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Culture - L’artiste de la semaine

Joseph Safieddine, bulles ascendantes

Avec sa tête d’oiseau à peine sorti du nid, le scénariste de bande dessinée a trouvé sa voie à coups d’efforts et d’opiniâtreté, et forcément aussi de travail. Il récolte aujourd’hui ce qu’il a semé en faisant exactement ce qu’il voulait, exactement où il voulait le faire.

Joseph Safieddine, scénariste de bande dessinée.

Un scénariste est censé être quelqu’un d’organisé, de méthodique, avec une vision claire des enjeux et des objectifs. Il lui est demandé d’écrire une histoire, de mettre en scène des personnages aux personnalités et aux relations définies, de dresser un cadre dans lequel tout ceci évolue, pour que les lecteurs, de 7 à 77 ans, s’y retrouvent et achètent la collection ou suivent les auteurs. Il faut être à la fois précis mais généraliste, créatif mais organisé, souple mais déterminé. Parent pauvre de la BD où le dessinateur est roi, le scénariste, même auréolé de succès, reste un accompagnateur, une arme au service du talent au bout de la plume. Pour un Goscinny, combien d’inconnus. Mais tout cela n’a pas été le problème de Joseph Safieddine. À l’écouter d’ailleurs, il a assez peu de problèmes, ou il a l’élégance de ne pas en parler.

Tout commence le 14 juillet 1934 avec la naissance de Gotlib, légende de la BD, personnage central d’une contre-culture des années 70-80, fondateur de l’Écho des savanes et de Fluide glacial, créateur de La Rubrique à Brac, père de Superdupont, et idole de plusieurs générations de bédéistes. Gotlib vit au Vésinet, à 800 mètres de chez les Safieddine, couple franco-libanais installé dans cette banlieue cossue par amour de lui pour elle. Et leur fils de 8 ans, Joseph, est un fan absolu de son voisin. Qu’il harcèle quotidiennement pour le rencontrer. Pas spécialement auteur pour enfants, le grand scénariste a quand même tapé dans l’œil du petit Franco-Libanais qui avait à peine l’âge de lire Tintin, mais s’intéressait déjà aux BD pour grands. En grandissant, Joseph Safieddine restera une présence puis deviendra un ami de la légende, mais jamais ne s’en servira pour gravir les échelons.

Mon père, ce héros
L’autre héros de Joseph est son père. Il l’avoue sans détour, avec fierté, et assume sa source d’inspiration principale. Son père, son histoire d’exil, sa reconstruction, son respect des racines, mais aussi son ambition de reconstruire une famille, une histoire. Exilé en France pour ses études, et bloqué là-bas par la guerre, Mustapha y rencontre une jeune Vésigondine et l’épouse. Il francise son prénom en Stéphane et se vit en parfait français. Businessman, il pousse Joseph dans cette voie, sans se rendre compte que son fils aspire à autre chose. Pour faire plaisir à l’homme qu’il admire, Joseph fera tout comme il faut, mais tellement à contrecœur qu’il faillira à tout. Aussi bien les études, que son intégration à Lyon ou ses tentatives de création d’entreprise.
Ayant commencé à écrire des scénarios dès l’âge de 18 ans, il n’hésite pas à les envoyer aux maisons d’édition les plus connues, ou ses préférées, comme Fluide glacial ou Requins marteaux. Les réponses, quand il y en a, sont négatives, mais il arrive à avoir des conversations avec des responsables qui lui prodiguent conseils et soutiens. Il a réussi à mettre le pied là où il voulait. Et continue à écrire sans cesse.

Son retour à Paris à 20 ans pour poursuivre ses études de médias à Sup de Pub lui donne l’occasion de se rendre au Liban pour plusieurs mois d’affilée, dans le Sud familial, pour essayer d’y vendre du mobilier urbain de JC Decaux. Le timing est mauvais, en raison des troubles de mai 2007, mais une histoire naît avec le Liban.

