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Culture - L’artiste de la semaine

Mazen Haïdar, des racines et des blettes

Après un premier roman en arabe (« Four Steps Down »), second opus pour Mazen Haïdar qui tâte cette fois du théâtre en langue française. Ses « Feuilles de blettes » seront jouées cette saison à Paris et au festival Off d’Avignon. Rencontre lors d’un passage éclair à Beyrouth pour parler non seulement de recettes de cuisine, mais d’un parcours qui s’affirme en littérature...

Mazen Haïdar. Photo Léa Girardin

Voix feutrée pour un sourire toujours « ultrabright » avec dentition en rangées de perles, le poil ras, veste et tee-shirt noirs, Mazen Haïdar est un architecte (avec un intérêt particulier pour le patrimoine), homme à plusieurs casquettes qui finit actuellement à Paris, à la Sorbonne, son doctorat dont la thèse s’intitule : « Les pratiques d’appropriation de l’architecture au XXe siècle à Beyrouth ».

 Né en 1979 à l’hôpital de l’Université américaine à Ras Beyrouth, son enfance est bercée par le va-et-vient des réseaux routiers de Hamra, notamment la rue de Lyon, qui sera l’un des décors favoris de son premier roman. Atmosphère d’une ville en effervescence entre guerre et répit, pour découvrir – bien au-delà des cartes postales amoureusement regardées et le récit des parents qui racontaient leur expérience des lieux– la place des Martyrs, une fois le calme rétabli. Une place des Martyrs en ruine, mais qui conservait son esprit pour ce jeune homme qui a choisi d’être architecte parce que c’est un moyen de communiquer plus longtemps avec les lieux, de s’approprier leurs formes, leurs bruits, leurs couleurs. En leur donnant un nouveau récit. L’architecture non pour faire de nouvelles constructions, mais pour mieux observer et savourer ce qui existe. D’où, de toute évidence, le label de patrimoine. 

Et l’on comprend dès lors qu’il fut choisi comme expert en restauration par la boîte Samir Khairallah (agence SKP) pour le projet de l’ancien immeuble de L’Orient-Le Jour au centre-ville. Il avait alors travaillé sur le relevé du bâtiment et sur l’étude du projet de restauration de ses façades, notamment sur les traces de la guerre. 

Dans un registre plus littéraire qu’architectural, mais toujours dans le sillage de la corrélation entre lieux et êtres, à son actif aujourd’hui une comédie dramatique en un acte, à deux personnages et d’une durée d’une heure. 

Intitulée Les feuilles de blettes, cette pièce est mise en scène par Vincent Marbeau (assisté de Florent Nemmouchi) dans une scénographie de Lucie Cathala, avec comme acteurs Vincent Marbeau et Sonia Morgavi. Elle sera donnée les 19, 20 et 22 juin au théâtre Le Brady à Paris et par la suite dans le cadre du festival Off d’Avignon. Et pourtant, pour ce végétarien féru de Jean-Luc Lagarce et Wajdi Moawad, le théâtre, dit-il un peu paradoxalement, n’est pas à la base de ses préoccupations ! 

Dramaturge en herbe(s)
On plante, loin de toutes les coulisses, le décor de ces Feuilles de blettes : une cuisine où une mère et son fils devisent. Non seulement de bottes de blettes vertes coupées, rissolées avec oignons, assaisonnées d’huile et de citron mais… de tout! Ici les recettes de cuisine ne sont qu’alibi. Devant un déménagement forcé, c’est l’occasion de réveiller des souvenirs enfouis. Alors on évoque le passé précaire, l’ombre autoritaire du père absent de la scène et surtout les déplacements et les rapports aux lieux entre sédentarité menacée et sécurité d’un parcours humain…

Contraints de quitter leur domicile, un homme et sa mère retrouvent donc toutes leurs incertitudes. Ils se livrent à l’exploration d’une mémoire longtemps refoulée. Dans une atmosphère tendue autour de la préparation d’un repas, les souvenirs, à la fois gais et rebutants, affleurent et se mêlent à l’angoisse de perdre le droit au logement dans un quartier central de Beyrouth…

Quel est le style de cette œuvre dramaturgique ? « Tout d’abord, je dois avouer que je me suis exposé pour la première pièce à écrire en français. Il est vrai que mon premier roman thérapeutique était en arabe. J’écris aussi des articles techniques d’architecture en italien mais, cette fois, je découvre l’aspect vivant de la langue de Molière. »

Polyglotte (arabe, français et italien), le dramaturge en herbe confesse qu’il s’agit pour lui d’un léger port de masque que d’utiliser la langue française, car il ne traite pas avec sa langue native. À travers cette écriture, il a essayé de voir au plus près les choses pour un dialogue qui ne peut pas dissimuler ni transformer les sentiments. Ici, ils sont à leur état brut !

Pour une petite digression innocente, quels sont les plats préférés de cet auteur qui jongle entre les langues et peaufine des répliques entre becs de gaz, casseroles et poêles ? Petit sourire et réponse amusée. Autrefois, il n’avait pas de réponse à cela… Mais maintenant, il déclare sans détour, des plats de carême, à l’huile : chich barak atte3 et kebbet el-adass…

Pour en revenir à cette pièce, mêlant humour et mélancolie, qui s’étend bien au-delà des occupations du four, quels seraient les temps forts ? « Le moment où le fils se dévoile et dit la vérité, explique Mazen Haïdar. Par couches de phrases subtilement égrenées, mettant à nu l’âme des deux protagonistes, il y a là la découverte progressive d’un esprit dépressif qui se libère par le langage et les aveux. Surtout à l’ombre de la hantise de perdre sa référence et ses racines. »

Une nouvelle pièce en cours ? « Oui, avoue le dramaturge dont les vocables affrontent pour la première fois les feux de la rampe, et cela s’appelle « Tel jour il faudra oublier »… C’est basé sur un fait divers et il ne parle plus du Liban, mais d’une petite ville en France, à la frontière nord du pays où il vit actuellement. 


10 juillet 1979
Naissance à Beyrouth.

1990
Découverte de la place
des Martyrs en ruine.

2001
Premier article publié au « an-Nahar » sur le Prix Borromini.

2006
Publication de son premier livre, en langue italienne, « Citta e memoria, Beirut, Berlino, Sarajevo » (éditions Bruno Mondadori).

2011
Enseignement à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA).

2013
Organisation d’une exposition sur la ferronnerie architecturale
de la ville de Beyrouth.

2013
Chargé du projet de restauration de l’immeuble « L’Orient-Le Jour »
 au centre-ville.

2016
Publication d’un premier roman
en langue arabe « Four Steps Down »
(Dar al-Adab).

2017
Écriture d’une première pièce de théâtre en langue française
« Les feuilles de blettes ».


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