La hausse des écolages provoquée par la réévaluation des salaires des enseignants, prévue par la loi 46, a suscité l’émoi des parents d’élèves dans de nombreux établissements privés. Mais dans la plus grande école de la Mission laïque française au Liban, les réactions particulièrement violentes ont révélé un malaise plus profond.

Sit-in au Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth
Sit-in au Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth Hassan Assal

Pour les élèves du Grand lycée franco-libanais de Beyrouth (GLFL), le troisième trimestre aura eu un agréable avant-goût de vacances. Pour les parents, en revanche, il n’aura pas été de tout repos. Le bras de fer opposant ces derniers à la direction s’est traduit entre avril et mai par des grèves répétées des enseignants. À l’heure de passer sous presse, un compromis temporaire semblait avoir été trouvé pour permettre aux élèves de retrouver le chemin de l’école, mais la résolution définitive du conflit restait tributaire d'une procédure d’arbitrage.

À l’origine de l’escalade : la loi 46 sur la revalorisation de la grille des salaires des fonctionnaires. Adoptée en août 2017, elle octroie aussi aux enseignants du secteur privé une hausse des salaires de base et six échelons supplémentaires. Attendue depuis 2012, cette nouvelle législation est un soulagement pour les professeurs. « Le dernier réajustement de nos salaires remontait à 2008 », rappelle Ghada Fahed Rached, présidente du comité des professeurs du GLFL. Mais pour les écoles privées, c’est un défi de taille. Sans financements de l’État, elles sont contraintes d’absorber en une seule année des retards de réévaluation accumulés sur plusieurs années. Au Grand Lycée, qui est géré par la Mission laïque française (MLF) mais entièrement autofinancé, la mesure implique une hausse de la masse salariale pour les enseignants libanais (les expatriés et résidents français ne sont pas concernés) de 37 %.

À la rentrée 2018, la hausse des coûts est répercutée sur les écolages dans l’ensemble du pays. Mais dans un contexte de crise économique, les parents s’opposent et les enseignants, inquiets, déclenchent des grèves un peu partout. Avant la fin du mois de février néanmoins, la plupart des écoles trouvent des accords à l’amiable permettant de répartir la charge ou du moins de l'échelonner dans le temps, les enseignants acceptant dans la majorité des cas de percevoir les échelons supplémentaires en différé.

Dans les établissements gérés par la MLF, en revanche, la crise va crescendo.

Comme ailleurs, les parents des élèves du GLFL, du Lycée franco-libanais Verdun, du Lycée franco-libanais Alphonse de Lamartine (Tripoli), du Lycée franco-libanais Nahr Ibrahim ou du Lycée franco-libanais Habbouche-Nabatiyé reçoivent des factures majorées de 13 à 28 %.

Dans le plus grand établissement du réseau, le GLFL qui accueille près de 3 500 élèves, la hausse est particulièrement douloureuse. Les frais de scolarité augmentent de 17 %, ce qui représente en moyenne 1,7 million de livres libanaises supplémentaires par enfant, portant le coût moyen de la scolarité à 10,9 millions de livres libanaises par an.

Malaise au GLFL 

La pilule passe très mal au vu des efforts importants concédés les années précédentes. Les frais de scolarité ont en effet presque triplé au GLFL depuis 2005, sans que les salaires des parents aient suivi le rythme. « Nous n’avons rien contre la loi, qui doit être appliquée », affirme en préambule un représentant des parents d’élèves. « Mais il faut comprendre qu’un parent qui a inscrit son enfant en petite section payait moins de 4 millions de livres libanaises au départ. Il ne pouvait pas s’attendre à ce que cela passe à près de 11 millions en terminale », ajoute-t-il. Certains parents déplorent aussi le fait que cette évolution des frais de scolarité ait fait de l’argent un critère de sélection important. « J’avais choisi le GLFL pour sa mixité sociale », regrette l’un d’entre eux, ancien élève. 

L’une des raisons de la forte hausse des dernières années est un vaste plan de réhabilitation et de réaménagement des locaux, mené entre 2013 et 2016. Coût total des travaux : 25 millions de dollars. Deux parkings en sous-sol, deux bibliothèques et un amphithéâtre ont notamment vu le jour. Une « mise aux normes rendue indispensable au vu de l’exiguïté du foncier et de l’usage de bâtiments déjà anciens », justifie la MLF dans son rapport d’activité 2016-2017. Mais cette ambitieuse politique d’investissement ne rend que plus pénible aujourd’hui l’augmentation des charges salariales, pourtant anticipées depuis 2012.

Les parents d’élèves sont d’autant plus remontés que, selon les calculs de la commission financière de leur comité représentatif, pas plus de 14 % de la hausse des écolages au GLFL n’est destinée à financer l’accroissement des salaires. Les 3 % restants concernent une hausse des coûts opérationnels. Dans les circonstances actuelles, les efforts de la direction pour contenir les dépenses sont jugés insuffisants.

Les “indemnités au propriétaire” versées à la MLF ont augmenté de 250 % depuis 2008, pour financer entre autres les grands travaux, écrit le comité sur son blog. Le loyer réglé pour le terrain croît également de façon « injustifiée », note-t-il. Ces terrains appartenant à l’État français sont loués « à des conditions très préférentielles », déclare pourtant l’ambassade de France.

