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Moyen Orient et Monde - Éclairage

En Syrie, les chèvres et les choux de la diplomatie française

Tendre la main aux Russes sans accepter la normalisation : un des leviers que Paris devrait privilégier.


Le président français, Emmanuel Macron, lors de sa rencontre avec les ambassadeurs de France réunis à l’Élysée, à Paris, le 27 août 2018. Philippe Wojazer/Pool/AFP

Cela ne changera pas le cours de la guerre syrienne, étant donné sa trajectoire irréversible en faveur de Bachar el-Assad, mais c’est un refus ferme de souscrire à une lecture du conflit qui gagne du terrain en France et ailleurs. Lundi, dans la salle de bal de l’Élysée accueillant la conférence des ambassadeurs, grand rendez-vous annuel de la diplomatie française, Emmanuel Macron a confirmé l’interprétation effectuée par la diplomatie française au début de la crise syrienne : Bachar el-Assad, en ayant dès le départ opposé systématiquement la violence à la contestation, est responsable de la guerre. « N’accordez pas plus de confiance aux dirigeants qu’ils n’en accordent eux-mêmes à leur peuple » : cette maxime du dissident soviétique Andreï Sakharov, incorporée à une note diplomatique française de décembre 2002 relative au pouvoir syrien, montre que c’est une évaluation ancienne, quoique discutée, qui a primé en 2011 et qui perdure aujourd’hui.

« Nous voyons bien ceux qui voudraient, une fois la guerre contre Daech (acronyme arabe de l’État islamique) achevée, faciliter ce que d’aucuns appellent un retour à la normale, Bachar el-Assad resterait au pouvoir, les réfugiés de Jordanie, du Liban, de Turquie retourneraient chez eux et l’Europe et quelques autres reconstruiraient (la Syrie) », a mis en garde le chef de l’État français. « Si je considère que notre premier ennemi est Daech, que je n’ai jamais fait de la destitution de Bachar el-Assad une condition à notre action diplomatique ou humanitaire, je pense qu’un tel scénario serait une erreur funeste (…). Qui a provoqué ces millions de réfugiés ? Qui a massacré son propre peuple ? Il n’appartient pas à la France de désigner les futurs dirigeants de la Syrie (...), mais c’est notre devoir et notre intérêt de nous assurer que le peuple syrien sera bien en situation de le faire », a-t-il poursuivi. « La tactique russe consiste à vendre la normalisation avec Assad dans l’enveloppe d’un retour des réfugiés syriens », explique Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie (2006-2009) et conseiller spécial à l’institut Montaigne, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Macron a clairement signifié qu’il n’achèterait pas cette vision. L’élément véritablement nouveau est cette expression de “funeste erreur”. C’est une clarification importante, il n’avait jamais été aussi loin dans l’affirmation que nous souhaitons le départ d’Assad », insiste l’ex-ambassadeur.


(Lire aussi : Damas et Téhéran signent un accord de coopération militaire)


Originalité française
Le président français semblait pourtant vouloir incarner une sorte de rupture avec ses prédécesseurs, en prêtant oreille à ceux qui critiquaient l’« irréalisme » du gouvernement Hollande et la négligence du dialogue avec Moscou. Ce procès est sévère. Le ministre des Affaires étrangères français à l’époque du déclenchement de la révolte syrienne, Alain Juppé, avait été la première personnalité occidentale a affirmer, le 2 mai 2011, qu’un « gouvernement qui tue ses citoyens » au motif que ces derniers manifestent « perd sa légitimité ». Après l’attaque à l’arme chimique dans la Ghouta le 21 août 2013, les dirigeants français se sont montrés les plus déterminés à « y aller ». C’est un coup de téléphone du président Obama à François Hollande 10 jours plus tard, l’informant qu’il avait finalement choisi de consulter le Congrès et donc de reporter les frappes prévues, qui a mis un coup d’arrêt à l’élan français. Ce pas en arrière américain est aujourd’hui imputé aux négociations de l’époque avec Téhéran sur le dossier nucléaire, Washington ne voulant pas irriter les Iraniens en les affrontant sur le terrain régional. C’est donc moins l’indécision ou un « suivisme » idéologique qu’un défaut de moyens qui a présidé la politique française en Syrie. Paris a souvent désapprouvé l’administration Obama, mais ne pouvait pas faire sans elle. Quant à la critique sur le manque de prévenance de l’Élysée à l’égard du Kremlin, François Hollande s’est rendu à Moscou en novembre 2015, moins d’un mois après le début de l’intervention militaire russe en Syrie.


