La fermeture du groupe Dar Assayad, fondé en 1954 par un grand nom du journalisme au Liban, Saïd Freiha, est un énième couteau planté dans la gorge de la presse écrite libanaise. Les marchands de kiosques à journaux, qui se raréfient à vue d’œil dans les rues des villes, ont désormais un quotidien de moins à exposer sur leurs rayons : al-Anouar. Ce journal n’est pas le premier – et ne semble pas à être le dernier – à disparaître du paysage médiatique.
Le dernier numéro du quotidien as-Safir a paru le 31 décembre 2016 après 42 années d’existence. Le quotidien al-Ittihad qui a sorti son tout premier numéro en octobre 2017 a tiré sa révérence trois mois après. Le prestigieux quotidien panarabe al-Hayat, fondé à Beyrouth en 1946, a fermé le bureau de la capitale libanaise qui employait une centaine de personnes, dont la moitié est composée de journalistes. Et la liste est ouverte…
Partout dans le monde, la presse écrite est en crise. Dans ce contexte, qu’a l’intention de faire l’État libanais ?
À l’heure où le président de la République, Michel Aoun, se contente de déplorer la situation de la presse écrite au Liban, des avant-projets de loi pour venir en aide aux organes de presse attendent, depuis plus d’un an, de figurer à l’ordre du jour des séances du Conseil des ministres.
Depuis plus d’un an, le ministre de l’Information, Melhem Riachi, a présenté au gouvernement six textes portant sur des mesures concrètes susceptibles de réduire les coûts des quotidiens libanais. Mais ces textes n’ont jamais été placés à l’ordre du jour des séances gouvernementales. Ils portent essentiellement sur diverses mesures concrètes : exemptions fiscales, exemptions douanières sur l’importation de papier, tarifs réduits pour les factures de téléphone et d’internet, facilités au niveau des cotisations à la Sécurité sociale (CNSS) et, surtout, un soutien équivalent à 500 livres par numéro vendu.
Exemption de taxes
Interrogé sur les raisons pour lesquelles ces avant-projets de loi n’ont pas été discutés par le gouvernement, Émile Geagea, consultant légal de M. Riachi, évoque pour L’Orient-Le Jour « un blocage sur fond de tiraillements politiques qui se reflètent au sein du cabinet », insinuant que certaines parties cherchaient à empêcher les ministres des Forces libanaises de travailler. Ces mêmes textes auraient-ils donc été discutés en Conseil des ministres si le ministre de l’Information n’était pas FL ? Dans certains milieux on pense que oui.
De même, le projet relatif à la demande de pallier la pénurie des médicaments pour le cancer au ministère de la Santé n’aurait-il pas été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres si le titulaire, en l’occurrence Ghassan Hasbani, n’était pas lui aussi un membre du même parti ? S’ils avaient été adoptés en Conseil des ministres puis votés à la Chambre, les textes présentés par M. Riachi auraient peut-être pu sauver Dar Assayad et d’autres organes de la presse écrite et épargné à des centaines de journalistes des licenciements à la pelle. « De toute façon, ces projets ne peuvent plus être débattus par le gouvernement depuis que celui-ci est chargé d’expédier les affaires courantes », ajoute Émile Geagea, soulignant que certaines parties s’emploient à occulter ou banaliser la crise de la presse écrite.
Pour cela, M. Riachi a décidé lundi d’ouvrir la voie à une saisine directe du Parlement des textes qu’il avait soumis au gouvernement. Ainsi, deux propositions de loi seront transmises à la Chambre des députés sous le chapitre de la législation de nécessité. La première, difficilement réalisable à l’heure actuelle aux yeux mêmes de ses promoteurs en raison de la crise, consiste à augmenter les recettes des quotidiens libanais en offrant une aide de 500 livres libanaises pour chaque numéro vendu, d’une part, et à ce que l’État se substitue aux employeurs face à la CNSS, d’autre part. La seconde, plus réaliste, vise à exempter les journaux des taxes financières, municipales, douanières et de la TVA.
M. Riachi a également mis en place un comité ad hoc qui assurera le suivi nécessaire auprès des trois pôles du pouvoir et des responsables concernés. Le comité est composé, outre M. Riachi, du directeur général du ministère Hassan Falha, des présidents de l’ordre de la presse Aouni el-Kaaki et du syndicat des rédacteurs Élias Aoun, ainsi que des responsables des principaux quotidiens libanais, Nayla Tuéni, Michel Touma, Nadim Ladki, Ibrahim el-Amine, Khalil Khoury, Amer Machmouchi, Georges Bkassini et Radwan el-Dib.
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commentaires (7)
Comme en Europe tout quotidien pour survivre doit offrir une plate-forme d'échanges aux gens et des solutions à leurs difficultés quotidiennes? Essayons.
Antoine Sabbagha
18 h 15, le 03 octobre 2018