Le comité des parents reproche également à la MLF un manque de transparence. Le réseau d’enseignement refuse, selon lui, de lui communiquer l’inventaire des biens amortis. Or, ce document lui permettrait de vérifier que les parents ne paient pas à la fois les investissements et les amortissements.

Enfin, les représentants des parents regrettent que certains revenus externes générés par le GLFL « tels que les frais d’ouverture de dossier, les revenus générés par le transport et la cantine scolaires, les intérêts bancaires » ne soient pas comptabilisés dans le budget.

Rupture du dialogue 

L’ensemble de ces points sert de base au comité des parents pour refuser de signer le nouveau budget présenté par la direction du GLFL. Selon la loi 515 de 1996, le budget des écoles privées doit être envoyé au ministère de l’Éducation après avoir été approuvé par le comité. Après avoir reçu le budget non signé fin février, le ministre Marwan Hamadé, plutôt que de trancher comme la loi lui en offre la possibilité, attend début mai pour déférer le cas du GLFL et 64 autres devant les tribunaux arbitraux, appelés à gérer ce type de litige.  

Mais en attendant que le ministre se prononce puis que le tribunal arbitral soit nommé par décret, le comité des parents ne veut pas payer la hausse exigée. Il saisit donc le juge des référés, qui gèle l’augmentation et presse les deux parties de trouver une solution à l’amiable.

Ce recours est perçu comme une déclaration de guerre par la MLF. L’organisation rompt dès lors tout dialogue avec le comité et se mure dans le silence, renforçant un sentiment de malaise général chez les familles. Les échanges ne se font plus que par avocats interposés.

Fin avril, la direction se déclare dans l’incapacité de continuer à payer les nouveaux salaires des enseignants, qu’elle avait commencé à verser en décembre, sans les échelons. Ces derniers se remettent en grève, accentuant la pression sur les familles. « La MLF a cherché à nous mettre à dos les enseignants et le reste des parents », fulmine un membre du comité.

Plusieurs médiations ont été lancées pour stopper cette surenchère, sans succès. « Seuls les comités des parents et des enseignants ont répondu favorablement à notre proposition », affirme Joseph Moukarzel, député suppléant des Français établis hors de France pour la 10e circonscription, qui a proposé son aide, avec la députée Amélia Lakrafi. Contactés par Le Commerce du Levant, le proviseur de l’établissement, Brice Lethier, n’a pas donné suite et le représentant régional de la MLF, Patrick Joseph, a refusé de s’exprimer tant qu’une procédure est en cours.

“Tergiversations” et discussions “stériles” 

Il faut attendre le 23 mai, et plus de deux semaines de fermetures des classes, pour que la MLF s’exprime pour la première fois dans un courrier envoyé aux parents. Ses deux signataires, le président de la MLF François Perret et son directeur général Jean-Christophe Deberre, y dénoncent le comportement bloquant du comité des parents. Les « tergiversations » et « discussions constamment stériles » avec ce dernier, dont l’attitude consiste à « dire non à tout », ont poussé la MLF à couper le dialogue, expliquent-ils. Il a « pris le GLFL et vos enfants en otages pendant trois mois », écrivent les deux dirigeants. « Le cœur lourd », ils évoquent même un éventuel départ de la MLF du Liban, si sa présence n’était « plus souhaitée ».  

Sur le fond de l’affaire, le réseau se défend de faire preuve d’un manque de transparence. Il affirme que le comité a pu avoir accès « à toutes (les) écritures comptables liées au budget libanais pour les années 2015-2016 et 2016-2017 », sans se prononcer sur celui de 2017-2018, et dénonce son opportunisme, alors qu’il n’avait fait « aucune remarque sur l’ensemble des dépenses faites sur l’année scolaire 2016-2017 » dont certaines parties sont reprises dans le budget actuel.

Des accusations que le comité des parents nie à son tour dans une lettre de réponse datée du 27 mai, s’indignant contre la tentative de la MLF de décrédibiliser ses 17 membres, pourtant élus à 85% par les parents d'élèves en novembre.

En gage de bonne foi, le comité accepte un dégel partiel de la hausse des écolages pour payer l’augmentation des salaires de base et différer le paiement des six échelons à l’année prochaine. Cette solution semblait avoir temporairement permis la réouverture de l’école, même si la MLF s’est empressé de critiquer une solution qui « n’est acceptable pour personne et à terme ne résout rien ». Toujours intraitable après plus de trois mois de blocage, l’administration continuait fin mai de « réclamer l’application de la loi, toute la loi », salaires et échelons compris.

Reste à savoir si le jeu en valait la chandelle. Le comité des parents a-t-il eu raison de mener une bataille contre le budget et de dénoncer les méthodes de la MLF ? C’est désormais au tribunal arbitral de Beyrouth de trancher. Fin mai, il n'était toujours pas constitué. "Le juge a été nommé par le ministre de la Justice mais pas ses deux adjoints - le représentant des parents et celui de l'école - qui doivent être nommés par le ministre de l'Education", affirme une source proche du dossier. Une fois qu'il sera constitué et qu'il se sera saisi du dossier, verdict attendu d’ici à deux mois.  


La Mission laïque française en bref

- 1902 : création de la MLF, association française à but non lucratif.

- 1906 : ouverture de son premier établissement à Thessalonique (Grèce), faisant partie de l’Empire ottoman.

- 1909 : ouverture du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth, premier des cinq établissements au Liban gérés par la MLF.

- 109 établissements répartis dans 38 pays, scolarisant plus de 60 0