Rechercher
Rechercher

Culture - L’artiste de la semaine

Jihad Darwiche, le conteur aux 1 001 mots

De Marwaniyé, au Liban-Sud, à Avignon, au sud de la France, ce « raconteur » a tracé son chemin, parsemant ses histoires d’hier et, surtout, d’aujourd’hui. Portrait d’un conteur engagé, aux récits transmetteurs de sens.

Jihad Darwiche, quelque chose de léonin…Photo Thomaz Mysluk

À Beyrouth, où il se prépare à conter au Festival Horch Beirut ce dimanche 24 juin*, Jihad Darwiche annonce d’emblée la couleur. « Si l’art de conter puise dans le passé, mes histoires, elles, parlent d’aujourd’hui. Elles défendent mon regard sur la vie, la société contemporaine, les événements qui s’y déroulent, ainsi que mes convictions féministes et égalitaires… Car, je le reconnais, je suis un utopiste qui rêve d’un monde meilleur. Et j’espère y contribuer, un tout petit peu, en tissant entre les gens le lien de l’oralité. »
Une crinière léonine parsemée de fils d’argent auréole son visage, buriné, « habité » par un regard intense. Un regard qui « parle » autant que ses mains, expressives, ou encore les inflexions de sa voix chaude au débit coulant de source. La source, justement, de son talent de conteur remonte à son enfance, dans les années cinquante, à Marwaniyé. Dans ce petit village du Liban-Sud, à l’époque encore privé d’électricité, d’eau courante et de routes carrossables, les contes animent les soirées familiales. Et l’un des jeux favoris de la bande de garçons du village est le zajal, cette joute de poésie populaire improvisée. Bercé par les récits de sa mère – « une conteuse innée qui m’a transmis l’art de raconter », dit-il –, Jihad Darwiche développe très tôt un goût pour les mots, leurs sonorités, leur poésie et leur sagesse.

Un chariot plein de livres
En 1961, il a 10 ans et il vient de passer son certificat d’études quand la famille déménage à Saïda. Dans la vieille ville aux ruelles étroites, où les Darwiche se sont installés, les voisins (les voisines surtout) passent leurs matinées à discuter d’une fenêtre à l’autre et à se raconter leurs rêves nocturnes en buvant le café à la cardamone... La tradition orale est encore vivace, et le petit garçon écoute, absorbe, enregistre toutes ces histoires, réelles ou fantasmées, qui nourriront, plus tard, son imaginaire et son répertoire de conteur. C’est aussi à Saïda que le jeune Jihad va découvrir le « plaisir de la lecture » grâce à une rencontre déterminante. Celle d’un vendeur ambulant de livres d’occasion. « Il poussait un chariot plein de livres et nous étions quelques-uns à lui tourner autour sans avoir les moyens d’en acheter un seul. Alors, il nous les prêtait gratuitement en nous demandant juste de les rendre en bon état. Je lui dois mon amour des livres. Et j’en garde un souvenir très, très fort », murmure-t-il.

Naissance d’une voix
À l’école où il montre des dispositions pour les matières scientifiques, on lui inculque le désir de devenir « mathématicien ou physicien ». C’est ainsi qu’au tout début des années soixante-dix, il s’envole pour la France afin de poursuivre des études de maths-physique « et un peu d’informatique », à Montpellier. « Mais le mot m’accompagnait toujours », signale-t-il. À travers notamment son goût des débats politiques et sociétaux. Il le poussera, d’ailleurs, par ce hasard qui fait si bien les choses, vers le journalisme radio. Lors d’une visite à un copain à Radio-Monte-Carlo, on lui propose d’intégrer la section des nouvelles en langue arabe. Il y fera ses premières armes de speaker. Mais abandonne tout au bout de quelques mois, lors de l’embrasement de la guerre de 1975. « Je ne supportais pas l’idée d’être loin de mon pays et de ma famille dans une telle période », confie-t-il. Au Liban, il rejoint l’équipe de Radio-Beyrouth. Il fonde aussi, avec un ami, une petite maison d’édition qui périclite lentement. En 1983, perdant espoir, il repart s’installer, avec Françoise sa femme (française) et ses deux filles, dans le sud de la France. Il commence par enseigner la langue arabe à la faculté des lettres d’Aix-en-Provence. En parallèle, il exerce ses dons de conteur dans des veillées entre amis à la Bibliothèque d’Avignon… « C’était ma façon à moi de préserver mes racines, de conserver, par-delà la distance et la séparation, mon lien avec ma mère. Car certains récits que je racontais étaient puisés des enregistrements sur cassettes audio que ma mère – qui ne savait pas lire et écrire – m’envoyait. Et à travers lesquels elle me décrivait le quotidien de la guerre. »

