Après la rencontre à Moscou entre le ministre sortant des Affaires étrangères et son homologue russe Sergueï Lavrov, le camp aouniste, relais du Hezbollah et de ses alliés pro-syriens sur la question de la normalisation des relations libano-syriennes, accroît ses pressions dans ce sens sur le Premier ministre désigné Saad Hariri. Le président de la République Michel Aoun, qui a pris l’initiative de contacter son homologue syrien Bachar el-Assad, sur instigation russe, se fait désormais le défenseur de cette normalisation devant ses visiteurs.
Il avance deux arguments d’ordre technique, d’apparence sans portée politique stratégique : rétablir le dialogue officiel avec Damas faciliterait le retour des réfugiés, d’une part, et réactiverait, d’autre part, le transit des produits libanais à travers le territoire syrien vers le poste-frontière de Nassib, carrefour commercial majeur de la frontière syro-jordanienne, désormais repris par Damas et placé sous contrôle de la police militaire russe.
En recourant à des arguments d’ordre technique, Michel Aoun s’autorise à continuer de défendre le principe de distanciation, le fondement du compromis présidentiel conclu avec Saad Hariri. « Nous nous distancions des conflits régionaux mais pas de notre terre ni de nos intérêts », a-t-il déclaré hier devant une délégation d’émigrés libanais dans les pays du Golfe.
Et à ceux qui, comme les Forces libanaises, lui reprochent de violer la politique d’évitement du conflit interne, en réincorporant au centre du débat politique des questions litigieuses, Michel Aoun oppose l’argument que « les intérêts des Libanais ne nuisent à aucun pays arabe, bien au contraire, puisque nos produits (destinés l’export) vont à destination des pays arabes ». Il a précisé « ne prendre parti pour aucun État frère contre un autre sur aucun conflit (…) puisque tous sont nos frères ». Et de conclure, à qui veut bien l’entendre : « Qui serait lésé par le retour des déplacés en Syrie ? Ou par le transit de nos produits à travers le terminal de Nassib ? »
Mais ses arguments « techniques » qu’il veut irréprochables sont le prétexte d’une normalisation politique, qui est une finalité en soi, indépendamment de ses « bienfaits » économiques ou autres.
L’excès de zèle de Michel Aoun en faveur du régime syrien le révèle. Alors que la chaîne OTV ne lésine pas sur les slogans caractéristiques de l’époque de la tutelle syrienne – comme l’unité géographique et historique du Liban et de la Syrie – Michel Aoun a condamné l’usage du terme même de normalisation. Celle-ci « ne vaut qu’entre deux pays ennemis, alors que la Syrie est tout le contraire pour le Liban », aurait-il dit devant ses visiteurs, selon un compte-rendu du quotidien al-Akhbar hier.
(Lire aussi : L’entretien Aoun-Assad, une fausse « normalisation » ?)
Moscou
Dans ce forcing en faveur de la normalisation, le Liban n’est qu’un instrument entre les mains des puissances régionales qui ont intérêt à renflouer le régime Assad, à savoir la Russie et l’Iran.
Moscou a trouvé dans le mandat Aoun une passerelle de renflouement du régime syrien sur base de l’alliance des minorités, une alliance de survie pour Damas, comme l’avait été l’accord de Mar Mikhaël pour le Hezbollah en 2006.
Pour le chercheur Moustapha Fahs, l’enjeu dépasse le simple renflouement du régime de Damas face aux États-Unis et de l’Union européenne. « La Russie cherche désormais à arracher aux décideurs une reconnaissance du régime syrien en tant que tel, de sorte à écarter toute possibilité d’en revoir la structure ou le système », dit-il. Par cette reconnaissance, « le régime recouvrerait un rôle politique » piloté par Moscou. Et c’est le Liban qui paraît constituer la « première étape » de cette mission, estime M. Fahs. Le maillon manquant reste le Premier ministre désigné Saad Hariri, qui refuse d’adhérer à cette légitimation du régime syrien.
Entre-temps, l’Iran a pris soin d’engager une bataille contre l’Arabie saoudite sur le terrain libanais, une bataille qui pourrait être décisive. En atteste la nouvelle fréquence des attaques verbales du Hezbollah contre le royaume saoudien. Hier, le Hezbollah a dénoncé dans un communiqué un « nouveau massacre commis par la coalition saoudo-américaine » au Yémen.
La hausse de ton du Hezbollah contre l’Arabie accompagne le forcing pour une normalisation des relations avec Damas. Ces deux démarches sont un moyen de dire que le terrain libanais est désormais acquis à l’axe favorable à l’alliance des minorités (Téhéran-Moscou-Damas), qui a réussi à « gagner la guerre en Syrie ». Un état des lieux renforcé par l’entière adhésion désormais avérée du chef de l’État en faveur de cet axe : il aurait déjà fait valoir par exemple au secrétaire adjoint américain à la Défense, qu’il entendait œuvrer pour une stratégie défensive qui institutionnalise la complémentarité entre la résistance et l’armée.
Et pour Saad Hariri, pressé de former le gouvernement, cet état des lieux est désormais à prendre ou à laisser : « Soit il se rallie à la moumanaa, auquel cas il sera libre de former le cabinet qu’il souhaite ; soit il sort du jeu », selon une source indépendante. La manière dont il serait éliminé du jeu ne serait pas difficile à innover ou imposer juridiquement. L’étape intermédiaire sera une période d’escalade face à Saad Hariri. Une escalade aussi bien politique, menée conjointement par Michel Aoun et Gebran Bassil, qu’économique. Certains s’attendent à un mouvement de rue, mené par la CGTL, dont une délégation s’est rendue il y a près de deux semaines à Baabda en soutien au « plan économique » du chef de l’État, dont la mise en œuvre attendrait selon lui la formation du gouvernement.
(Lire aussi : Pour un nouveau consensus fondé sur la politique de distanciation)
Des milieux indépendants souverainistes affirment craindre aussi des secousses sécuritaires, en réponse à tout ce qui pourrait compromettre l’influence syro-iranienne au Liban, comme le serait le nouvel acte d’accusation prévu dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri, s’il est retenu par le Tribunal spécial pour le Liban.
Pour l’instant toutefois, ce qui retient le Hezbollah de s’engager dans un conflit ouvert avec Saad Hariri, c’est le fait que ce dernier n’a toujours pas tranché en faveur du camp iranien ou saoudien : Riyad est-il en mesure, encore qu’il en ait la volonté, de lui apporter les garanties suffisantes pour affronter le parti chiite ? Quel sera pour Saad Hariri le substitut au compromis présidentiel, s’il venait à s’en désengager ?
Ces incertitudes pourraient expliquer la retenue observée par le courant du Futur et même par les acteurs politiques issus des mouvements souverainistes, comme les Forces libanaises, lorsqu’il s’agit de parler du régime syrien : refuser la normalisation avec le régime, mais s’abstenir d’en évoquer la barbarie...
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MAIS LA DONNE EST TELLE QU,IL EST DIFFICILE DE TRACER ET DE RESPECTER DES LIGNES PAR LE P.M.
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 57, le 25 août 2018