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Moyen Orient et Monde - Algérie

Qui veut un cinquième mandat Bouteflika?

Dans un contexte de tensions inhabituellement mises au grand jour, le camp présidentiel semble persister à soutenir une candidature à sa propre succession du président algérien, malgré son état de santé.

Le président Bouteflika lors de l’élection présidentielle de 2014. Photo d’archives/AFP

Sera ou ne sera pas candidat ? Telle est la question que se posent les Algériens concernant la candidature éventuelle du président Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle d’avril 2019. Le président du plus grand pays arabe, africain et méditerranéen en termes de superficie, et dont la capitale était jadis qualifiée de « La Mecque des révolutionnaires » par l’homme politique bissau-guinéen Amílcar Cabral, est actuellement mis en avant par son camp pour briguer un cinquième quinquennat consécutif. Affaibli par les séquelles d’un accident vasculaire cérébral en 2013, et très rarement vu en public depuis, M. Bouteflika, 81 ans, ne s’est toutefois pas prononcé sur son avenir politique.

La « campagne présidentielle », débutée en avril dernier, soit presque un an avant l’élection présidentielle, se fait pour le moment à coups de déclarations de soutien pour la continuité et d’allégeance au chef de l’État. Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), parti présidentiel et ancien parti unique, avait le premier publiquement fait part du « souhait » et du « désir des militants » de son parti « de voir Bouteflika poursuivre son œuvre ». Il a été suivi par ses alliés du Rassemblement national démocratique (RND), parti du Premier ministre Ahmad Ouyahiya, par les islamistes du Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ), issu d’une scission avec le Mouvement de la société pour la paix (MSP), parti proche de la confrérie des Frères musulmans, et par la centrale syndicale UGTA, l’ancien syndicat unique.

Après les quelques mois d’accalmie concernant « la campagne », qui a coïncidé avec une période d’instabilité très inhabituelle dans les cercles du pouvoir, les déclarations ont repris de plus belle le mois dernier. Le porte-parole du RND, Seddik Chihab, avait estimé « impossible de trouver un président de consensus autre que Bouteflika » et qualifié de « nécessité politique » son maintien à la présidence le 27 octobre. Le même jour, le chef du Mouvement populaire algérien (MPA), Amara Benyounès, affirmait le soutien « absolu » et « sans conditions » de son parti à M. Bouteflika. M. Ould Abbès, qui avait initié le premier acte de la « campagne », n’a pas tardé à clôturer le second, en déclarant le lendemain : « Je le dis en tant que secrétaire général du parti, le candidat du FLN, pour l’élection présidentielle de 2019, c’est Abdelaziz Bouteflika. » Pour le quotidien électronique algérien Tout sur l’Algérie (TSA), « il y a des raisons de croire que les chefs des partis de la majorité ne font que jouer à qui se montrera le plus fidèle au président », à son poste depuis 1999, et qui a battu le record de longévité à la tête de l’État algérien.

Caractéristique de beaucoup de pays arabes et africains actuellement, la continuité est nécessaire pour les personnes au pouvoir, qui peuvent sauvegarder leurs intérêts économiques à travers leurs postes législatifs et exécutifs. L’Algérie, le 112e pays le plus corrompu au monde selon le dernier rapport de l’ONG Transparency international, ne semble pas faire office d’exception. « Le régime a créé un système bien huilé, qui s’autoperpétue », estime l’analyste du Carnegie Middle East Center Dalia Ghanem-Yazbeck, interrogée par L’Orient-Le Jour. Mais la continuité du régime algérien semble être synonyme du maintien du président Bouteflika en personne, selon le président du parti algérien d’opposition Jil Jadid, également interrogé par L’OLJ. « Depuis son arrivée à la présidence de la République, Bouteflika a usé de tous les moyens pour annihiler toute possibilité de changement en utilisant des hommes redevables et serviles sans permettre à quiconque de gagner en crédibilité et en popularité », estime Soufiane Djilali, pour qui les réseaux dont s’est entouré M. Bouteflika sont « incapables de fonctionner en dehors de son parrainage personnel ou celui de sa fratrie ».

Les événements récents concernant des personnes de haut rang mettent en lumière des luttes intestines de plus en plus intenses pour le contrôle de l’État. L’enquête sur la saisie de 701 kg de cocaïne au port d’Oran en mai dernier dissimulés dans une cargaison de « viande halal », appartenant à l’homme d’affaires Kamel Chikhi, est toujours en cours, mais a conduit pour le moment à la suspension de 11 magistrats. Elle a aussi conduit à des arrestations, dont celle du fils d’un ancien Premier ministre et du chauffeur du patron de la Police nationale (DGSN), selon le quotidien algérien el-Watan, ce que le ministère de l’Intérieur dément, évoquant « un simple chauffeur ».


