C’est souvent au crépuscule que tous les chats deviennent gris. Que l’on se travestit, se transforme, se cache et s’exhibe. La nuit, on ment ou on se dévoile. Tout dépend de l’instant. La nuit, on rêve ou on angoisse. Tout dépend du moment. La nuit est une énigme. Elle réveille les passions, augmente les douleurs, engendre l’imagination. La nuit enveloppe dans les bras de Morphée les inquiétudes.
Il y a quelque chose de troublant lorsque le noir s’empare du ciel. Lorsque les femmes s’apprêtent et que les hommes se prêtent. Quelque chose de surprenant. Comme si la pénombre cachait une part de nous. Comme si elle nous concédait cette désinhibition dont on se prive le jour. Derrière un rouge sur les lèvres ou élancées sur des stilettos noirs, les femmes deviennent tour à tour amazone, conquérante ou femme fatale. Elles se révèlent, cachent parfois leurs blessures sous un masque de beauté et fendent leurs tenues pour détourner le regard des autres de leurs yeux tristes. C’est ainsi que les femmes se protègent la nuit. Et plus tard, quand l’aube pointe le bout de sa lumière rosée, elles retirent leur cagoule, et leurs épaules se voûtent à nouveau. Les hommes aussi, derrière leurs rires gras et leurs cigares, renferment leurs incertitudes et leurs insécurités.
La nuit, c’est aussi l’angoisse. Le cerveau qui devient notre pire ennemi. L’imagination s’agite tout autant que le sommeil et nous impose des insomnies. Nous fait plier sous la peur. Toutes les émotions sont exacerbées. On cogite, spécule, anticipe. On se lève, grille une cigarette, boit de l’eau, met un film. Cherche dans un épisode d’Outlander une porte de secours. Un pis-aller face à la terreur que provoquent les cauchemars. Ou les rêves inachevés.
Mais la nuit n’est pas seulement un mensonge ou la crainte. La nuit permet de s’ouvrir. De s’épancher, de se confier. Les mots ne sont plus à demi dits. On parle, on écoute, on échange. Ces choses qu’on n’aurait pas osé prononcer. On se dévêtit peu à peu, on baisse les armes. On devient vulnérable, mais on est honnête. La nuit, on est vrai. Et on se parle jusqu’à pas d’heure de tout, de rien, puis de tout. Dans l’absolu et dans les détails. Du nécessaire et de l’accessoire. C’est là qu’on se rencontre. On dit je t’aime ou on fait l’amour. La nuit s’invite dans des draps froissés. Fait se rencontrer des peaux. Tamise les défauts, sublime les corps. Les étrangers s’apprivoisent. Les amants se retrouvent, se blottissent l’un dans l’autre, ne voient plus le temps qui passe. Leurs odeurs se mêlent, leurs parfums s’estompent. Elles ont le mascara qui a coulé; eux, les cheveux qui se sont ébouriffés. C’est ça aussi une nuit. Une nuit d’amour, une nuit de sexe. Une nuit blanche comme la lumière.
Parce que les nuits blanches, ce sont aussi des nuits de création. Des moments d’introspection et d’inspiration. Quand le silence enrobe la ville, quand les cigales s’arrêtent de chanter, quand les autres se sont couchés et que nous, on s’éveille. Ici, l’imagination n’est plus une adversaire. Elle est devenue complice. Une camarade qui permet de chevaucher les rêves au lieu d’être écrasés sous leur poids.
C’est étrange, violent et doux à la fois, la nuit. On l’attend parfois quand c’est le jour qui nous a joué des tours. On l’attend pour se laisser aller, s’abandonner à elle. On la redoute quand la journée fut vide, quand le cœur est blessé, l’âme atteinte. Quand les soucis deviennent invivables et que les pensées s’entrechoquent. Que les problèmes et les solutions ne se croisent pas.
Mais ça reste extraordinaire, la nuit. Ça réconcilie avec le ciel. Ça fait disparaître la laideur des hommes et du monde. Ça rend beau. Et belle.
commentaires (4)
Très beau et merci! Sans la nuit ce groupuscule d'homosapiens n'auraient jamais réussi ses périples inouïes découvrant l'immensité et la beauté de notre mère la Terre. C'est la qu'ils se detendaient se parlaient et se connaissaient! Chapeau à la nuit, au jour et à vous Médéa.
Wlek Sanferlou
16 h 04, le 27 mai 2018