(Lire aussi : Moscou accuse les rebelles de vouloir utiliser des armes chimiques à Idleb)


« Nous avons compromis une partie de notre autorité morale »
Peut-être pour un simple motif politique d’incarner le renouvellement, Emmanuel Macron avait partiellement pris le parti du courant devenu majoritaire au sein du débat public français. Il a dédaigné les « postures morales qui incapacitent », et affirmé au détour d’un entretien avec la deuxième chaîne de la télévision française en décembre 2017 : « Ma position a changé quand j’ai été élu par rapport à ce qui a été fait avant. Depuis 7 ans, on avait décidé de ne plus parler à Bachar el-Assad, après avoir été très amis avec lui (…). La priorité, c’est l’extermination de Daech, avant Bachar. Bachar est l’ennemi du peuple syrien, mon ennemi, c’est Daech. Bachar el-Assad sera là (…) parce qu’il est protégé par ceux qui sur le terrain ont gagné la guerre (…). Il faudra parler à Bachar el-Assad et ses représentants, après, il devra répondre de ses crimes. » C’est moins la conviction originelle du gouvernement français, à savoir l’aspect criminel du régime syrien, que les circonstances qui ont changé et engendré un recentrage de l’action française sur la lutte contre l’État islamique. « Je ne pense pas qu’il est stérile de comparer la position de Macron avec le quinquennat précédent, c’est la situation locale qui a évolué », souligne M. Duclos.

« La France s’appuie sur trois leviers, poursuit l’ancien ambassadeur. Le premier est que nous souhaitions que les forces occidentales, kurdes et arabes alliées restent dans le nord-est de la Syrie. Le deuxième, comme énoncé lundi par Macron, est le dialogue avec la Turquie. Enfin, le troisième levier est de tendre la main aux Russes, mais à condition de ne pas accepter la normalisation. » En phase avec les critiques sur son prédécesseur, Emmanuel Macron est allé encore plus loin sur le terrain de Vladimir Poutine, sans que ce dernier ne bouge d’un pouce. D’abord en le recevant en grande pompe à Versailles en mai 2018, lors d’une rencontre célébrant la profondeur historique de l’alliance franco-russe. Puis dans la nuit du 20 au 21 juillet derniers, en acheminant 50 tonnes d’humanitaire française par avion militaire russe. Aucune capitale occidentale n’avait été aussi loin dans la coopération avec Moscou, avec lequel la France partage ses lauriers humanitaires puisque le fret français est arrivé par avion russe et non par avion français. « Je pense que nous avons compromis une partie de notre autorité morale en réalisant cette opération. On a trahi avec l’aviation russe coupable de bombardements sur la population civile », déplore Michel Duclos. Sans compter qu’insidieusement, Moscou installe un début de connexion entre Paris et Damas. C’est le Croissant-Rouge arabe syrien (SARC), une organisation inféodée au régime de Bachar el-Assad, qui a livré le colis humanitaire français à la Ghouta. Agir sans faiblir sur ses principes à l’égard de la nature du régime : c’est pour la diplomatie française comme traverser un fleuve déchaîné en sautant sur des galets.


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commentaires (4)

Sur la photo Macron donne son speech devant la tapisserie de la salle de fetes de l'Elysee. Il s'agisserait d'une tapisserie de la serie "Histoire de Esther" oeuvre de Jean-François de Troy. 'Esther' personnage du livre d'Esther, epouse juive (en dissimulant sa véritable identité) du roi perse ('iranien') Xerxès Ier ou à Artaxerxès Ier. Coincidence de choix de decor ?

Stes David

14 h 22, le 29 août 2018

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Commentaires (4)

  • Sur la photo Macron donne son speech devant la tapisserie de la salle de fetes de l'Elysee. Il s'agisserait d'une tapisserie de la serie "Histoire de Esther" oeuvre de Jean-François de Troy. 'Esther' personnage du livre d'Esther, epouse juive (en dissimulant sa véritable identité) du roi perse ('iranien') Xerxès Ier ou à Artaxerxès Ier. Coincidence de choix de decor ?

    Stes David

    14 h 22, le 29 août 2018

  • JE NE FAIS PAS PARTIE DE CEUX QUI AURAIENT-TRES OBJECTIVEMENT- TIRE UNE CONCLUSION QUELCONQUE , VALABLE ET CLAIRE DU CHANGEMENT D'HUMEUR DE MACRON ! heureux ceux qui l'auraient compris.

    Gaby SIOUFI

    11 h 31, le 29 août 2018

  • "Bachar el-Assad, en ayant dès le départ opposé systématiquement la violence à la contestation, est responsable de la guerre" Cette affirmation passe sous silence la responsabilité des pays ennemis du régime qui ont attisé et armé l'opposition et envoyé des mercenaires pour le combattre

    Tabet Ibrahim

    09 h 01, le 29 août 2018

  • JE DIRAIS LE CHOUX ET LE BATON PLUTOT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 13, le 29 août 2018

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