(Pour mémoire : Des politiques et des intellectuels appellent Bouteflika à "renoncer" à un 5e mandat)


Continuité et stabilité
Le mois dernier, cinq généraux à la retraite ont été arrêtés pour « enrichissement illicite » et pour « abus de pouvoir », sans faire de lien direct avec l’affaire de la saisie de cocaïne. La particularité de cette affaire est le statut de ces généraux : un ancien chef de la gendarmerie nationale, deux anciens chefs de région militaire, un ancien chef de district et surtout l’ancien directeur des finances du ministère de la Défense, qui avait été remercié par le président Bouteflika en juillet dernier sans spécifier de raison officielle. Le troisième épisode inhabituel a été la destitution du président de l’Assemblée populaire nationale (APN), membre du FLN, après un coup de force des députés, et son remplacement par un autre membre du FLN. Cet épisode a été qualifié de « délirant » par Fatiha Benabbou, professeure de droit à l’Université d’Alger, qui a expliqué au journal Le Monde le 24 octobre que le constat de vacance de la présidence de l’Assemblée « n’a pas été établi juridiquement selon les règles ». La stabilité du troisième pays africain en termes de réserves de pétrole et du 10e mondial en termes de réserves de gaz est aussi cruciale pour les puissances étrangères, en particulier les chancelleries occidentales. L’Algérie est le partenaire stratégique dans la lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel occidental, une région qui fournit un quart des besoins en minéraux de l’Union européenne, presque autant des besoins en uranium aux 58 réacteurs nucléaires en France. La stabilité de l’Algérie est aussi importante pour le dossier migratoire européen.

Le Forum des chefs d’entreprise (FCE) algérien, principale organisation patronale, a appelé « avec sincérité, respect et déférence » M. Bouteflika « à poursuivre son œuvre en se présentant à l’élection présidentielle de 2019 », dans un communiqué publié le 6 octobre, quelques jours après que son patron, Ali Haddad, a publié une tribune dans le quotidien économique français Les Échos, appelant les investisseurs étrangers à venir s’installer en Algérie. Le lendemain de la publication du communiqué, les entreprises française Total et algérienne Sonatrach ont annoncé la signature d’un accord pour une exploitation d’un site sur le champ pétrolifère d’Erg Issouane (environ 1200 km au sud-est d’Alger), pour une valeur de 400 millions de dollars, qui se situe à 20 km d’un site exploité depuis 1999 par un joint-venture de Total, Sonatrach et l’espagnol Repsol.

Le contexte de volonté de continuité et de stabilité pour des intérêts en Algérie et parmi les puissances internationales, ainsi qu’une certaine personnalisation du pouvoir autour de M. Bouteflika, expliquent en partie la persistance de responsables à vouloir reconduire ce dernier à la présidence. Et ce malgré son âge et son état de santé. Il est par ailleurs difficile de savoir si les tiraillements internes n’en sont qu’à leurs débuts, dans un pays où les coulisses du pouvoir sont généralement silencieuses.



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Sera ou ne sera pas candidat ? Telle est la question que se posent les Algériens concernant la candidature éventuelle du président Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle d’avril 2019. Le président du plus grand pays arabe, africain et méditerranéen en termes de superficie, et dont la capitale était jadis qualifiée de « La Mecque des révolutionnaires » par l’homme...

commentaires (2)

En discutant avec mes amis algériens de ce problème du renouvellement du mandat de M.Bouteflika...ils me disent: "on a honte...mais on ne peut rien faire !" Un peu comme nous...Libanais...on a honte...mais...on ne peut ou...ne veut rien faire ! Irène Saïd

Irene Said

15 h 40, le 05 novembre 2018

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Commentaires (2)

  • En discutant avec mes amis algériens de ce problème du renouvellement du mandat de M.Bouteflika...ils me disent: "on a honte...mais on ne peut rien faire !" Un peu comme nous...Libanais...on a honte...mais...on ne peut ou...ne veut rien faire ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 40, le 05 novembre 2018

  • Il faut juste comprendre que sur un plan pratique, un homme de 85 ans se déplaçant sur un fauteuil, passe chaque jour 2 à 3 heures avec ses infirmiers ou infirmières pour son hygiène et sa santé.... Physiquement amoindrie, ses reflexes, voir ses prises décisions en seront réduits. En orient c'est le culte de l'homme qui prévaut et une fois un politique élu, on ne voit que ses affiches à chaque bout de la rue. Il n'est pas rare de voir se renouveler 4, 5 ou 6 mandats pour un seul homme... Le pouvoir et les hommes politiques c'est un amour sans partage jusqu'à la mort.... Démocratie, jeunesse, renouvellement... Ce sont des mots inconnus dans le dictionnaire de ces messieurs.

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 18, le 05 novembre 2018

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