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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment les Kurdes imposent leur domination aux chrétiens dans le Nord syrien

Fermeture d’écoles, arrestations, intimidations... Les Assyriens et autres minorités dans le Rojava sous haute pression.

Des combattants kurdes en position dans le village assyrien de Tel Jumaa, le 25 février 2015, dans la province de Hassaké en Syrie. Rodi Said/Reuters

Les chrétiens du nord-est de la Syrie ne savent plus à quel saint se vouer. Minoritaires dans une région dominée aujourd’hui par les forces kurdes, les Assyriens sont en proie à une répression de la part des autorités de la province autonome de facto. À la faveur de leur lutte contre l’EI, les Kurdes ont pu accroître leur domination dans l’Est syrien et ainsi gagner en autonomie vis-à-vis du régime avec lequel ils entretiennent des relations ambivalentes. Les Forces démocratiques syriennes (FDS, à majorité kurdes et soutenues par Washington) jouent leur propre carte en Syrie dans le but d’établir le grand Rojava, une zone autonome a la frontière syro-turque. C’est plus précisément dans le canton d’el-Jeziré que le ton est monté entre la minorité religieuse et les FDS, notamment à cause de la promulgation de plusieurs décrets cet été, jugés « nuls et non avenus » par les différentes Églises, concernant la gestion des écoles privées. Des opposants assyriens sont, depuis, la cible de la police du gouvernement autonome.

Fin août, plusieurs établissements se sont vu fermer leurs portes par les autorités en place, avant que la population et les chefs communautaires ne manifestent leur indignation et leur refus de se plier aux lois du Rojava. Après avoir mis la main sur près d’une centaine d’écoles gouvernementales afin d’y imposer leur programme scolaire, les Kurdes espéraient parvenir à faire plier les écoles chrétiennes à Qamechli, à Darbassiya et à Malikiya. Le parti de l’Union syriaque, qui a rejoint la coalition kurde du PYD (Parti de l’union démocratique, considéré par Ankara comme la branche syrienne du PKK terroriste), a été envoyé pour imposer ses propres enseignants et un même corpus scolaire aux directeurs de ces écoles qui accueillent des enfants de toutes les communautés religieuses. « Ils veulent désormais qu’on refuse les enfants kurdes sous prétexte qu’ils iront dans leurs propres écoles. Et le dernier décret en date stipule que tout fonctionnaire de la région autonome qui enverrait ses enfants dans des écoles suivant le programme de l’État devra payer une amende d’un million de livres syriennes et recevra une peine de prison de trois mois », déplore Mgr Benham Hindo, évêque syro-catholique de Hassaké, contacté par téléphone. « Nous refusons de nous soumettre à leurs diktats et continuerons à résister à la domination kurde. Ils veulent nous voler notre terre, notre langue et notre culture, en somme nous faire partir », poursuit-il.


(Lire aussi : En Syrie, le cursus scolaire fait polémique dans les régions kurdes)


Police assyrienne

De nombreuses voix dissidentes se sont élevées contre ces agissements jugés « hostiles », mais elles ont rapidement été réprimées par la force. Un intellectuel assyrien et coordinateur au sein du système éducationnel syriaque, Issa Rachid Issa, a ainsi été passé à tabac le 22 septembre par la Sutoro, force de police assyrienne, intégrée aux Asayech, la police kurde. Le directeur d’une école de Malikiya, Charbel Michel Saliba, a quant a lui été détenu pendant cinq heures le 1er octobre. Une autre personnalité, Sleiman Youssef, un journaliste et activiste de Qamechli, opposant au régime de Damas, a été emmené la veille par la police, sans la moindre explication. « Vers 20h dimanche dernier, trois pick-up ont débarqué devant chez nous et des hommes armés de la Sutoro ont demandé après mon père. Ils ont mis à sac la maison sans que l’on comprenne ce qu’ils voulaient y trouver, puis ils sont partis avec les ordinateurs et nos téléphones portables et ont emmené notre père », raconte Serin Youssef, l’un de ses fils, témoin de la scène, contacté via Facebook. « Cela fait des années que notre père s’oppose ouvertement dans ses écrits au Parti syriaque et aux Kurdes, refusant de vivre sous leur joug, mais c’est la première fois qu’ils s’en prennent à lui de la sorte », déplore son autre fils Emarceen, refugié en Allemagne, également contacté par L’OLJ. Le journaliste avait ouvertement dénoncé la fermeture des écoles assyriennes de la région et fait part d’actes d’intimidation de la part des autorités en place. « Les soutiens de notre père sont nombreux, mais beaucoup ont peur de critiquer les autorités », confie Serin. Alors que le sort des écoles, rouvertes provisoirement, est aujourd’hui suspendu à la décision de prochains pourparlers au sein d’une commission initiée par Mgr Hindo avec les autorités, la détention arbitraire de Sleiman Youssef est venue jeter plus d’huile sur le feu. En fin de soirée hier, on apprenait la libération du journaliste assyrien. Contacté par L’OLJ, le PYD n’a pas donné suite.

