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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Damas instille le poison à petites doses à Idleb

L’OSDH a fait état d’un transfert par l’armée syrienne de 400 jihadistes de l’EI de Boukamal vers le dernier bastion rebelle du nord-ouest du pays.

Un marché à Idleb. Photo prise le 24 septembre 2018. Omar Haj Kadour/AFP

Le régime syrien cherche-t-il à faire entrer un deuxième loup dans la bergerie ? C’est du moins ce qu’il laisse entrevoir par le récent transfert de centaines de jihadistes du groupe État islamique d’une zone de la province de Deir ez-Zor, située à proximité de la frontière irakienne, vers Idleb, l’ultime grand bastion insurgé dans le nord-ouest du pays. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), « les forces du régime ont transporté plus de 400 combattants de l’EI tard dimanche soir d’une zone dans le désert près de la localité de Boukamal ». L’ONG ajoute que ces membres de l’EI sont arrivés à l’aube lundi dans l’est de la province d’Idleb, à proximité de secteurs où sont présents d’autres groupes jihadistes. « Nous ne disposons pas pour le moment d’informations précises permettant de savoir s’ils sont entrés ou pas dans ces secteurs », souligne l’observatoire.

Dernier bastion de l’opposition, la province d’Idleb a vu le spectre d’une offensive du régime s’éloigner, suite à l’annonce d’un accord turco-russe, signé le 17 septembre, faisant état d’une « zone démilitarisée ». L’accord Ankara-Moscou prévoit la création, d’ici au 15 octobre, d’une « zone démilitarisée » sous contrôle russo-turc, dans la province d’Idleb qui doit servir de zone tampon entre territoires insurgés et zones tenues par le régime tout autour. En vertu de ce deal, toutes les armes lourdes des groupes insurgés ainsi que les jihadistes doivent sortir d’ici à mi-octobre de cette future « zone démilitarisée » de 15 à 20 km de large, en forme de fer à cheval. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a assuré vendredi que cette zone « vise avant tout à éradiquer la menace terroriste ». « C’est une mesure intermédiaire (...) mais indispensable car la création d’une telle zone permettra d’éviter que se poursuivent les tirs depuis la zone de désescalade d’Idleb sur les positions des forces syriennes et la base russe d’Hmeimim », a-t-il poursuivi.


(Lire aussi : Ankara envoie des renforts à Idleb après l'accord russo-turc)


« Semer la zizanie »

Le dernier bastion rebelle a certes gagné un sursis, mais ne sera peut-être pas épargné pour autant. L’OSDH a mentionné l’existence d’un accord entre Damas, son allié Téhéran et l’EI quant au transfert de ces 400 membres du groupe jihadiste vers la province d’Idleb. Si ce deal venait à se confirmer, « ce serait le comble du cynisme de la part d’Assad – pouvant réduire en miettes l’accord russo-turque sur Idleb », a commenté sur Twitter Charles Lister, chercheur au Middle East Institute et expert de la Syrie, tout en soulignant que l’information de l’OSDH devait être vérifiée. Le régime a déjà, par le passé, procédé à des transferts de combattants de l’EI ailleurs en Syrie. En mai, 1 600 personnes – jihadistes et leurs familles – avaient été transférées en autobus depuis Yarmouk, leur dernier bastion dans le sud de Damas, vers le désert dans l’est du pays. En août 2017, le Hezbollah, qui combat aux côtés des forces du régime en Syrie, avait indiqué que des centaines de jihadistes de l’EI avaient été évacués d’une région frontalière du Liban vers Deir ez-Zor. En revanche, le timing et le lieu choisis par le régime pour effectuer le dernier transfert en question sont clairement perçus par certains activistes syriens comme une provocation de Damas. « Le régime se cherche une excuse pour nous bombarder en utilisant l’EI, afin de compromettre l’accord de désescalade », estime Bilal*, un Alépin réfugié à Idleb depuis la chute de sa ville. « Rien de surprenant de la part du régime et de l’Iran, devenus experts pour traiter avec des monstres comme Daech (acronyme arabe de l’EI) », confie Iliès*, un activiste réfugié en Turquie. « Envoyer des combattants de l’EI dans la dernière enclave de la rébellion n’a d’autre but que d’affaiblir le plus possible les groupes de l’opposition en semant la zizanie entre eux. Le régime cherche également à mettre la pression sur la population quant à d’éventuels bombardements aériens », poursuit-il.

Le régime a, au fil de sa reconquête du territoire, fait d’Idleb le terminus de toutes les factions de l’opposition, modérées ou jihadistes. Idleb et ses habitants souffrent du label terroriste, propagé par le régime et ses alliés, notamment à cause de la prédominance du groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), organisation formée par l’ex-branche syrienne d’el-Qaëda.

« Nos manifestations chaque vendredi tendent à prouver qu’il n’y a pas de terroristes parmi nous. Personne ne nous interdit de manifester, personne ne nous contrôle », soutient Bilal. Des mouvements de protestation monstres ont en effet lieu depuis deux semaines dans toute la province contre un assaut du régime et de ses alliés.


