Une perspective d’escalade inédite a paru s’ouvrir hier entre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, et le président de la République, Michel Aoun. Celui-ci a fait valoir hier à ses visiteurs, cités par notre correspondante Hoda Chédid, que « si les entraves à la formation d’un gouvernement d’union nationale persistent, un cabinet de majorité (cabinet de 24 et non de 30, NDLR) devrait être formé avec ceux qui souhaitent y participer. Et que l’opposition s’exprime dans l’hémicycle ». Et d’ajouter, à l’adresse de Saad Hariri : « Le Premier ministre désigné doit se décider dans les deux prochains jours : soit il tranche, soit il met fin à ses caprices politiques et ses revendications basées sur de faux calculs. »
Cette position qui dénonce l’attentisme de Saad Hariri a fait suite à une hausse de ton hier de la part de ce dernier. Il a d’abord critiqué avec virulence l’enthousiasme de certains hommes politiques à se rendre en Syrie (Voir par ailleurs). Après la visite récente à Damas de Hussein Hajj Hassan, il est prévu que le député d’Amal Ghazi Zeaiter et possiblement Youssef Fenianos des Marada s’y rendent incessamment. À travers son tweet, M. Hariri a entendu rappeler en force sa position de principe : le refus de toute normalisation des relations libano-syriennes, n’en déplaise au Hezbollah.
En effet, derrière les obstacles visibles à la formation du cabinet, le parti chiite aurait deux exigences : d’une part, la normalisation officielle des relations Beyrouth-Damas avec l’adhésion du Premier ministre désigné, d’autre part, la mise à jour de la stratégie défensive sur base d’une unification des services militaires et sécuritaires au service du « peuple et de la résistance », selon une source politique indépendante. C’est un double refus qu’oppose Saad Hariri au parti chiite, jusqu’à nouvel ordre, quitte à retarder la formation du cabinet – et c’est contre cet attentisme que s’est attaqué directement hier Michel Aoun, en adressant une sorte d’ultimatum à Saad Hariri.
Les tensions d’abord contenues avec le chef de l’État avaient pointé lors du dernier passage de Saad Hariri au palais présidentiel. Il avait alors communiqué au chef de l’État une mouture axée sur la formule dite des trois 10 : dix ministres au chef de l’État et au CPL (sept au CPL et trois au président), dix au tandem Hariri-FL (six pour le Premier ministre et quatre aux Forces libanaises, dont un portefeuille régalien à ce parti), et 10 autres pour le tandem chiite, le PSP et les Marada (trois Amal, trois Hezbollah, trois PSP et un Marada). Selon une source indépendante, la première réaction de Michel Aoun a été d’acquiescer à la proposition de M. Hariri, avant qu’il ne se rétracte : au moment où son visiteur s’apprêtait à sortir de l’entretien, le chef de l’État lui a fait savoir qu’il vaudrait mieux qu’il négocie directement cette formule avec Gebran Bassil, avant de l’avaliser.
(Lire aussi : Farès Souhaid à « L’OLJ » : Aoun se comporte comme « un parfait allié du Hezbollah »)
Rencontre Berry-Bassil
Après avoir tenté en vain de contacter Gebran Bassil pour une rencontre, Saad Hariri aurait caressé l’idée de repartir aujourd’hui en vacances.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue hier à Aïn el-Tiné la rencontre entre le président de la Chambre Nabih Berry et M. Bassil, en présence du vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, et à l’initiative de ce dernier. Cette rencontre a été présentée, et avec insistance du côté de M. Bassil, comme une rencontre de rapprochement entre deux hommes dont l’inimitié a connu plusieurs manifestations depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République. Le gendre du chef de l’État a situé sa visite dans le cadre de « l’entente nationale », en se référant à un discours du pape sur la convivialité, qu’il aurait lu avec le président de la Chambre. Bien que maquillée par un discours pompeux, la rencontre Berry-Bassil se limite à un objectif précis.
Pour Nabih Berry, cet objectif a été de sonder la position de Gebran Bassil sur la formule des trois dix, appuyée officieusement par M. Berry, sachant que celle-ci implique l’attribution des trois portefeuilles druzes au Parti socialiste progressiste, rapporte un visiteur de Aïn el-Tiné. Quant à Gebran Bassil, briser la glace avec Nabih Berry est un moyen de compenser son éloignement de Saad Hariri, partenaire-clé du mandat et des Forces libanaises. C’est-à-dire de contrer un isolement progressif du camp aouniste qui se verrait limiter à une alliance avec le Hezbollah et les acolytes du régime syrien. Plus précisément, Gebran Bassil aurait voulu faire de l’ombre à la proposition des trois dix de Saad Hariri, qui a prouvé, aux yeux des protagonistes, sa volonté réelle de former un gouvernement d’union nationale, selon un visiteur de Aïn el-Tiné à L’OLJ.
(Lire aussi : Bassil à Aïn el-Tiné pour la première fois depuis sa dispute avec Berry)
Réponse de Hariri
Résultat : les milieux de Gebran Bassil ont interprété cette rencontre comme la preuve d’un appui de Nabih Berry au mandat et Gebran Bassil a fait état d’une entente bilatérale sur toute la ligne, depuis le dossier du gouvernement jusqu’à la législation que Nabih Berry pourrait relancer même en l’absence d’un cabinet.
En contrepartie, ces milieux n’ont rien dit sur la formule des trois dix. À l’instar du Hezbollah, Gebran Bassil aurait en effet des souhaits propres à lui : que Saad Hariri lui garantisse son soutien à la prochaine présidentielle, en marginalisant ses rivaux potentiels, comme les Forces libanaises et d’autres.
Recevant le ministre sortant Ali Hassan Khalil, délégué par Nabih Berry, Saad Hariri a exprimé un nouveau refus de se plier aux desiderata de Gebran Bassil et du Hezbollah – relayés désormais officiellement par le chef de l’État. « J’ai obtenu 112 voix (ayant permis de le désigner à la présidence du Conseil), pour que je forme un cabinet d’union nationale », a-t-il dit, en rejetant l’option d’un gouvernement de majorité. Il reste à savoir jusqu’où mènera le forcing du Hezbollah, par le biais du chef de l’État, contre le Premier ministre désigné.
Lire aussi
Gouvernement : Berry s’invite à nouveau dans la partie
Gouvernement : tout dépendra de la rencontre Hariri-Bassil...
commentaires (11)
Je serais heureux d'apprendre que Saad Hariri serait parti en vacances à Honolulu jusqu'à la fin des deux tournois de ping-pong entre l'éminence grise Gébran Bassil et Samir Geagea et entre Walid Joumblatt et Talal Erslan. Je paraphrase Emmanuel Macron, que les pongistes "aillent le chercher".
Un Libanais
19 h 08, le 01 août 2018