« Les Kurdes ont fait porter le chapeau de la fermeture des écoles au Parti syriaque. Nous traitons aujourd’hui directement avec Saleh Muslim (fondateur du PYD) afin de régler la question à travers une commission », précise l’évêque de Hassaké. Cherchant à calmer les esprits, la Sutoro affirme dans son dernier communiqué vouloir protéger toutes les communautés religieuses et défendre la liberté de pensée. « La plupart des chrétiens ne sont pas d’accord avec l’attitude du Parti syriaque, qu’ils perçoivent comme un groupe de traîtres allant contre les intérêts de leur communauté, même s’ils affirment le contraire », renchérit Emarceen. « Les chrétiens de la région ne veulent ni des Kurdes ni du régime, dont le comportement est similaire », estime le jeune homme.


(Lire aussi : Les Kurdes syriens vont poursuivre le dialogue avec le régime)


Mgr Hindo accuse les forces kurdes de vouloir soumettre à tout prix les populations locales. Un comportement qui ne date pas d’hier. Dans cette région contrôlée par les Kurdes depuis plusieurs années, cohabitent des minorités arabes, assyriennes, syriaques et d’autres communautés plus petites comme les Arméniens, les yézidis, les Turkmènes et les Circassiens. « Le 18 août 2015, un sniper des forces kurdes m’a tiré dessus, j’en garde la trace. Et aujourd’hui encore, notre évêché est entouré par de nouveaux snipers », fustige Mgr Hindo, qui dit rejeter l’autorité du gouvernement kurde. Selon lui, tout indique qu’un projet pour faire fuir les chrétiens de la région est toujours en cours.

Le 23 février 2015, le groupe État islamique s’empare de près de 14 villages assyriens, jetant des milliers de personnes sur les routes. « L’armée syrienne était à 500 mètres de la route de montagne où sont passés les convois de Daech (acronyme arabe de l’EI) mais pas une seule rafale de kalachnikov n’a été tirée pour extirper les gens de leur sommeil », accuse Mgr Hindo. Un sentiment d’abandon exprimé vis-à-vis d’un régime qui « ne peut rien faire » aujourd’hui par rapport aux ambitions hégémoniques des Kurdes. « J’ai même envoyé un mémorandum à Sotchi – ayant été invité mais n’ayant pas pu y aller – dont la plus grande partie traite de la question des Kurdes », ajoute l’évêque. La communauté internationale, « inerte face au sort des chrétiens syriens », est également pointée du doigt. L’évêque syro-catholique ne parvient plus aujourd’hui à avoir un décompte fiable de ses ouailles. « Nous avons tous les jours des demandes de copie de certificat de baptême, car les gens ne pensent qu’à une chose, c’est partir », déplore Mgr Hindo.



Repère

Les Kurdes de Syrie, longtemps marginalisés, autonomes de facto dans le Nord

Les chrétiens du nord-est de la Syrie ne savent plus à quel saint se vouer. Minoritaires dans une région dominée aujourd’hui par les forces kurdes, les Assyriens sont en proie à une répression de la part des autorités de la province autonome de facto. À la faveur de leur lutte contre l’EI, les Kurdes ont pu accroître leur domination dans l’Est syrien et ainsi gagner en autonomie...

commentaires (9)

"Contacté par L’OLJ, le PYD n’a pas donné suite." - C'est dommage que la coalition kurde du PYD (Parti de l’union démocratique) ne donne pas leur vue sur la situation et ce dispute en concernant le programme scolaire ... J'apprecie qu'on dit clairement qui sont les sources dans cet article , mais si j'ai bien compris le PYD ne donne pas leur vue contacté par L’OLJ. Ce que je me demande aussi c'est si une organisation comme le PYD utilise anglais ou francais ou arabe ou kurde en communication , je suppose qu'avec le OLJ c'est en arabe ou francais ... sauf si le OLJ maitrise aussi le kurde ou une des langues kurdes. Finallement je soupconne (je me trompes peut-etre) qu'une organisation kurde se mefie de la presse libanaise ?