Désir de transmission
Au fil des soirées, où il entremêle le merveilleux des Mille et Une Nuits et la dure réalité des femmes et des enfants dans la tourmente des événements, l’auditoire de Jihad Darwiche s’élargit, sa langue française « apprise dans la rue » s’étoffe et s’enrichit. Et son désir brûlant, « volcanique », de raconter encore et toujours finit par l’emporter sur tout autre activité. Il laisse alors tout tomber pour se consacrer exclusivement à sa vocation de conteur. Et à son désir de transmission de cette tradition orale. Car, à part les séances de récits, il forme de jeunes conteurs en animant des ateliers de création de contes et d’écriture aussi...
En 2000, il participe, à Beyrouth, au 1er Festival international du conte et du monodrame, organisé par l’Iesav (Institut d’études scéniques audiovisuelles et cinématographiques) et la Maison des cultures du monde, à l’occasion du 125e anniversaire de l’USJ (Université Saint-Joseph). L’événement, dont Jihad Darwiche est l’une des principales chevilles ouvrières, séduit tant et si bien qu’il se renouvelle chaque année depuis 18 ans.
Pour ce passeur de mots, d’émotions et d’idées, l’art du conte est vecteur d’apaisement, de rencontre avec l’autre, de partage et de solidarité. « Sans aboutir nécessairement à une moralité, les contes ne sont jamais innocents. Leur beauté et leur force résident dans la possibilité pour chaque auditeur d’en tirer le message qu’il veut », souligne ce diseur hors pair, qui peut vous ternir en haleine rien qu’en égrenant son propre parcours. Avec ses mots : sages, libres, piquants, drôles, imagés ou colorés… Mais toujours utilisés à bon escient. Car cet homme loquace, qui peut conter des heures durant, affirme détester le bavardage. « Il tue le conte. Il faut respecter aussi bien le sens de la parole que le temps de celui qui vient t’écouter », assure-t-il, la voix grave.

*Jihad Darwiche conte au Festival Horch Beirut ce dimanche 24 juin à 19h.

29 août 1951
Naissance à Marwaniyé,
au Liban-Sud


1961
Découvre les livres
et la lecture à Saïda


1967
Son intérêt pour la politique
éclot avec la défaite arabe


1970
Il part étudier à Montpellier


1975
Retourne à Beyrouth où il fait
du journalisme radio


1984
Il se réinstalle, à nouveau,
en France et devient conteur


2000
Il participe au premier festival
du conte et du monodrame
de Beyrouth


2003
Premier stage de formation
des jeunes
conteurs libanais


http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/


Dans la même rubrique

Hanibal Srouji, du feu et des rêves ...

Joseph Safieddine, bulles ascendantes

Lamia Joreige, un art au scalpel

Hiba Kalache, paradis ambigus

À Beyrouth, où il se prépare à conter au Festival Horch Beirut ce dimanche 24 juin*, Jihad Darwiche annonce d’emblée la couleur. « Si l’art de conter puise dans le passé, mes histoires, elles, parlent d’aujourd’hui. Elles défendent mon regard sur la vie, la société contemporaine, les événements qui s’y déroulent, ainsi que mes convictions féministes et égalitaires…...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut