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Les ténors du vent

En littérature comme au cinéma, le dieu Éole s’est taillé une place de choix avec des chefs-d’œuvre tels, notamment, que Les Hauts de Hurlevent et Autant en emporte le vent. On a même eu droit, sur le grand écran, à des Messagers du vent, ces Amérindiens Navajo enrôlés dans les marines durant la guerre du Pacifique qui assuraient les transmissions en usant d’un code inviolable, car reposant sur leur langue maternelle.


C’est dans un tout autre genre d’exploit que sont passés maîtres les dirigeants libanais. Qu’il s’agisse de primauté des institutions, de réhabilitation des services publics ou de lutte contre la corruption, c’est bien vrai que leurs mirifiques promesses ne valent pas pet de lapin ; mais ce sacré vent, regardez avec quel talent ils savent surtout le remuer, le brasser, croyant qu’une démagogique gesticulation pourra masquer leur coupable inaction !


L’affaire de l’Unrwa – l’agence onusienne pour le secours aux réfugiés palestiniens– en est l’exemple le plus récent, le plus inquiétant aussi pour un pays à la texture sociodémographique aussi particulière et délicate que le Liban. Donald Trump passe communément pour être un homme fantasque et imprévisible ; mais il arrive aussi au président américain d’annoncer très tôt la couleur et de tenir ses engagements, électoraux ou autres. On l’a bien vu avec le transfert, tambour battant, à Jérusalem, de l’ambassade des États-Unis en Israël. Pour ce qui est de l’Unrwa, c’est en janvier dernier que Trump faisait part déjà de ses mauvaises intentions en réduisant de 80 % la précieuse contribution financière US à cette agence, se réservant toute latitude de lui couper totalement les vivres. Voilà qui vient d’être fait, comblant les vœux d’Israël au-delà de toute espérance. Car l’Unrwa, ce n’est plus seulement des distributions de couvertures et de boîtes de sardines ou de lait, c’est surtout des écoles, des hôpitaux. La disparition de cet organisme se traduirait par un surcroît de misère dans les camps de réfugiés, entraînant à son tour une flambée de délinquance ou d’extrémisme religieux ou politique. Mais surtout, elle revêtirait l’odieuse allure d’une solution finale du problème des réfugiés, sinon de la question palestinienne elle-même, assumée d’un trait de plume par la première puissance mondiale. Plus de réfugiés, donc plus de problème : plus de droit de retour à leurs foyers d’origine, plus même de compensations, si ce n’est celles qu’on consentirait à une poignée de survivants de l’exode de 1948, leurs descendants cessant tout simplement de compter.


Huit mois. Un scénario aussi épouvantable, les Arabes avaient huit bons mois pour s’y préparer, pour y parer, quitte à faire le siège des pays donateurs de l’Unrwa, et les voilà maintenant qui jouent les étonnés. C’est bien le cas d’un Liban hébergeant en outre plus d’un million de réfugiés syriens et qui, de tous les États arabes, est celui qui a le plus à perdre d’une perpétuation du contentieux de Palestine. Trop occupé, ces derniers temps, à avancer prétention sur prétention, retardant d’autant la formation d’un nouveau gouvernement, c’est lundi seulement que le ministre des AE, criant au spectre de l’implantation, s’avisait de rameuter les ambassadeurs étrangers. Le même jour, le président de l’Assemblée, faisant preuve d’un bel optimisme, appelait à une réunion urgente de la Ligue arabe qui serait consacrée au financement des secours aux Palestiniens.


D’ici à voir se concrétiser un tel projet, bien du vent aura soufflé sur les désertiques immensités de la solidarité arabe.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

En littérature comme au cinéma, le dieu Éole s’est taillé une place de choix avec des chefs-d’œuvre tels, notamment, que Les Hauts de Hurlevent et Autant en emporte le vent. On a même eu droit, sur le grand écran, à des Messagers du vent, ces Amérindiens Navajo enrôlés dans les marines durant la guerre du Pacifique qui assuraient les transmissions en usant d’un code inviolable,...