Stes David

21 h 49, le 06 octobre 2018

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Commentaires (9)

  • "Contacté par L’OLJ, le PYD n’a pas donné suite." - C'est dommage que la coalition kurde du PYD (Parti de l’union démocratique) ne donne pas leur vue sur la situation et ce dispute en concernant le programme scolaire ... J'apprecie qu'on dit clairement qui sont les sources dans cet article , mais si j'ai bien compris le PYD ne donne pas leur vue contacté par L’OLJ. Ce que je me demande aussi c'est si une organisation comme le PYD utilise anglais ou francais ou arabe ou kurde en communication , je suppose qu'avec le OLJ c'est en arabe ou francais ... sauf si le OLJ maitrise aussi le kurde ou une des langues kurdes. Finallement je soupconne (je me trompes peut-etre) qu'une organisation kurde se mefie de la presse libanaise ?

    Stes David

    21 h 49, le 06 octobre 2018

  • et les chrétiens libanais!? ils ne sont pas respecter ?

    Bery tus

    02 h 42, le 06 octobre 2018

  • De tout le monde arabe réuni , il faut le reconnaître , les chrétiens de Syrie , d'ailleurs plus veinards que ceux du Liban ,sont les plus respectés .Ils ont au moins la latitude de pratiquer leur religion paisiblement . Quant aux autres ,leur existence dans cette region hostile et sectaire fut jalonné ,à travers l'histoire, de persécutions et de massacres de tous genres .Dailleurs , la situation des coptes d'Égypte en est l'exemple vivant de la barbarie révoltante des fanatiques .

    Hitti arlette

    16 h 54, le 05 octobre 2018

  • Je savais que les turcs avaient utilisé les kurdes pour massacrer les Arméniens je pensais pas qu'ils continuent encore quel melting-pot ce Moyen Orient

    Eleni Caridopoulou

    16 h 10, le 05 octobre 2018

  • On en arrive à regretter le temps où un Saddam Hussein tenait son pays d'une main de fer...connaissant trop bien les mentalités de toutes ces minorités...où en est l'Irak, à présent qu'il n'est plus là ? La même chose est en train d'arriver en Syrie...et le Liban risque d'y passer aussi, si on ne fait pas attention ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 38, le 05 octobre 2018

  • oh que l'histoire doit rester dans notres memoire, a jamais. ces memes kurdes avaient fait la pluie,le beau temps et toutes sortes de crimes dans les 1eres annees de notre guerre dans la region Kantari, clemenceau s'attaquant essentiellement aux residents chretiens de ces regions. kurdes qui bien entendu faisaient parti des nationalistes pro yasser arafat, Libanais , Le mouvement national de triste nom.

    Gaby SIOUFI

    09 h 53, le 05 octobre 2018

  • C'est un peu surprenant de la part des kurdes ... Tout est question d'intelligence et de stratégie à long terme... Pour gagner son indépendance il faut savoir fédérer et s'attirer des "amis"(alliance) De cette manière... En privant les minorités de leurs droits le Kurdistan n'est pas prêt de naître. Les kurdes ne doivent pas commettre les mêmes erreurs de leurs bourreaux turcs.

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 44, le 05 octobre 2018

  • LES KURDES SONT AUSSI DES FANATIQUES... N,OUBLIONS PAS QUE LES NOUVEAUX TURCS OTTOMANS AVAIENT UTILISE LES KURDES POUR MASSACRER LES ARMENIENS ET S,EMPARER DE LEURS VILLAGES ET S,APPROPRIER LEURS BIENS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 35, le 05 octobre 2018

  • Les forces syriennes du héros Bashar reculent et on assiste à une mise au pas des minorités. Quelque soit la force qui domine la région en question fusse t elle des wahabites de daesh ou des kurdes. Y a t il encore des partisans de ce Kurdistan après la lecture de cet article ? Regardez les puissances qui sont derrière ces trucs barbares .

    FRIK-A-FRAK

    08 h 14, le 05 octobre 2018

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