne cesse de croître, afin que l’État d’Israël soit automatiquement associé à ce concept religieux. « Au fur et à mesure, Terre sainte est devenue synonyme d’État d’Israël », souligne Mme Oualalou, qui rappelle aussi que « ce travail s’est fait sur fond d’islamophobie importée des États-Unis depuis 2001, et d’amalgame entre musulman et arabe ». Le sentiment anti-Parti travailliste (PT) a aussi sans doute contribué au renforcement de l’attitude pro-israélienne des évangélistes, par simple rejet : « Si les gouvernements PT sont plutôt propalestiniens, alors nous sommes pro-israéliens. »

Dans ce contexte, M. Bolsonaro, catholique et ancien général, et dont l’épouse est évangéliste, a su capitaliser sur le sentiment anti-PT et l’aspect religieux de ce segment évangéliste de la population, en plein essor. Celui qui s’est fait symboliquement baptiser en 2011 dans le Jourdain par un pasteur évangéliste a prié avant son premier discours en tant que président élu, diffusé en direct sur Facebook depuis son domicile. Devant lui, quatre livres : la Constitution, la Bible, les Mémoires sur la Seconde Guerre mondiale de Winston Churchill et Le minimum à savoir pour ne pas être un idiot d’Olavo de Carvalho, essayiste brésilien conservateur. Il a aussi intérêt à compter sur sa base populaire, alors que son Parti social libéral (PSL) n’a obtenu qu’une cinquantaine de députés sur 513, et qu’il devra compter sur la « Bancada Evangelica », coalition informelle transpartisane des députés évangélistes.

Durant l’entretien avec Israel Hayom, M. Bolsonaro affirme qu’Israël peut « compter sur notre vote aux Nations unies sur presque toutes les questions relatives à l’État hébreu », avant d’ajouter qu’il « aime le peuple israélien et Israël ». M. Bolsonaro est fasciné par les technologies de pointe de l’armée israélienne. « C’est une question d’affinités. Plus d’une fois, il a déclaré admirer Israël en tant que pays », affirme à L’OLJ Gilberto Rodrigues, professeur de relations internationales à l’Université fédérale ABC à Sao Paulo. Son fils Flavio Bolsonaro et le gouverneur élu de Rio Wilson Witzel doivent d’ailleurs s’y rendre prochainement pour y acheter des drones d’attaque qui pourraient être utilisés par les forces de l’ordre dans la lutte contre les narcotrafiquants, selon une information de l’AFP.


Le trumpisme

Le président élu brésilien est aussi un fan de Donald Trump. « Tout comme il veut rendre l’Amérique grande, je veux rendre le Brésil grand », disait-il dans l’émission brésilienne Roda Viva en juillet dernier. « Sur le front géopolitique, le candidat a de la sympathie pour Donald Trump et promet d’aligner les positions du Brésil sur celles des États-Unis. Cela peut sembler judicieux du point de vue électoral, car de nombreux partisans de Bolsonaro sont également des fans de Trump », écrit Oliver Stuenkel, professeur au Centre de relations internationales à la Fondation Getulio Vargas basée à Sao Paulo, dans le journal El País, le 10 septembre.

M. Bolsonaro, qui doit prendre ses fonctions le 1er janvier, a en outre déclaré mardi qu’il ferait connaître d’ici à la fin du mois la composition de l’ensemble de son gouvernement. Pour les Affaires étrangères, le nom mis en avant est celui d’Ernesto Fraga Araújo, l’actuel chef du département États-Unis, Canada et affaires interaméricaines au ministère. C’est un article de 36 pages intitulé « Trump et l’Occident », publié en 2017 dans la revue diplomatique Cadernos de Política Exterior, qui a montré au camp de Bolsonaro à quel point le diplomate de 51 ans partage leur vision du monde, selon Reuters. M. Araújo argumente dans ce papier obtenu par L’OLJ que M. Trump « sauve la civilisation occidentale chrétienne de l’islam radical » et du « marxisme culturel mondialiste en défendant l’identité nationale, les valeurs familiales et la foi chrétienne, contrairement à l’Europe », et que « le Brésil a une chance de retrouver son “âme occidentale”, de s’appuyer sur le nationalisme de Trump et de défendre ses intérêts nationaux au lieu d’être lié à des blocs de nations ».

Suite aux propos de M. Bolsonaro sur le transfert de l’ambassade, l’Égypte a reporté la visite de l’actuel ministre brésilien des Affaires étrangères, Aloysio Nunes Ferreira Filho, citant des problèmes avec l’agenda des hauts fonctionnaires. D’autre part, un membre de la commission des Relations extérieures du Congrès brésilien, le sénateur Ricardo Ferraço, a considéré récemment que Bolsonaro avait fait cette promesse de façon « précipitée », « sans en mesurer les conséquences », et la Chambre de commerce arabo-brésilienne a d’ores et déjà affiché sa préoccupation, le Brésil étant le premier producteur au monde de viande halal au Proche-Orient. « Les évangélistes peuvent soutenir Bolsonaro dans sa politique vis-à-vis d’Israël, mais les gains sont néanmoins idéologiques et, vis-à-vis de la communauté arabe du Brésil, et la perception générale de la perte économique qu’engendrerait ce problème, je ne pense pas que les évangélistes puissent avoir un pouvoir suffisant pour soutenir Bolsonaro dans une telle politique », conclut néanmoins M. Rodrigues.


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LORSQU,ON EST ECONOMIQUEMENT DANS LA MERDE ON FAIT DE TOUT POUR EN SORTIR !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 49, le 08 novembre 2018

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Commentaires (4)

  • LORSQU,ON EST ECONOMIQUEMENT DANS LA MERDE ON FAIT DE TOUT POUR EN SORTIR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 49, le 08 novembre 2018

  • La preuve que israel est un pêcheur en eau trouble .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 45, le 08 novembre 2018

  • "Les positions favorables des évangélistes vis-à-vis de l’État d’Israël sont liées à une « lecture très littérale de la Bible, sans aucune mise en contexte historique », explique à l’AFP Ronilso Pacheco, chercheur en théologie à l’Université catholique..." Ces évangélistes lisent-ils aussi le Nouveau Testament? car s'ils le font, même une interprétation littérale devrait les faire changer d'avis vis-à-vis d'Israel, entité qui n'a aucune place dans la vision paulinienne du Christianisme!Les juifs attendent toujours la venue du "messie", alors que les chrétiens affirment qu'il est venu il y a deux mille ans! Mais il faut dire qu'en matière de religion, on peut admettre une chose et son contraire sans sourciller! Ah Lucrèce! comme tu avais raison: Tantum religio potuit suadere malorum...

    Georges MELKI

    10 h 37, le 08 novembre 2018

  • « ce travail s’est fait sur fond d’islamophobie importée des États-Unis depuis 2001, et d’amalgame entre musulman et arabe » en bref l'arroseur se retrouve arrosé puisque les arabes, dans leur guerre contre le Liban (Année 60 a ce jour...), eux, considèrent que arabe = musulmans! Pourquoi s'en plaindre aujourd'hui?

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 33, le 08 novembre 2018

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