Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Syrie

À Idleb, le premier jour du reste de la guerre

Le régime a ouvert le feu jeudi dans l’ouest de la province, où un éventail de groupes rebelles se préparent à un éventuel ultime assaut.

Un Syrien lit un tract portant le sceau des forces loyalistes et appelant la population à « rejoindre le (processus de) réconciliation », à Binnich, dans le nord-ouest de la Syrie, le 9 août 2018. Omar Haj Kadour/AFP

La chute du gouvernorat de Deraa, le 31 juillet dernier, d’où la rébellion a éclos en 2011, a symboliquement bouclé la boucle de la guerre syrienne. Idleb, le dernier grand bastion rebelle du Nord-Ouest, sera ainsi probablement une seconde fin. Des tirs d’artillerie et de roquettes ont visé jeudi matin Jisr el-Choughour, une ville-clé qui fait office de porte d’entrée ouest de la province, située à proximité d’un des douze postes d’observation turcs ceinturant Idleb. La présence turque à l’intérieur des lignes rebelles est prévue par l’un des quatre « accords de désescalade » négociés par le Kremlin au cours du conflit. Ces accords « gelant » temporairement les combats entre le régime et l’opposition ont facilité la tâche de Damas en lui évitant une multiplication des fronts. C’est toujours le régime qui a choisi quand la trêve prenait fin dans les autres zones sujettes à ce type d’accord : le quartier de Waer à Homs, dans la Ghouta orientale puis dans les provinces de Deraa et de Quneitra.

La province d’Idleb aligne la plus large gamme possible de ce que l’opposition syrienne peut contenir : des modérés de l’Armée syrienne libre (ASL) en passant par des fils spirituels des Frères musulmans, des groupes salafistes radicaux, une émule d’el-Qaëda, jusqu’aux cellules dormantes de l’État islamique, « réveillées » ces derniers mois, plus de quatre ans après son expulsion de la province par des groupes rivaux. Cette constellation de factions rebelles s’est entre-tuée pour le contrôle de la province et l’administration de ses trois à quatre millions d’habitants, dont la moitié sont des déplacés internes. Idleb est une véritable bombe à retardement : si le régime décide demain de mettre un coup de pied dans la fourmilière, des civils pourront affluer en masse vers la zone d’Afrine sous contrôle turc, frontalière avec la Turquie. Si les portes leurs sont fermées, ou que les issues de secours sont engorgées, ils subiront probablement le même sort que les habitants d’Alep, mais avec presque deux fois plus de civils exposés.


(Lire aussi : (Sur)vivre à Idleb, dernier bastion anti-Assad)

Ankara sur la corde raide
La question n’est donc pas tant de savoir si le régime réussirait à reprendre Idleb en cas d’offensive militaire, mais à quel prix. Rien n’indique que Damas en finirait avec la frange la plus radicalisée de l’opposition, dont l’idéologie jihadiste marche autant à la victoire qu’à la défaite, commandant une revanche future. La Turquie, qui patronne solidement la majorité des groupes rebelles à Idleb, a indiqué que la province était sa ligne rouge : le régime lancerait-il un assaut de grande ampleur sur la province, Ankara se retirerait du processus d’Astana et priverait ainsi Moscou de la légitimation turque à son rôle de grand médiateur d’une « solution politique » en Syrie.
La prise d’Idleb fermerait peut-être une porte, celle de l’assise territoriale de l’opposition, mais elle en ouvrirait une autre, avec vue sur les zones du Nord syrien contrôlées par les Turcs, que le régime voudrait ramener sous sa coupe. Cela renvoie directement Ankara à sa plus grande angoisse stratégique en Syrie : l’YPG, l’aile syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Des officiels kurdes ont récemment fait savoir qu’ils n’excluaient pas d’appuyer Damas dans une offensive à Idleb. L’YPG sent sûrement qu’après cette dernière, le vent tournera vers Afrine, d’où il a été chassé au début de l’année par l’armée turque lors de l’opération Rameau d’olivier. Le 27 juillet dernier, le Conseil démocratique syrien (CDS), l’organe politique kurde plus large qui supervise l’action de l’YPG contre l’EI, a rencontré pour la première fois officiellement les représentants du régime dans la capitale syrienne. À Ankara, on voit ainsi chaque jour s’empiler les menaces à Idleb : crise migratoire, création d’un « couloir jihadiste » vers son territoire et opportunisme kurde pour regagner une base arrière territoriale dans le Nord en chassant la rébellion.


