Le Liban devrait passer en septembre prochain à l’échange automatique d’informations fiscales. Quelles sont les conséquences de ces nouvelles réglementations pour les contribuables qui ont des placements à l’étranger ? Est-il encore temps pour eux de régulariser leur situation vis-à-vis du fisc ? Éléments de réponse.

L'avocat fiscaliste Karim Daher prend la parole durant la conférence Symposia.
L'avocat fiscaliste Karim Daher prend la parole durant la conférence Symposia.

Depuis mai 2017, le Liban est membre à part entière de la MAC – la convention d’assistance administrative mutuelle en matière d’impôts. En vertu de cette appartenance, il peut désormais échanger, sur demande ou spontanément, des informations financières et fiscales relatives aux contribuables respectifs des 117 pays signataires de la convention.

Autrement dit, depuis un an, l’administration fiscale libanaise peut accéder, si elle en fait la démarche, à toutes les informations relatives aux placements de ses résidents fiscaux dans ces pays, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ces informations concernent les données personnelles de la personne physique ou morale (nom, domicile, adresse de correspondance, numéro d’identification fiscale, lieu et date de naissance) et les numéros des comptes à vue, d’épargne, à termes et des comptes-titres dont il est titulaire. Elles peuvent également concerner l’identité des bénéficiaires et des personnes contrôlant certaines structures non financières passives (“passive NFE”), c’est-à-dire celles dont la majorité des actifs ou des revenus annuels sont constitués de revenus financiers passifs (intérêts, dividendes, obligations, etc.).

Dans les faits cependant, le fisc libanais ne semble pas pour l’instant avoir eu recours à ce nouveau procédé pour régulariser la situation fiscale de ses contribuables. « Je n’ai à ce jour pas d’information concernant des situations précises d’échanges intervenus à la demande du Liban », a constaté l’avocat fiscaliste Karim Daher, l’un des intervenants à une conférence organisée par Symposia, le 18 avril, sur les conséquences des mesures internationales pour la transparence fiscale sur la fiscalité mobilière.

La résidence fiscale au coeur du système

De même, le Liban peut désormais transmettre aux administrations financières des pays membres des informations sur les non-résidents fiscaux détenant des capitaux mobiliers au Liban. D’où l’importance de définir sa résidence fiscale, clé de voûte de ce système d’échange mais aussi élément indispensable pour la détermination de son régime d’imposition.

S’il est considéré comme résident fiscal, le contribuable est tenu de payer un impôt sur le revenu de ses capitaux mobiliers. Cela s’applique aux divers produits de ses placements – dividendes, intérêts et arrérages – réalisés au Liban ou revenant à un résident libanais. Par conséquent, pour les résidents, l’impôt touche les revenus d’actions et d’obligations étrangères ou autres titres de créance ou produits assimilés, ainsi que les intérêts et les revenus liés à des plus-values issues de la cession de ce type de valeurs (“capital gains”). « Ces derniers ne devraient pas normalement rentrer dans le champ de cet impôt étant donné que les actions libanaises en sont exemptées ; mais le fisc refuse cette assimilation et les soumet à l’impôt », précise Karim Daher.

Pendant des années, une grande partie des contribuables libanais a préféré ne pas déclarer ses placements – ou n’était pas au courant qu’elle était imposable, affirment certains. Le fisc n’ayant aucun moyen de contrôle, il n’a jamais réclamé les sommes dues sur ces revenus. Mais la mise en place de l’échange d’informations pourrait changer la donne.

Indulgence du fisc

Et les sanctions pour les contrevenants sont lourdes. L’amende pour non-déclaration est de l’ordre de 5 % du montant de l’impôt dû par mois de retard, plafonnée à 100 %, selon l’article 109 du code des procédures fiscales, avec des pénalités de recouvrement de l'ordre de 1,5 % (pour les retenues à la source) et de 1 % (pour les paiements directs) par mois de retard, sans plafond. La sanction pénale pour évasion ou fraude fiscale est, elle, d’une peine de prison de six mois à un an, voir trois ans en cas de falsifications. « Mais l’élément intentionnel est très difficile à établir et il n’y a pratiquement jamais eu de cas de jugements en ce sens », commente Karim Daher.

Pour encourager les régularisations, le fisc libanais se montre pour l’instant complaisant à l’égard des retardataires, redevables de leurs impôts non déclarés pour les cinq ou sept années écoulées, selon les délais de prescription. « Beaucoup de personnes ont déclaré pour la première fois leurs revenus à l’étranger ces deux dernières années et le fisc s’est montré plutôt indulgent », remarque Karim Daher. À défaut d’une amnistie fiscale, les contrevenants libanais qui le souhaitent peuvent bénéficier dès à présent et durant les six mois suivant la date de publication du budget 2018 (le 19 avril) d’une exemption totale des amendes et pénalités encourues en cas de situation irrégulière.

