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Liban - Éclairage

Sanctions US contre le Hezbollah : des risques pour l’État libanais ?

La nouvelle motion Hifpa votée par la Chambre des représentants vise toute personne qui « soutient » activement le parti chiite et place de hauts responsables politiques du parti en ligne de mire.

Les nouvelles sanctions contre le Hezbolah adoptées mercredi par la Chambre des représentants doivent encore être avalisées par le Sénat puis par le président américain. REUTERS/Leah Millis/File Photo

Depuis 2015, date de la promulgation de la première motion portant des sanctions américaines contre le Hezbollah, dite Hifpa (Hezbollah International Financing Prevention Act), des amendements y sont apportés dans le sens d’un durcissement palpable d’année en année.

Les nouvelles sanctions adoptées mercredi par la Chambre des représentants (et qui doivent encore être avalisées par le Sénat puis par le président américain) viennent élargir encore le cercle des personnes, physiques ou morales, visées par ces sanctions pour leur lien présumé avec le Hezbollah. Ce lien est désormais défini par le texte sous l’angle du « soutien » (« support » en anglais) significatif à caractère financier, matériel ou technologique qu’une personne apporterait soit à des entités nommément énumérées par la loi, soit à des personnes dont le lien avec le Hezbollah est établi discrétionnairement par le président américain (qui décide d’imposer les sanctions, le cas échéant), soit à des personnes appartenant à ou contrôlées par l’une des personnes susmentionnées.

La liste des entités nommément associées au Hezbollah a été élargie par rapport à la liste précédente pour inclure de nouveaux noms : outre la télévision al-Manar, la radio al-Nour et la Lebanese Media Group, il est fait une mention inédite des groupes « Bayt al-Mal » (association caritative relevant du Hezbollah) et Jihad al-Bina’ (association pour le développement) au même titre que « l’Association de soutien à la résistance islamique, le département des relations externes du Hezbollah et l’organisation sécuritaire externe » de ce parti. En outre, le lien que le président américain est amené à constater entre une personne étrangère (non américaine) d’une part et le Hezbollah ou l’une des entités énumérées de l’autre est défini sous l’angle d’un engagement avéré de la personne en question dans « des collectes de fonds ou des activités de recrutement du parti chiite ».

En somme, les sanctions telles qu’amendées concernent désormais les « supporters » du parti chiite. Une dénomination plus large que les précédentes.

« Le cercle des sanctions s’est élargi », constate l’économiste Sami Nader pour L’Orient-Le Jour. À titre d’exemple, « dans un premier temps, des sanctions étaient prévues pour les entités américaines qui traiteraient avec le Hezbollah, avant de s’étendre aux institutions financières internationales qui autoriseraient des transactions pour le compte du Hezbollah. En outre, on est passé des individus affiliés au Hezbollah aux organisations qui lui sont affiliées, certaines identifiées nommément. Désormais tous ceux qui soutiennent le Hezbollah sont passibles de sanctions », explique M. Nader. Ainsi, un simple annonceur sur la chaîne al-Manar risque d’être identifié comme sponsor, donc soutien du Hezbollah, passible de sanctions, selon la nouvelle motion.



Quels effets pratiques ?
Cela n’est pas sans contribuer à « isoler » le Hezbollah, dit-il. Même si de sanctions en sanctions, le Liban officiel ainsi que le secteur bancaire trouvent des moyens de s’y adapter, en en prémunissant plus ou moins le Hezbollah, leur marge de manœuvre paraît se restreindre.

D’abord, à cause de la fragilité de l’économie libanaise. « Les sanctions contre le Hezbollah s’accroissent, tandis que l’économie libanaise régresse », fait remarquer Sami Nader. Cela n’est pas sans mettre les banques libanaises dans une situation peu enviable, surtout qu’elles avaient essuyé les reproches très discrets du secrétaire adjoint américain au Trésor pour le financement du terrorisme, Marshall Billingslea, en visite à Beyrouth en janvier dernier, selon nos informations recueillies alors auprès d’une source libanaise proche de Washington.

Au niveau politique, la référence dans la motion à ceux qui « appuient » le Hezbollah rend de plus en plus difficile une dissociation entre l’État libanais et le parti chiite dans la mise en œuvre de ces sanctions.

Si l’on prend par exemple l’association Jihad al-Bina’, engagée dans des projets de reconstruction de régions sinistrées, notamment dans la banlieue sud, ou de projets de développements à caractère socio-économique, nombre de ses actions sont entreprises en coopération avec des municipalités ou des ministères libanais, comme celui de l’Agriculture.