(Lire aussi : À Idleb, Ankara va devoir imposer l’accord turco-russe aux jihadistes)


S’imposer par la force

HTC contrôle avec d’autres jihadistes près de 70 % de la « zone démilitarisée » envisagée par l’accord russo-turc. Si le groupe n’a pas commenté pour l’heure l’accord Ankara-Moscou, de nombreux experts s’accordent à dire qu’il sera difficile pour la Turquie de convaincre le groupe d’être évacué. Et si des membres de l’EI transférés par les forces du régime venaient à être lâchés dans la nature, des affrontements pourraient éclater entre les deux groupes jihadistes ennemis. « Les membres de l’EI ou tous ceux qui collaborent avec eux sont arrêtés de nos jours s’ils se montrent à Idleb. Même HTC les pourchasse », explique Bilal. Si l’EI n’a pas replanté son drapeau dans la province d’Idleb depuis son départ en 2014, certaines de ses cellules dormantes y sont encore présentes.


(Lire aussi : Moscou et Ankara d’accord sur les frontières de la « zone démilitarisée » d’Idleb)


« En transférant ces membres de l’EI, le régime cherche à réinstaurer un climat de peur au sein de la population à cause des kidnappings ou des attentats que l’EI pourrait commettre », estime Iliès. Les forces gouvernementales pourraient libérer ces jihadistes par « petites grappes, en tant que “civils” ». « Ou bien, on pourrait tout à coup s’apercevoir que l’EI est parvenu à contrôler deux ou trois villages comme ce fut le cas dans la province de Hama, en 2017 », poursuit l’activiste. Ce scénario permettrait à Damas de s’imposer par la force à Idleb en justifiant d’éventuels bombardements sous le couvert de lutte contre le terrorisme. « Peu importe comment et où les jihadistes seront éliminés, la communauté internationale fermerait les yeux si Idleb, déjà assez mal vue, était soudainement réinvestie par l’EI », déplore Iliès. Cité par le quotidien prorégime al-Watan, le ministre syrien des Affaires étrangères a assuré hier que « l’État syrien rétablira sa souveraineté sur la province d’Idleb ». « Tout comme nous avons vaincu partout ailleurs en Syrie, nous serons là aussi victorieux. Le message est très clair pour tous ceux que cela concerne : nous irons à Idleb, que ce soit par la guerre ou par des moyens pacifiques », a affirmé Walid Moallem.

*Des surnoms ont été utilisés pour raison de sécurité.


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Le régime syrien cherche-t-il à faire entrer un deuxième loup dans la bergerie ? C’est du moins ce qu’il laisse entrevoir par le récent transfert de centaines de jihadistes du groupe État islamique d’une zone de la province de Deir ez-Zor, située à proximité de la frontière irakienne, vers Idleb, l’ultime grand bastion insurgé dans le nord-ouest du pays. Selon l’Observatoire...

commentaires (4)

M. Charles Lister n'est pas un prophète. Les occasions légitimes pour critiquer le régime syrien sont assez nombreuses pour ne pas en fabriquer une de plus qui ne tient pas debout. J'ose espérer que les opposants d'Idlib ainsi que tous ceux qui cherchent un modèle de société alternative, trouveront quelques part dans ce vaste monde une terre accueillante, loin du Levant, pour qu'ils puissent mettre en pratique leur idéal, en leur souhaitant très sincèrement beaucoup de réussite. Ce sont nos frères dans l'humanité, victimes à leurs tours des calculs cyniques des grandes puissances arabes et autres. Ils ont servi de chair à canon sans savoir exactement qui est la partie qui les a poussé dans l'abîme. Prions pour que la guerre s'arrête en Syrie.

Shou fi

10 h 10, le 26 septembre 2018

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Commentaires (4)

  • M. Charles Lister n'est pas un prophète. Les occasions légitimes pour critiquer le régime syrien sont assez nombreuses pour ne pas en fabriquer une de plus qui ne tient pas debout. J'ose espérer que les opposants d'Idlib ainsi que tous ceux qui cherchent un modèle de société alternative, trouveront quelques part dans ce vaste monde une terre accueillante, loin du Levant, pour qu'ils puissent mettre en pratique leur idéal, en leur souhaitant très sincèrement beaucoup de réussite. Ce sont nos frères dans l'humanité, victimes à leurs tours des calculs cyniques des grandes puissances arabes et autres. Ils ont servi de chair à canon sans savoir exactement qui est la partie qui les a poussé dans l'abîme. Prions pour que la guerre s'arrête en Syrie.

    Shou fi

    10 h 10, le 26 septembre 2018

  • S,ILS VOULAIENT EN FINIR DE CES 400 TERRORISTES A BOU KAMAL ILS AURAIENT PU FACILEMENT LES ERADIQUER LA-BAS. POURQUOI LES TRANSPORTER EN BUS CLIMATISES A IDLEB POUR RENFORCER LEURS RANGS DANS CETTE REGION ? POUR QUI TRAVAILLE L,E.I....

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 39, le 26 septembre 2018

  • Il ne peut pas avoir de plus urgent pour un pays agressé de toute part que de récupérer la TOTALITÉ DE SA SOUVERAINETÉ SUR LES TERRITOIRES USURPÉS PAR TOUTE SORTE DE PRÉDATEUR. QUELQU'EN SOIT LES MOYENS ET LE PRIX À Y METTRE.

    FRIK-A-FRAK

    08 h 56, le 26 septembre 2018

  • DAESH couve par le regime nazi de Damas et ceux qui sont tortures et elimines par milliers dans les sinistres prisons sont des heros syriens qui veulent la democratie dans leur pays...il n y a pas de mot assez fort pour condamner tant de machiavelisme!

    HABIBI FRANCAIS

    02 h 45, le 26 septembre 2018

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