(Pour mémoire : Nouvelle coalition de rebelles à Idleb, dans le viseur du régime)


Cuisine turque
Pour parer à la catastrophe, Ankara essaie de mettre de l’ordre dans le chaos, en triant et regroupant les factions de l’opposition. D’abord le tri : les services de renseignements turcs ont facilité l’assassinat des jihadistes les moins coopératifs de Hay’at
Tahrir al-Cham (HTC), un avatar du Front al-Nosra, qui était la branche d’el-Qaëda en Syrie. Le HTC, qui contrôle environ 60 % de la province, a collaboré à contre-cœur à l’installation militaire turque sur le pourtour d’Idleb, comprenant que ce glacis lui octroyait un sursis supplémentaire. Cette ligne pragmatique lui a causé des remous en interne, de la part des éléments les plus loyalistes à el-Qaëda, et de ceux ayant plus de mal à se laisser convaincre que le pacte de non-agression avec Ankara leur épargnera une offensive du régime où tous les coups sont permis. En isolant la frange radicale du HTC, la Turquie veut faciliter un regroupement futur du groupe avec les 40 % restants. Un mouvement complexe de fusion a débuté en février 2018 avec la formation du Front syrien de libération (FSL) entre le Ahrar al-Cham et le Harakat Nour al-Din al-Zinki. Au mois de mai, ce sont dix factions de l’Armée syrienne libre qui se sont coalisées dans le Front de libération nationale (FLN). Enfin, début août, quatre factions rebelles se sont greffées au FSL. L’objectif de ces manœuvres chirurgicales est d’unir ces trois cartels avec le HTC et l’« armée nationale », qui comprend 35 000 combattants aux curriculum vitae assez divers. La Turquie travaille à harmoniser les troupes à l’intérieur pour créer un « tout » cohérent qui dissuaderait le régime.

Moscou indécis
Des rumeurs circulent également sur l’imminence d’une livraison turque à la rébellion de Manpads, des systèmes portables de défense antiaérienne capables d’abattre des avions de ligne. Ces on-dit cherchent a priori à atteindre les oreilles du Kremlin, sans l’appui aérien duquel la bataille d’Idleb n’aura pas lieu.
La position de Moscou est cependant incertaine. La détermination d’un Alexandre Lavrentiev, envoyé spécial russe pour la Syrie qui affirme que « toute opération d’envergure à Idleb est hors de question », contredit celle de son propre ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov. Ce dernier déclarait le 2 août « nécessaire de porter le coup fatal aux terroristes ». Mais c’est peut-être moins sa volonté à se lancer dans une bataille à Idleb que sa capacité à ne pas s’y laisser entraîner par le régime et ses alliés, qui décidera de la position russe. Les dernières offensives de Deraa et de Quneitra ont montré que le Kremlin n’était pas capable de contenir efficacement les milices pro-iraniennes supplétives de Damas. De l’aveu de l’ambassadeur russe en Israël, Anatoly Viktorov, s’exprimant sur la deuxième chaîne de la télévision israélienne : « Nous ne pouvons pas parler avec nos partenaires iraniens très franchement et ouvertement, essayer de les persuader de faire ou de ne pas faire quelque chose. » Loin d’être le prochain volet de l’acte final de la guerre, Idleb, tout comme Deraa, prépare sa suite.


Lire aussi
Bombardements du régime et appel à la reddition à Idleb

Quand Assad célèbre son armée exsangue

L’entente russo-turque face au casse-tête d’Idleb

La chute du gouvernorat de Deraa, le 31 juillet dernier, d’où la rébellion a éclos en 2011, a symboliquement bouclé la boucle de la guerre syrienne. Idleb, le dernier grand bastion rebelle du Nord-Ouest, sera ainsi probablement une seconde fin. Des tirs d’artillerie et de roquettes ont visé jeudi matin Jisr el-Choughour, une ville-clé qui fait office de porte d’entrée ouest de la...

commentaires (1)

ICI CE N,EST PAS LE SUD DU PAYS. IDLEB PEUT RAVIVER LA GUERRE CIVILE. ET SURTOUT LA GUERRE REGIONALE...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 15, le 13 août 2018

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • ICI CE N,EST PAS LE SUD DU PAYS. IDLEB PEUT RAVIVER LA GUERRE CIVILE. ET SURTOUT LA GUERRE REGIONALE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 15, le 13 août 2018

Retour en haut