Une opportunité offerte aux contribuables, alors que le pays s’apprête à passer, en théorie en septembre 2018, à l’échange automatique d’information, ou “norme CRS” (Common Reporting Standard). Les échanges d’informations entre États ne seront donc plus seulement ponctuels et nominaux, mais généralisés et reconduits chaque année.

Un répit avant la mise en place de la norme CRS

Cette mesure est le fruit d’une seconde convention, la MCAA, signée également par le Liban en mai 2017 et à laquelle ont adhéré à ce jour 98 pays (dont certains utilisent déjà le CRS depuis septembre 2017).

Un répit pourrait toutefois être accordé aux contrevenants libanais si le Liban ne remplit pas à temps les critères requis pour être habilité à recevoir des informations dans le cadre de la convention MCAA. Le pays du Cèdre doit notamment prouver qu’il est capable de mettre en place un système de garantie et de protection de la confidentialité des informations reçues, ainsi que d’un système de cryptage pour l’envoi informatique. Selon Karim Daher, plutôt pessimiste sur ce point et dubitatif sur la volonté de certaines personnalités politiques de voir ces informations voyager, « l’échange pourrait ne se faire dans un premier temps que dans un seul sens, du Liban vers l’étranger ».

Étant donné la pression à laquelle est soumis le Liban – au lendemain de la conférence CEDRE au cours de laquelle le pays s’est engagé à réduite de 5 % son déficit public annuel –, il est néanmoins peu probable qu’il se prive longtemps de cette opportunité d’élargissement de l’assiette fiscale. Selon une estimation d’un banquier libanais, dont les calculs s’appuient sur des chiffres de la Banque des règlements internationaux, les capitaux détenus par les Libanais à l’étranger représenteraient environ six milliards de dollars. À supposer qu’ils soient placés dans des instruments à faible rendement, avec un revenu moyen de 1 %, les recettes potentielles pour le fisc libanais seraient de l’ordre de 6 millions de dollars par an.

Comment déterminer la résidence fiscale ?



La notion de résidence fiscale a longtemps été floue au Liban. Le terme n’a été légalement défini qu’en octobre 2016 par la loi n° 60.

Selon ce texte, est considéré comme résident fiscal libanais toute personne morale constituée ou enregistrée conformément aux lois libanaises ou ayant au Liban un local pour exercer ses activités. La mention “constituée” permet d’inclure aussi les sociétés non enregistrées, mais effectives et matérialisées entre associés par un contrat simple, comme les sociétés en participation et les joint-ventures.

Concernant les personnes physiques, est considéré résident fiscal libanais toute personne qui dispose au Liban d’un local pour l'exercice de son activité professionnelle, qui a une résidence permanente au Liban constituant son logement habituel ou celui de sa famille (conjoint et enfants à charge) ou qui passe au Liban plus de 183 jours au total, continus ou discontinus, sur une période de 12 mois successifs (hors transit ou le séjour médical). Ces trois critères sont alternatifs. Autrement dit, il suffit de remplir l’un des trois pour être considéré par la loi libanaise comme résident fiscal au Liban.

Le décret 3692 du 22 juin 2016 complète la loi n° 60 dans le cas où la personne physique ou morale est engagée dans une activité professionnelle. Il précise la notion de “non-résidence”. Si une personne exerce au Liban une “activité occasionnelle”, c’est-à-dire qui ne se répète pas plus d’une fois par an, elle est considérée comme non-résidente. À l’inverse, si elle dispose d’un “lieu fixe d’activité”, occupé pendant plus de six mois pour les travaux publics et privés et plus de trois mois pour toutes les autres activités, alors elle ne peut être considérée comme non-résidente.

La loi n° 60 et le décret 3692 permettent en théorie de déterminer si oui ou non un contribuable réside fiscalement au Liban. Toutefois, « il n’y a pas de définition commune de cette notion à l’international », explique Chris Orchard, consultant senior au sein du cabinet londonien Hansuke Capital et ancien haut fonctionnaire au sein de l’administration des impôts britanniques. « Il arrive que les revendications de deux États en matière d’impôts se superposent », ajoute-t-il.

Dans ce cas, l’existence d’une convention bilatérale définissant les conditions précises de la résidence fiscale entre les deux entités permet de trancher et, in fine, d’éviter la double imposition. « La convention prime sur le droit national », indique Maxence Manzo, avocat associé chez Cazals Manzo Pichot. Les critères le plus souvent utilisés par les conventions bilatérales sont, par ordre d’importance : le foyer d’habitation (lieu où la personne et sa famille habitent normalement), le centre des intérêts vitaux (liens personnels ou économiques privilégiés), le lieu de séjour habituel et, enfin, la nationalité, en dernier ressort.