« I am part of the resistance inside the Trump administration. »
Plus personne ne sait si c’est un énième épisode à multiples rebondissements d’un House Of Cards plus glauque que nature, si c’est une plaisanterie rance qui n’en finit pas de durer et qui ne fait plus rire personne, ou presque, ou si tout cela va finir par l’irruption dans le débat du 25e amendement de la Constitution américaine, qui permet d’écarter un président jugé incapable d’exercer ses fonctions. Mais on dirait bien qu’un point d’inflexion vient d’être atteint, entre les révélations du journaliste Bob Woodward, l’un des deux papas du Watergate, qui évoque dans son livre à venir, somme d’une centaine d’heures d’interviews, une Maison-Blanche « asile d’aliénés » et une équipe actuelle « au bord de la dépression nerveuse » face à un président « aux capacités mentales d’un élève de sixième », et cette désormais mythique tribune anonyme et nucléaire, publiée il y a quelques jours par le New York Times, qui évoque l’existence d’un groupe au sein de l’actuelle administration pour contrôler un président dépeint comme un sinistre avatar de quelque créature kubrickienne, à mi-chemin entre Dr Strangelove et Shining.
Et après que cette tribune a asséné avec une précision chirurgicale les caractéristiques du 45e président US, pratiquement résumées en trois mots : incompétent, mégalomaniaque et sociopathe, le principal intéressé était déchiré entre deux pulsions, complémentaires et symbiotiques. D’abord, une excitation prépubère et acnéique : si cette feuille de chou gangrenée de fake news (le New York Times, selon lui) a publié ce corbeau, cela ne peut que conforter sa certitude qu’il est la victime absolue d’un vaste et immonde complot politico-médiatique, tout autant que celle de sa base populaire, convaincue qu’elle a fait le bon choix, à deux mois des élections de mi-mandat. Ensuite, une paranoïa hystérique, qui a déréglé son compte Twitter et déchaîné ses foudres tous azimuts, le poussant même à demander à son ennemi personnel, le secrétaire à la Justice, de diligenter une chasse aux sorcières à l’intérieur même de la Maison-Blanche…
Mais la tribune n’est pas toute noire : « C’est peut-être une maigre consolation en ces temps chaotiques, mais les Américains doivent savoir qu’il y a des adultes dans la pièce. » Il faut dire qu’ils en ont de la chance, les Américains. Parce que nous, Libanais, peuple dix fois, trente fois, cent fois maudit, pouvons difficilement penser que quelque chose ou quelqu’un puisse encore sauver notre Maison-Blanche à nous : le palais de Baabda, qui est à la fois – c’est une affolante hérésie – un espace dédié à la présidence de la République et le QG du Courant patriotique libre présidé par le gendre du président et ministre sortant des Affaires étrangères.
À pratiquement deux mois du 2e anniversaire du mandat Aoun, le bilan est terrible. Rarement inertie, incurie et incompétence ne se seront à ce point greffées sur la vie politique libanaise en général et sur la première magistrature de l’État en particulier – et ce ne sont certainement pas les législatives de mai qui auront changé quoi que ce soit. Que s’est-il passé pour que ce bastion politique chrétien devienne aussi dénaturé et moqué ? Que s’est-il passé pour que le aounisme, si tant est que ce mot signifie encore quelque chose, se retrouve absolument isolé sur la scène politique, les critiques pleuvant de toutes parts, Hezbollah inclus ? Que s’est-il passé pour qu’un homme qui s’exprime une fois chaque décennie, et encore, le berryisto-joumblattiste Anouar el-Khalil, en arrive à se demander « qui a autorisé Gebran Bassil à mettre des limites aux droits des Forces libanaises » ? Il va sans dire, certes, que M. Aoun, qui partage un nombre certain de points communs avec Donald Trump – et pas que leur amour du gendre –, comme sa tribu et une grande partie de ses partisans sont profondément convaincus que ce sont les autres, tous les autres, qui ont tort, et que ces attaques sont la preuve irréfutable qu’ils ont raison. Mais à ce niveau-là, cette complotite est un déni purement pathologique.
