Il s’en est fallu de peu pour que le gouvernement voie le jour hier. Mais c’est encore une fois partie remise. Durant la journée pourtant, tout prêtait à croire que le troisième cabinet Hariri serait formé incessamment. Tous les nœuds qui jusque-là avaient empêché le Premier ministre désigné de mener à bien sa mission ont été défaits… à une exception près, la représentation des députés sunnites prosyriens. Une fois de plus, un coup de théâtre de dernière minute a remis les compteurs à zéro, reportant la naissance du gouvernement sine die, envers et contre tous les efforts de Saad Hariri.
Et pour cause : le Hezbollah a ressorti de son chapeau le lapin de la représentation des députés sunnites du 8 Mars, insistant sur la nécessité de leur intégration à la future équipe ministérielle.
Partant, en acceptant de faire partie du cabinet, en dépit de toutes les tentatives de réduire le poids des Forces libanaises afin d’en minimiser l’influence en Conseil des ministres, le leader des FL Samir Geagea a fait d’une pierre deux coups : d’une part, il a fait barrage aux tentatives de garder son parti en dehors du cabinet, et de l’autre, il a mis le Hezbollah au pied du mur.
Le parti de Hassan Nasrallah a longtemps renvoyé la balle du blocage gouvernemental dans le camp de Meerab, l’accusant d’amplifier son poids politique pour augmenter sa quote-part ministérielle. Sauf que l’obstacle de la représentation des FL a été franchi. Mais le cabinet n’a toujours pas vu le jour. Cela fait dire à certains que la journée d’hier a prouvé que le Hezbollah continue de bloquer le processus, afin d’exercer des pressions supplémentaires sur M. Hariri, en vue d’aboutir à un cabinet déséquilibré en faveur du parti chiite et de ses alliés.
D’ailleurs, certains milieux politiques estiment que la future équipe ministérielle sera largement avantageuse pour le camp syro-iranien. On en veut pour preuve la répartition (toujours sujette à des modifications de dernière minute) des postes ministériels. À en croire les spéculations médiatiques, le 8 Mars obtiendrait 18 ministres répartis comme suit : 10 ministres au tandem Baabda-CPL, un Marada, six relevant du tandem Amal-Hezbollah. Un lot auquel il faudrait ajouter un druze qui devrait être nommé par le président de la République, Michel Aoun.
En face, les forces appartenant au camp souverainiste obtiendraient douze ministres, répartis de la façon suivante : quatre FL, deux relevant du Parti socialiste progressiste et six gravitant dans l’orbite du courant du Futur.
C’est sous cet angle qu’il conviendrait donc de placer la nouvelle épreuve de force à laquelle s’est livré le Hezbollah face au Premier ministre. Pour certains observateurs, il s’agit d’une façon pour le parti chiite de garantir l’obtention du tiers de blocage au sein du cabinet, tout comme il est parvenu à remporter – avec ses alliés – une majorité parlementaire lors des législatives de mai dernier. D’ailleurs, certains milieux du Hezbollah ont indiqué hier à la chaîne OTV que celui qui a attendu des mois pour intégrer les FL au cabinet peut patienter quelques jours afin de trouver une issue à la question des sunnites « indépendants ». Selon certains médias locaux, la formation chiite a même été jusqu’à refuser de remettre à la Maison du Centre la liste de ses ministrables avant le règlement du problème sunnite. Sauf que contrairement à ce qu’aurait pu espérer le Hezbollah, une source bien informée indique à L’Orient-Le Jour que le chef de l’État continue de refuser d’inclure un député sunnite antiharirien dans son lot, à l’heure où l’on évoquait un possible élargissement du cabinet à 32 ministres, afin d’inclure les détracteurs du courant du Futur, mais aussi les alaouites et les minorités.
En dépit de ce tableau, Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, s’est employé à distiller un climat d’optimisme relatif quant à une proche formation du cabinet. S’exprimant lors d’une cérémonie au Liban-Sud, M. Raad a déclaré que « le cabinet verra le jour cette semaine, après cinq mois d’attente ».
(Lire aussi : Les FL officialisent les noms de leurs quatre ministrables)
La représentation FL
Quoi qu’il en soit, Saad Hariri semble déterminé à ne pas céder à la pression du parti chiite. C’est ce qu’assure à L’OLJ un proche du Premier ministre. Selon lui, « la décision de Samir Geagea a mis le Hezbollah au pied du mur, dans la mesure où ses alliés sunnites l’ont exhorté à exercer un forcing pour les intégrer au cabinet ».
Pour ce qui est des FL, elles n’ont pas tardé à mettre les propos de Samir Geagea en pratique. Ainsi, quelques heures après l’annonce de sa décision, le leader des FL a dépêché le ministre sortant de l’Information, Melhem Riachi, à la Maison du Centre pour un entretien avec M. Hariri, en présence du ministre sortant de la Culture Ghattas Khoury. L’occasion pour M. Riachi de remettre au chef du gouvernement les noms des futurs ministres FL ainsi que leurs confessions et les portefeuilles qu’ils détiendront, tels que voulus par le directoire du parti, comme l’a souligné M. Riachi à l’issue de sa rencontre avec le Premier ministre, notant que ce dernier est entré en contact par téléphone avec le chef des FL pour le remercier des « sacrifices » en faveur de la mise sur pied du cabinet.
Contrairement à l’écrasante majorité des formations politiques, les FL ont communiqué à la presse les noms de leurs ministrables. Une façon pour Meerab d’exhorter Saad Hariri à aller de l’avant dans la formation de son équipe en dépit de toutes les entraves et d’officialiser ses ministrables. Il s’agit de Ghassan Hasbani (vice-présidence du Conseil), May Chidiac (Culture), Richard
Kouyoumjian (Affaires sociales) et Camille Abousleiman (Travail). Dentiste, M. Kouyoumjian est ancien directeur de l’information au sein du conseil politique des FL (à l’étranger) et candidat malheureux au siège arménien-catholique de Beyrouth I lors des dernières législatives. Quant à M. Abousleiman, fils du brillant parlementaire et ancien président de la Ligue maronite Chaker Abousleiman, c’est un grand avocat, associé principal à Dechert, un des plus grands cabinets d’avocats internationaux. En 2016, il a été nommé parmi les « dix avocats financiers les plus innovateurs de l’Europe, et récompensé en 2017 par le premier “Lifetime Achievement Award” de l’International Financial Law Review ».
Contacté par L’OLJ, un cadre FL a assuré que quels que soient les portefeuilles accordés à la formation, celle-ci est satisfaite d’avoir pu intégrer le gouvernement pour en assurer l’équilibre, se félicitant des bons rapports entre Meerab et Saad Hariri.
Notons enfin que le Premier ministre désigné est entré en contact par téléphone avec Michel Aoun. Les deux hommes ont « évalué » les développements gouvernementaux, selon la chaîne MTV. S’exprimant lors d’un dîner à Achrafieh, M. Hariri s’est contenté d’exprimer l’espoir d’un cabinet « dans les prochains jours, après avoir franchi tous les obstacles ».
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commentaires (16)
A lapins sunnites quelques lapins chrétiens indépendants. Seulement quelques uns. Deux fois plus nombreux que nos frères sunnites. Que dis-je? Deux fois? un peu plus etc....etc.... Pardon, ces derniers chrétiens sont tapis. Comme il se doit. Wayna madame Haddad? La Défense du veuf et de l’orphelin? Pas dans la littérature perse. Remarquez, défense en Majuscule. Vivement un conseil des ministres de 128 ministres représentés. Bala Akl hawa...
Evariste
23 h 28, le 31 octobre 2018