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Liban - Les échos de l’Agora

Orthodoxie de toutes les Russies

La crise au sein des Églises orthodoxes refléterait-elle un problème plus profond qui touche à l’identité nationale, voire nationaliste panslaviste, en Europe centrale et orientale ? Le monde de l’orthodoxie est insuffisamment connu par le public non concerné. Et pourtant, depuis la chute de l’URSS, cette dernière constitue un enjeu politique majeur en Europe ainsi qu’au Levant. La politique extérieure de la Russie est suffisamment démonstrative en la matière, notamment sur les territoires connus comme étant ceux de la « Rûs » de jadis ou « toutes les Russies ». Au cours de l’histoire, ces terres, majoritairement orthodoxes, ont relevé de plusieurs pouvoirs politiques. Ainsi, on connaît la Rûs de Kiev, ou Russie d’origine, ainsi que celle de Novgorod puis celle de Moscou sans oublier la Russie sub-carpathique d’Ukraine occidentale ou Ruthénie, qui a longtemps relevé du Royaume (catholique) de Pologne-Lithuanie.

La Rûs fut christianisée par le patriarcat œcuménique de Constantinople suite au baptême du prince Vladimir à Kiev en 988 qui s’est immergé dans les eaux du Dniepr avec tout son peuple. C’est ce baptême collectif qui constitue l’acte fondateur de l’unité du peuple chrétien de la Rûs. Depuis l’époque de saint Vladimir, les terres russes furent administrées par un prélat que Constantinople, l’autorité de tutelle, envoyait à Kiev dont elle avait fait une métropole ecclésiastique de premier rang. Suite aux invasions des Tatars mongols (1262-1480), l’unité des terres russes fut rompue. Elles seront libérées par le prince de Moscou Ivan III (1436). Cependant, dès 1448, l’évêque Jonas fut nommé métropolite de Moscou sans l’autorisation du patriarcat de Constantinople. Dès cette époque, et suite à la chute de Constantinople en 1453, émergea la théorie de « Moscou troisième Rome » grâce au moine Philothée de Pskov. En 1589, Boris Godounov, champion de l’indépendance nationale des peuples de la Rûs, crée le patriarcat de Moscou, comme Église autocéphale, facilitant ainsi le morcellement du patriarcat œcuménique. Les peuples de Ruthénie choisirent de s’unir à Rome en 1596 à Brest-Litovsk (la Minsk actuelle en Biélorussie) devenant ainsi des grecs-catholiques. Constantinople finit par accepter le fait accompli et accepta de placer les orthodoxes d’Ukraine (Rûs de Kiev) sous la bonne garde de Moscou en 1686. Peu après, le tsar Pierre le Grand mettra fin à l’institution du patriarcat de Moscou. L’Église de la Rûs sera administrée jusqu’en 1917 par un synode d’évêques sous la coordination d’une personnalité laïque nommée par le tsar. Après les remous et les troubles de la révolution bolchevique, un nouveau patriarcat de « Moscou et de toutes les Russies » sera refondé par Staline en 1943, lequel d’ailleurs intégrera de force les « uniates » (grecs-catholiques) de Ruthénie sous l’autorité de cette juridiction. Ces derniers retrouveront leur autonomie après la chute de l’URSS.

En Ukraine existent plusieurs juridictions ecclésiastiques orthodoxes. Dès 1920 et la révolution bolchevique, une église autonome ukrainienne a vu le jour. Cependant, les paroisses situées à l’Est sont rattachées au patriarcat de Moscou qui les considère plutôt comme nationalement russes et non comme ukrainiens. Après la chute de l’URSS, un patriarcat de Kiev fut autoproclamé en 1992. Le 11 octobre dernier, le Saint-Synode du patriarche de Constantinople, primat de l’orthodoxie, a reconnu le patriarcat de Kiev et annulé le décret de 1686 mettant les orthodoxes d’Ukraine sous tutelle moscovite. Moscou a, depuis, rompu la communion avec Constantinople lors d’un synode tenu à Minsk (Brest-Litovsk) en Biélorussie.

Il existe, dans l’orthodoxie russe, un substrat de « messianisme » qui joue un rôle non négligeable en géopolitique. Une certaine espérance eschatologique imprègne les écrits de plusieurs penseurs comme Konstantin Leontiev, Fiodor Tiouttchev ou Alexandre Douguine. La théorie de Moscou troisième Rome est souvent invoquée aujourd’hui, à la fois contre l’ancienne Rome latine tombée dans l’erreur dogmatique, mais aussi contre Constantinople, la nouvelle Rome byzantine, tombée sous l’occupation turque. Ainsi la Moscou orthodoxe s’inscrirait dans le plan de l’économie divine. Les événements historiques, comme les 70 ans de communisme, sont peu de choses. Le plan de Dieu est ailleurs, il est dans l’immobilité de l’éternité. C’est pourquoi l’orthodoxie, sur l’immensité des terres russes (Russkaya Zemlya), sur ces plaines sans frontières à l’horizon, apparaît comme un facteur primordial de l’unité organique de la terre-mère de la Rûs (Rossia Matouchka). C’est pourquoi on entend souvent parler de la « Sainte Russie » et de son destin perpétuel : morcelée par les ennemis ; occupée par les envahisseurs, cette terre-mère demeure inaltérée dans son unité indissociable grâce à son identité orthodoxe (Pravoslavnaya).


La crise au sein des Églises orthodoxes refléterait-elle un problème plus profond qui touche à l’identité nationale, voire nationaliste panslaviste, en Europe centrale et orientale ? Le monde de l’orthodoxie est insuffisamment connu par le public non concerné. Et pourtant, depuis la chute de l’URSS, cette dernière constitue un enjeu politique majeur en Europe ainsi qu’au Levant. La...

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