Que s’est-il passé ? Est-ce parce que Michel Aoun a abdiqué dans l’esprit et dans la lettre, et donné les rênes de la présidence de la République à M. Bassil – « oui, oui, O.K., mais allez quand même en parler à Gebran », dit souvent le président à ses visiteurs ? Est-ce parce que ce dernier est une féroce erreur de casting, qu’il n’est pas fait pour cela et qu’il rêve désormais de la prochaine élection présidentielle comme il l’a fait pendant des années pour la députation dans le caza du Batroun ? Est-ce parce que la guéguerre entre ce gendre adoré et la fille chouchou, Mireille Aoun Hachem, atteint des proportions de plus en plus inquiétantes – laquelle Mme Hachem se prend pareillement au jeu, se mêlant de presque tout, allant même jusqu’à donner des ordres à des fonctionnaires publics dans telle ou telle affaire? Est-ce parce que les Forces libanaises ont commis un grave péché politique en permettant, ce 31 octobre 2016, l’élection de Michel Aoun ? Est-ce parce que le CPL (donc le palais de Baabda) est devenu, du moins en apparence, un magma monochrome qui suit aveuglément son chef apprenti dictateur ?
Cette bienheureuse intifada de l’intérieur, urgente au sein du Hezbollah par exemple, devient vitale pour le CPL/Baabda. Cette résistance à l’intérieur de l’administration Aoun-Bassil doit commencer aujourd’hui avant demain, parce qu’il est temps que la première présidence retrouve un minimum de crédibilité, de prestige et de respect, et parce que le CPL, à la dérive désormais, est tout aussi important et nécessaire que les autres composantes du tissu politique libanais – et ses partisans méritent nettement mieux. On a beau ne pas partager leurs opinions, mais des hommes de bonnes intentions comme Alain Aoun, Ibrahim Kanaan ou Simon Abiramia, entre autres, seraient bien inspirés d’exercer rapidement, pleinement et efficacement leur incontournable devoir d’inventaire. Leur résistance.
Il est presque trop tard...
commentaires (8)
Je voudrais souligner les points suivants: 1- Les FL n'ont pas commis de pécher en propulsant Aoun a la Présidence. Ce fut une initiative intelligente pour: -D'abord servir a démontrer l’incompétence et la duperie sans borne de Mr. Aoun. Il clame vouloir restaurer le droit des Chrétiens alors qu'il est la principale raison de la perte de ces droits et avec, avant tout, le droit des Libanais a une vie meilleures. -Il a prétendu vouloir combattre la corruption et aujourd'hui le pays est encore plus corrompu qu'au temps des occupations Palestinienne ou Syrienne. -Il a voulu détruire et reformer la classe politique féodale et se comporte encore plus qu'eux comme un seigneur du moyen age. 2- Quand a la résistance au sein du CPL, elle ne peut plus avoir lieu car ce parti a été fondé sur le mensonge. Un parti qui a basé sa politique sur des mensonges, qui est sans idéologies réelles et sans visions claires de l'avenir ne peut continuer et n'a plus de raison d’être. Sur ce, les soit disant Aoun, Kanaan et autres Papis qui attendent et voient venir sont tout autant criminels que Bassil puisqu'il le voient faire et défendent ses positions, prenant avantage de la situation tout en essayant de rester soit disant les "monsieurs propres". Les partisans qui veulent mieux, plus, etc... doivent laisser tomber le mensonge baptiser CPL et retourner a leur source: Les FL, Kataeb, PNL ou même Bloc National et autres. Eux au moins ont une idéologie crédible par la forme et dans les faits.
Pierre Hadjigeorgiou
11 h 40, le 11 septembre 2018