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Liban - La carte du tendre

Ceci n’est pas un chameau

Crédit photo: Collection Georges Boustany/LLL.

Après l’âne et son « dompteur », un spectacle de rue bien plus exotique nous interpelle : cette semaine, nous tombons nez à nez avec… un dromadaire, qui, comme chacun sait – hormis le photographe apparemment – n’a qu’une bosse, au contraire du chameau qui en a deux.

Le négatif est extrait d’un émouvant carnet de voyage tenu par un soldat français au tout début du mandat : Maurice Villaire est en effet arrivé à Beyrouth en avril 1922 et y a séjourné jusqu’au 1er février 1923. Son petit journal jauni et qui fleure les greniers inexplorés des provinces françaises est un bijou. Il comprend un négatif par page illustrant à chaque fois un fait marquant que décrit une légende soigneusement calligraphiée à l’encre sépia… et sans faute d’orthographe, s’il vous plaît.

Un jour du mois d’août 1922, donc, le soldat Villaire visite le centre-ville de Beyrouth : nous sommes peut-être entre Bab Edriss et la place des Canons, dans une capitale qui entame à peine son formidable développement architectural qui donnera lieu au « style mandat » : les bâtisses sont composées d’un étage, et encore ; le délabrement est maître des lieux depuis que les autorités ont décidé de tout détruire pour tracer des axes haussmanniens qui se rejoignent à la « place de l’Étoile ». Comme à Paris.

Maurice Villaire se promène dans une rue qu’il ne nomme pas, mais qu’il fait ressembler aux « grands boulevards » : toujours l’héritage haussmannien. Sur une bonne partie de l’axe, les pavés viennent de remplacer la terre battue, mais il n’y a pas encore de trottoir. Tout à coup se produit une scène surréaliste : un tramway croise un dromadaire. Le soldat photographe a tout juste le temps de dégainer avant que le tramway ne sorte du champ : il parvient à en immortaliser l’arrière au tout dernier moment. Et, fier de sa prise, il note : « Août 1922. Sur les grandes artères, on se croirait sur les grands boulevards ou au milieu du désert : tramways et chameaux font bon ménage. »

Bien que bon nombre de Libanais préfèrent ne pas s’en souvenir, ce « mammifère artiodactyle de la famille des camélidés » n’est pas seulement un cliché du « monde arabe ». Il était couramment utilisé dans les rues de Beyrouth comme moyen efficace et rapide de transport de marchandises lourdes. Un peu plus tard dans son carnet, Villaire ira même visiter un « cimetière de chameaux » dans une région marécageuse totalement inhabitée et franchement insalubre : Bourj Hammoud.

Sur le cliché, on imagine la charge phénoménale portée par le dromadaire comme si de rien n’était : deux sacs de jute de la taille d’un homme, peut-être du blé ou de la farine ; les portefaix que l’on aperçoit à l’arrière seraient bien incapables de transporter un tel fardeau, alors que notre camélidé semble tout à son aise, se permettant même de regarder ailleurs avec l’air hautain que maîtrisent à la perfection ces bêtes fascinantes.

Alentour, les vêtements que portent les personnages qui traversent la photo, y compris le chamelier, semblent issus en droite ligne du Moyen Âge : un turban par ci, un tarbouche par là, il ne manque plus qu’un cimeterre à la ceinture. En 1922, Beyrouth est encore un ancien vilayet ottoman à peine libéré et ses rues sont peuplées de gens qui s’habillent de la même manière depuis des siècles. Les véhicules automobiles n’ont pas encore fait des ravages, et les seuls signes de la modernisation en marche sont pour l’instant les pavés et les poteaux électriques appelés à remplacer les conduites de gaz urbain.

Nous aurons l’occasion de revenir sur le séjour libanais de Maurice Villaire tant son carnet contient de trésors ; en attendant, souvenons-nous, en rencontrant leurs augustes descendants sur les routes de la Békaa et aux portes des ruines de Baalbeck, que les dromadaires avaient pris l’habitude de croiser des tramways dans le Beyrouth des années folles avant que camions et bus viennent rendre obsolètes les uns et les autres.


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Après l’âne et son « dompteur », un spectacle de rue bien plus exotique nous interpelle : cette semaine, nous tombons nez à nez avec… un dromadaire, qui, comme chacun sait – hormis le photographe apparemment – n’a qu’une bosse, au contraire du chameau qui en a deux.Le négatif est extrait d’un émouvant carnet de voyage tenu par un soldat français au tout début du mandat :...

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Le dromadaire moyen de transport écologique ... C'était peut-être pas vraiement du progrès de le remplacer par des camions ...

Stes David

10 h 42, le 08 juillet 2018

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Commentaires (1)

  • Le dromadaire moyen de transport écologique ... C'était peut-être pas vraiement du progrès de le remplacer par des camions ...

    Stes David

    10 h 42, le 08 juillet 2018

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