Pour Sami Nader, il y aurait un risque, ne serait-ce qu’en théorie, que l’État libanais se trouve pris au piège de la couverture qu’il donne au Hezbollah. « Après le passage de “personnes affiliées” à “personnes apportant leur soutien au Hezbollah”, qu’est-ce qui empêche de nouvelles sanctions contre “des alliés” du Hezbollah ? » s’interroge l’analyste politique, dans une allusion à peine voilée au mandat actuel.


(Pour mémoire : Sanctions US : le spectre d’un « nouveau Gaza » se profile au Liban)


Hassan Nasrallah
Autre évolution observée au niveau de la nouvelle motion Hifpa : alors qu’étaient pointées du doigt les activités criminelles transnationales importantes du Hezbollah, notamment le trafic de drogue (et désormais de tabac) comme sources de financement, ses activités « terroristes » sont mises en avant en détaillant les conséquences qu’un État ou une agence étatique y soient associés. Ainsi, sont passibles de sanctions économiques les États qui « sponsorisent le terrorisme », ainsi que « toute agence ou organe au service d’un État étranger » qui aurait « participé de manière significative dans des combats auprès du Hezbollah (…) ou qui lui aurait fourni un soutien significatif en arme ou en argent » dans ses opérations à caractère militaire. On notera l’élasticité de l’expression « soutien significatif » dont l’évaluation est laissée, comme pour les précédentes sanctions, à la discrétion du président américain.

La motion fait en outre l’association entre le Hezbollah et l’Iran, qui avait d’ailleurs motivé de précédentes sanctions. Le texte préconise des initiatives diplomatiques visant à « prévenir des activités hostiles de l’Iran et circonscrire les réseaux illicites du Hezbollah ».

En parallèle, le texte prévoit pour la première fois la rédaction de rapports qui donnent une estimation de la valeur nette du patrimoine des hauts responsables du Hezbollah et la manière dont leurs fonds ont été acquis et utilisés. Le lien entre les revenus de ces responsables et les trafics illicites menés par le Hezbollah n’est pas écarté. Les individus visés par la motion sont « le secrétaire général du parti (seul à être identifié en personne), de hauts cadres du Hezbollah » identifiés par le président comme assises du parti, ainsi que « tout autre individu que le président aura désigné comme figure politique notoire étrangère (donc pas que libanaise) du Hezbollah ».

Le texte en question donne le cadre d’une action présidentielle, laquelle est à même d’être influencée par d’autres textes plus stricts ou plus ciblés, en provenance notamment du Trésor américain. C’est ainsi qu’en mai dernier le Trésor a pris l’initiative, avec le Terrorist Financing and Targeting Center (qui compte sept États membres dont l’Arabie saoudite) d’orienter les sanctions vers le leadership du Hezbollah. La liste des personnes identifiées n’a pas intégré la motion, à l’exclusion de Hassan Nasrallah. Le Trésor avait visé entre autres le vice-secrétaire du parti Naïm Kassem, le chef du conseil religieux (jusqu’alors épargné par Washington) Mohammad Yazbeck, le conseiller politique de Nasrallah, Hussein Khalil, ainsi que Ibrahim Amine el-Sayed, président du conseil politique du Hezbollah.

De quoi déconstruire avec une précision affinée le distinguo entre aile politique et aile militaire du Hezbollah, que Washington reproche à l’Union européenne avec de plus en plus d’insistance.


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commentaires (5)

Si les USÂ font ce qu'ils disent c'est un disastre pour le Liban

Eleni Caridopoulou

20 h 54, le 16 novembre 2018

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Commentaires (5)

  • Si les USÂ font ce qu'ils disent c'est un disastre pour le Liban

    Eleni Caridopoulou

    20 h 54, le 16 novembre 2018

  • Sauf si le hezb de la resistance venait à dire : l'état c'est moi . Soyons sérieux !

    FRIK-A-FRAK

    17 h 35, le 28 septembre 2018

  • Tant que la dissociation entre l’État libanais et le parti chiite dans la mise en œuvre de ces sanctions est difficile à appliquer ,rien ne va changer malgré ces sanctions

    Antoine Sabbagha

    11 h 53, le 28 septembre 2018

  • SI NON MANIPULES AVEC DEXTERITE ET PATRIOTISME PAR TOUS LES SANCTIONS VONT PESER ET METTRE MEME EN DANGER LE PAYS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 06, le 28 septembre 2018

  • Si cela peut contribuer ♪ isoler le Hezbollah, tant mieux pour nous! Quant au "risque que l’État libanais se trouve pris au piège de la couverture qu’il donne au Hezbollah", eh bien c'est très simple: l'Etat libanais n'a qu'à retirer à la milice iranienne sa couverture. Il ne s'en portera que mieux. Et si cela peut aussi "déconstruire avec une précision affinée le distinguo entre aile politique et aile militaire du Hezbollah", et dessiller les yeux des dirigeants européens: encore tant mieux!

    Yves Prevost

    05 h 45, le 28 septembre 2018

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