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Culture - L’artiste de la semaine

Kameel Hawa, tout en traits d’union

Elle n’est ni spectaculaire ni insolite, mais son œuvre est intelligente et dense, sensuelle et riche. L’artiste, dont le parcours est retracé dans une exposition*, avoue devoir tout au hasard. Mais Einstein ne disait-il pas que le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ?

Kameel Hawa : « Il n’existe dans l’art qu’une seule couleur, celle de la liberté. » Photo Michel Sayegh

Il a cette jovialité dans le rapport à l’autre qui désarme et ce regard bleu apaisé qui s’aiguise dès qu’il évoque sa passion. Kameel Hawa, une carrure imposante mais une modestie qui l’équilibre, cohabite avec l’art et l’humour, celui-là même qui vient teinter chacune de ses phrases quand il tente d’expliquer son parcours atypique. « Pour avoir tellement dessiné des arbres, surtout des pins, on m’a surnommé “The Pine Man”, dit-il d’un ton amusé. Ils sont les réminiscences de mon enfance, mes sens ont retenu leurs parfums et leurs plus beaux verts. » Kameel Hawa peint les femmes comme on cueille une fleur, croque les fleurs comme on courtise une femme, et réécrit les lettres et les mots comme on réinvente le langage. Découvrir son œuvre (à la galerie Cheriff Tabet) est une façon d’entrer dans son intimité.


Le philosophe de l’art
Le designer, peintre et écrivain libanais est né en 1947 à Beyrouth. Il se souvient des canevas colorés que les mains de sa mère, alors qu’il était enfant, animaient en artiste dilettante, et des vendeurs de « Chicklets » dans la rue qu’il croquait au hasard de ses vacances. Et pourtant, rien ne le prédestinait à une carrière artistique. Très intéressé par le monde de la politique et par l’écriture, il obtient son diplôme en sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth. Il avoue sans aucun sérieux : « J’étais ce qu’on pourrait qualifier d’élément activiste. » Lorsque le 28 décembre 1968, après de multiples menaces, Israël lance une opération commando contre l’aéroport international de Beyrouth et détruit 13 avions, Kameel Hawa réussit à convaincre toutes les universités de Beyrouth de s’unir pour une grève généralisée. C’est ainsi qu’il se retrouve dans une émission télévisée face aux plus grands politiciens de droite de l’époque, parmi lesquels l’ancien président de la République Bachir Gemayel, pour brandir ses idées qu’il avait déjà bien faites. Le métier de journaliste se profilait déjà. L’étudiant fougueux a ainsi abordé la politique, le jeune politicien en herbe a embrassé le journalisme, le journaliste a écrit et dessiné les mots et les slogans, et le dessinateur est devenu Kameel Hawa, l’artiste à ses moments volés et le professionnel qui abordera le graphisme comme une mission. Il se souvient de ses années de journaliste : « Je suivais le travail de l’imprimeur, de la première lettre posée au journal imprimé. » C’est aussi le jeu du hasard qui le fait s’installer Djeddah où il fondera sa propre maison de design, AlMohtaref, une maison panarabe qui aura un impact important sur la scène du design dans la région. Elle aura cette particularité de faire se côtoyer la tradition et la modernité, l’art et le design. Des grandes sociétés pour lesquelles il crée une image de marque aux brochures personnalisées, des trophées en bronze et métal pour le festival de la poésie arabe aux sculptures plantées dans les espaces publics, il n’a de cesse d’explorer la typographie arabe, pour la transcender et lui donner un souffle nouveau.

Son premier projet est une interprétation du nom de Beyrouth en arabe qui occupe une place importante au centre-ville. En 2014, son installation publique de huit interprétations sculpturales du mot Fann (arabe pour « art ») sur le bassin Samir Kassir lui vaut une large reconnaissance, sans oublier la sculpture typographique hommage à son alma mater l’AUB ou encore dernièrement une interprétation typographique de l’alphabet phénicien complet représenté par la première lettre aleph.


Dessin et narration
Dessiner, croquer, voilà ce qui l’intéresse. Les dessins et les esquisses ont une place primordiale dans le processus créatif de Kameel Hawa, et à la primauté de l’idée l’artiste oppose la spontanéité du geste. Pour lui, le dessin, qui reste la technique la plus spontanée et aussi la moins onéreuse pour celui qui la pratique, est à l’origine des plus grandes œuvres. C’est ainsi que certaines de ses créations exécutées au cours d’une réunion à l’abri des regards ou durant un coup de fil prolongé permettent de découvrir son travail et ses sensations saisies sur le vif. Ses graffitis colorés et sans cernes seront la genèse de grandes œuvres qui trôneront dans les espaces publics des grandes villes, et se matérialiseront en sculptures ou autre forme artistique. Kameel Hawa n’est pas un artiste qui se cantonne à un médium particulier.

De ses huiles aux motifs floraux aux accents symbolistes, à la touche fragmentée et aux aplats aux teintes réconfortantes, en passant par ses sculptures monumentales ou ses dessins de femmes aux lignes épurées, il avoue que ce qui le meut par-dessus tout, c’est la passion du travail.

Quelques traits d’encre rehaussés de couleur lui suffisent à exprimer l’essentiel. « Quand je travaille, je ne réfléchis pas, le sujet ne m’intéresse pas, dit-il, seule la beauté m’interpelle. » Et de livrer son secret :

« Quand je prends un canevas entre mes mains, c’est presque comme tenir la plus belle femme au monde. Une belle histoire d’amour que je voudrais aboutie, un moment sacré. »

Et l’on se retient de lui rétorquer, pareil à ce moment passé avec vous, du plaisir à l’état pur…


*Kameel Hawa, « Moments »

À la galerie Cheriff Tabet

Jusqu’au 17 octobre 2018


1947

Naissance à Beyrouth.

1968

Dirige et participe aux grèves estudiantines après l’attaque israélienne de l’aéroport de Beyrouth.

1975

Consacre une année entière à la peinture et expose au Club culturel arabe en 1978.

1983

S’installe à Djeddah et fonde AlMohtaraf Design House.

1998

Exposition solo au Caire à la galerie Akhenaton Zamalik.

2003

Design de la maquette et directeur artistique du magazine culturel

« Qafila ».

2009

Lauréat de trois prix de design

à New York.

2011

Publication de son ouvrage Word Art, une référence en matière de design.

2014

Participe à la Beirut Art Week avec huit interprétations visuelles différentes du mot « Fann » (art).

2015

Lever de rideau sur sa sculpture « Beirut » en face de Zaytouna Bay.

2018

Invité par le TDC (Type Directors Club) de New York pour donner une conférence sur l’art dans les espaces publics et exposition à la galerie Cheriff Tabet.


http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/


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