Un peu plus d’un mois après le début des tractations pour former le nouveau gouvernement, la présidence de la République s’est ouvertement invitée dans le débat autour de la représentation des protagonistes au sein de la future équipe ministérielle, alors que le Premier ministre désigné rappelait ses détracteurs à l’ordre.
Dans un communiqué publié hier, le bureau de presse du palais de Baabda assure qu’il n’est pas question pour le président de la République de se désister de ses prérogatives constitutionnelles, ou encore des coutumes adoptées depuis la signature de l’accord de Taëf (en 1989), dont son « droit à nommer le vice-président du Conseil » et un certain nombre de ministres. Le texte invite, par ailleurs, toutes les formations politiques à respecter les poids (parlementaires) issus des législatives, afin de faciliter le processus de formation du gouvernement.
Le communiqué présidentiel revêt une importance pour plusieurs raisons, liées tant à son timing qu’à ses retombées politiques. Il s’agit de la première fois que le chef de l’État évoque son « droit » à désigner le vice-président du Conseil, sachant que cela n’a pas toujours été le cas sous les mandats précédents. Ainsi, par exemple, sous le premier gouvernement du mandat de Michel Sleiman, dirigé par Fouad Siniora (2008-2009), la vice-présidence du Conseil était détenue par Issam Abou Jamra, lequel était à l’époque un proche de... Michel Aoun, et non du président Sleiman.
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Cependant, Baabda répondrait ainsi aux Forces libanaises qui demandent que ce poste fasse partie de leur quote-part gouvernementale, après avoir été « écartées » du bureau de la Chambre, le 23 mai dernier, selon le terme utilisé par les FL. La présidence de la République se joint aussi aux efforts du CPL pour contrer les ambitions du parti de Samir Geagea concernant sa représentation au sein de la future équipe ministérielle, les aounistes accusant Meerab d’amplifier son poids parlementaire pour augmenter sa part. Baabda chercherait également à faire passer le même message au chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, pour l’amener à abandonner sa volonté de monopoliser les trois sièges réservés à sa communauté dans un cabinet de trente. Des observateurs estiment que, par son communiqué, Michel Aoun tente d’imposer ses vues dans le processus de formation de l’équipe ministérielle une bonne fois pour toutes, en rappelant que cette mission relève de la compétence du président de la République et du Premier ministre désigné exclusivement. À son tour, Saad Hariri, qui a fait savoir qu’il pourrait se rendre à Baabda « dans les deux prochains jours » et qu’il est toujours en contact avec le chef du législatif, Nabih Berry, a imposé hier une condition claire à la formation de son troisième cabinet. Interrogé par la LBCI autour de la représentation des députés sunnites du 8 Mars, M. Hariri a déclaré sans détour : « Je suis le Premier ministre désigné. Et c’est moi qui forme le gouvernement. » Il aurait ainsi laissé entendre qu’il n’est pas question d’intégrer les sunnites ne gravitant pas dans son orbite dans le futur gouvernement.
De son côté, le bloc parlementaire du Futur a mis l’accent sur l’importance du rôle du président de la République dans le processus de formation du gouvernement. Une façon pour les haririens de renvoyer les nœuds entravant encore la mise sur pied du cabinet – dont notamment l’obstacle sunnite – dans le camp de Baabda. Joint par L’OLJ, Abdel Rahim Mrad, député de la Békaa-Ouest, a stigmatisé « les tentatives de M. Hariri d’écarter les sunnites qui ont mené dix députés n’appartenant pas au courant du Futur à l’hémicycle » (sachant qu’ils sont neuf et pas dix). « Le Premier ministre ne peut plus occulter la présence d’autres protagonistes sur la scène sunnite », ajoute-t-il, insistant sur « le droit des sunnites du 8 Mars » à une représentation gouvernementale. M. Hariri a également répliqué vertement à un autre de ses détracteurs, le nouveau député Jamil Sayed (Baalbeck-Hermel). Ce dernier avait demandé que le Premier ministre désigné soit écarté, ce à quoi M. Hariri a répondu : « Qu’il aille se faire voir ailleurs. » Dans son tweet, M. Sayed avait écrit : « Par le passé, Geagea a échoué à faire incarcérer Hariri en Arabie saoudite pour provoquer la chute du gouvernement. Aujourd’hui, Geagea et Joumblatt ont réussi, avec le soutien saoudien, à prendre en otage Hariri au Liban pour entraver (la formation du) gouvernement. » « La majorité est avec nous. Peut-être devrions-nous préparer une pétition signée de 65 députés et la présenter au président de la République pour que la désignation de Hariri soit annulée, comme si elle n’avait jamais eu lieu ; les remplaçants sont nombreux », avait-il ajouté.
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CPL-FL
Du côté chrétien, le différend entre le CPL et les FL continue de s’amplifier, poussant certains observateurs à dire que c’est là et nulle part ailleurs que réside le principal obstacle à surmonter.
Au lendemain d’une rencontre entre Saad Hariri et le leader des FL, qui s’est soldée par une trêve médiatique entre les deux alliés chrétiens afin de faciliter la tâche à M. Hariri, Gebran Bassil a adressé un message politique aux FL. S’exprimant à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc parlementaire dit « Le Liban fort » dirigé par le CPL, le nouveau député de Batroun a lancé : « Notre bloc détient 55 % du poids populaire, suivi des FL qui en ont 31 % (voir par ailleurs). » En face, Samir Geagea a réitéré hier, dans un entretien accordé à la chaîne al-Arabiya, son attachement à une quote-part ministérielle conforme à son bloc parlementaire de 15 députés, se disant, toutefois, optimiste quant à une formation du cabinet « dans les prochaines semaines ».
Expliquant la position de son parti, Fadi Saad, député FL de Batroun, souligne que les FL restent attachées à l’accord de Meerab et ne désirent pas polémiquer avec le CPL, mais elles sont sûres qu’un gouvernement qui ne les inclurait pas ne verra pas le jour. « Le prochain cabinet devrait être équilibré. Et nous sommes le seul parti à même d’assurer cela », ajoute-t-il à L’OLJ, critiquant le fait que le chef de l’État se soit invité dans les débats des quotes-parts ministérielles.
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commentaires (5)
On sent revivre les clivages entre le 8 et 14 mars . Episode à suivre .
Antoine Sabbagha
20 h 54, le 27 juin 2018