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Charbel Saadé

Génération Orient III : #9 Charbel Saadé, photographe, 27 ans

Bien des termes du vocabulaire de Charbel Saadé laissent penser que la photographie, à ses yeux, s’apparente sinon à une religion, du moins à une forme de spiritualité. D’ailleurs, il se souvient qu’à l’enfance, il lorgnait déjà la caméra digitale de ses parents comme d’autres rêvent à un « fruit défendu ». Au cours de sa scolarité, peinant à rentrer dans le moule, élève ni modèle ni modelé, il a trop d’images à découvrir, de visages à imaginer, de paysages à feuilleter, pour se plier aux diktats du système académique par lequel, pense-t-il, nos sociétés briment leurs rêveurs en herbe. Et puis, aux études, il préférait surtout donner libre cours à sa mélancolie, pelotonné dans le plastique jauni des albums de famille où les débris de photos qui se décollent faisaient cavaler ses rêveries.

Si Saadé se trouve contraint d’intégrer l’Université libanaise pour une licence en audiovisuel, il en prendra la tangente au bout de la 4e année, à quelques pas seulement de la ligne d’arrivée. « La fac, les études, tout cela n’est pas fait pour moi ! » répète-t-il. Et il suffit de le regarder aujourd’hui, randonnant dans les rues de Beyrouth ou les chemins de traverse de Tyr ou des montagnes qui l’aimantent, sac à dos éternellement vissé aux épaules, pour réaliser à quel point le photographe de 27 ans est, en effet, un jeune homme au corps en vadrouille et à l’âme en pagaille qui refuse toute assignation à résidence et ressent le besoin viscéral d’être « dans les choses ».

Dès l’âge de 18 ans, il se met à collectionner les petits boulots, serveur dans un restaurant, dans la production de films ou en tant qu’assistant photographe ou styliste, persuadé que c’est au cœur de la vie qu’il fera ses armes. En 2012, le Lebanese Film Festival l’invite à signer les portraits de réalisateurs libanais en même temps que le reste de sa base de clients s’épaissit. En 2015, à l’issu d’une traversée du désert, il tombe sur l’appel à candidature lancé par l’incubateur Starch. Il postule, et son portfolio est retenu. Il reste d’ailleurs très reconnaissant envers Rabih Keyrouz et Tala Hajjar, les cofondateurs de Starch, qui continuent à l’épauler jusqu’à ce jour.

Intimité(s)

Le photographe, alors âgé de 23 ans, expose une série autour de la forêt des cèdres du Barouk à travers laquelle il s’autorise à désobéir aux lois de sa pratique qui, jusqu’alors, procédait d’une technique rigide et cadenassée. Balançant l’anse de sa spontanéité, de son trop-plein d’émotions au bras de sa caméra libre et libérée de ses propres contraintes, il réalise des images floues, désormais l’une de ses marques de fabrique, à la fois brumeuses et laiteuses, qui, comme échappées d’un fantasme des Hauts de Hurlevent, diffractent notre vision de la nature. Sous son objectif empreint d’une poésie fébrile, tout d’un coup, celle-ci vit, se meut, ressent et raconte. Car, que ce soit dans ses paysages, ses portraits ou sa documentation du quotidien, Charbel Saadé pense que « la photo est une histoire de connexion à soi et au sujet ».

Et en parcourant ses clichés, dont ceux de sa deuxième série où il documente une rupture amoureuse au gré de diptyques pris avec son téléphone portable, se dessine en filigrane son parcours personnel qu’il choisira de déployer de manière plus explicite avec sa première exposition solo Mère, il est temps que tu saches (en juin dernier à l’Institut français) où, par le biais de sa photo d’une intensité réservée, il invitait sa mère dans l’antre de son intimité de laquelle elle s’était exclue.

En ce moment, Saadé partage son temps entre ses commandes, un pied dans la mode (pour des clients-amis, entre Rabih Keyrouz, Élie Saab, Salim Azzam, Azzi & Osta ou Hussein Bazaza, mais aussi Gregory Gatserelia, Dina Kamal ou Rita Hayek…) et un autre dans l’architecture. Sa prochaine série de natures mortes, un vertige plastique irisé de couleurs comme talochées à l’aquarelle, s’interroge sur notre rapport avec la mort. « On craint la mort, pourtant on se pâme tous pour des bouquets de fleurs… mortes », résume-t-il. Ce qui nous fait dire qu’au titre de photographe, on pourrait aisément rajouter à Charbel Saadé celui de chimiste ou d’alchimiste.

Bien des termes du vocabulaire de Charbel Saadé laissent penser que la photographie, à ses yeux, s’apparente sinon à une religion, du moins à une forme de spiritualité. D’ailleurs, il se souvient qu’à l’enfance, il lorgnait déjà la caméra digitale de ses parents comme d’autres rêvent à un « fruit défendu ». Au cours de sa scolarité, peinant à rentrer dans le moule,...

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