Pour contenter un père qui rêve son fils businessman et ne comprend rien à l’univers de la BD, il continue religieusement dans ses tentatives entrepreneuriales, aussi bien dans la vente de sextoys sur internet que dans son idée de jeux de sagacité en ligne. Échouant à chaque fois. Il continue aussi à écrire et partager ses scénarios et voit la lumière en 2010, quand les éditions Les Enfants rouges lui achètent Que j’ai été, coécrit avec Charlotte Blazy et dessiné par Loïc Locatelli Kournwski, dit Renart. Sortie en 2011, cette œuvre ne le rend pas riche, mais lui permet de rencontrer ses autres idoles, vivantes celles-là, Bouzard, Goossens et Fabcaro. En 2011, tout s’accélère avec le site Manolo Sanctis, sorte de YouTube de la bédé, qui fait office de maison d’édition et de partage d’œuvres. L’aventure tourne court, mais permet à Joseph Safieddine de rencontrer sa famille professionnelle, ceux avec qui il va travailler et trouver le succès. En 2014, avec Yalla Bye et son dessinateur coréen Kyung Eun Park, il décroche enfin la reconnaissance officielle de son milieu, sélectionné pour les prix des Festivals de Landerneau, du Point et de France Info, ainsi qu’un soutien de la presse. Réunis par leur exil respectif, le passage de Park en banlieue sud de Beyrouth ne passera pas inaperçu, notre dessinateur ne trouvant rien de mieux que de dessiner tout ce qu’il croisait, bâtiments comme individus…

Safieddine enchaîne avec la réalisation de son rêve d’enfant : en même temps qu’un hommage posthume à Gotlib décédé la même année, il intègre, en 2016, la très difficile équipe de Fluide glacial, passage obligé pour qui veut faire son chemin dans la BD, et créée par le grand Marcel en 1975. En charge de trois séries mensuelles, il participe parallèlement à un projet de la chaîne Arte sur Instagram, appelé Été, écrit à quatre mains avec Thomas Cadène, rencontré en 2011 et qui va devenir son collaborateur préférentiel. Été connaîtra sa deuxième saison cette année. En 2018 sort Monsieur Coucou, hommage assumé à son père, dessiné encore une fois, mais pour la dernière, par Park.
Venant régulièrement à Tyr, Joseph Safieddine garde un pied au Liban, qu’il adore, mais sur lequel il ne compte pas écrire pour le moment. Le Liban est un thème qu’il associe exclusivement à son père. Et Monsieur Coucou en est la conclusion. Son cerveau foisonne autant que sa chevelure, et maintenant qu’il est dans la place, il compte bien en profiter. Ça sera À pleines mains, première BD érotique publiée par Dargaud, coécrit avec Cadène, et peut-être une série d’animation d’Eliott, un de ses héros de Fluide glacial.
Vrai amoureux de la BD, Safieddine transmet une énergie contagieuse qui contraste avec le sérieux de ses histoires. Monsieur Coucou est une histoire typiquement libanaise, quand la terre rappelle ceux qui l’ont fuie, et remet en cause la vie qu’ils se sont construite ailleurs.
En France et au Liban, Joseph Safieddine vit entre Montreuil et Tyr, à l’écart, dans ses bulles.

14 juillet 1934
 Naissance de Marcel Gotlib, son idole et son voisin lorsqu’il était enfant.


11 avril 1986
Sa naissance.


12 juillet 1998
 Zizou gagne la Coupe du monde...


Mai 2000
Vers 16h en 3e, cours de physique/chimie, un ami malade se transforme en karcher à épinard : plus gros fou rire de sa vie (merci Pierre...).


12 juillet 2006
 La guerre au Liban. Toute sa famille piégée à Tyr, alors qu’il est au calme à Paris.


7 avril 2016
 Son entrée officielle dans Fluide glacial (fondé plus de 40 ans auparavant par Gotlib) : son rêve de gosse.


13 juin 2023
 Il gagne à l’Euromillions.


En partenariat avec : Galerie Cheriff Tabet



http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/


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