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Programme économique : que proposent les principaux partis libanais ? - dossier spécial législatives libanaises 2018

III – Dépenses publiques, dette, politique monétaire : que proposent les principaux partis libanais ?

Les quatre prochaines années s’annoncent décisives pour la mise en œuvre de plusieurs réformes économiques structurelles visant à relancer la croissance du Liban et à créer des emplois. À quelques jours du scrutin, « L’Orient-Le Jour » a pris l’initiative d’étudier les programmes économiques des principaux partis et mouvements politiques du pays et d’en dresser un comparatif secteur par secteur, dont l’électricité, les hydrocarbures offshore, les télécoms et, aujourd’hui, les finances publiques. Le courant du Futur, le Hezbollah, les Forces libanaises, le CPL, le PSP, les Kataëb, ainsi que le mouvement Mouwatinoun wa mouwatinate (coalition Koullouna Watani) ont répondu favorablement à notre requête. Le mouvement Amal et les Marada n’ont pas été en mesure de le faire dans les délais. Absent des deux premiers articles, Li Baladi (coalition Koullouna Watani) a finalement pu répondre à nos questions.

Le parlement libanais.

DÉPENSES PUBLIQUES :


Propositions de réductions budgétaires et à quelles échéances ?
Pour le courant du Futur, il paraît « impossible de s’attaquer aux dépenses en salaires et traitements à court terme », en revanche « le poste de dépense le moins rigide serait celui des transferts à EDL », indique Raya el-Hassan. « Nous œuvrerons également à faire baisser le ratio service de la dette / PIB en privilégiant les prêts concessionnels et en opérant des swap sur les bons du Trésor d’une valeur totale de près de 6 milliards de dollars. Enfin, nous ferons en sorte de limiter le gaspillage dans les dépenses courantes. Le gouvernement s’est engagé à la CEDRE à réduire de 5 % le ratio déficit / PIB sur les cinq prochaines années », poursuit-elle.


Le CPL estime également qu’à court terme, une réduction budgétaire d’un milliard de dollars sera possible en réglant le problème de l’électricité et qu’une baisse du service de la dette pourra aussi permettre une économie d’un milliard de dollars. En plus de cela, le CPL soutient « les recommandations de réductions budgétaires proposées par le président de la commission des Finances, le député CPL Ibrahim Kanaan », qui portent notamment sur les frais de location d’immeubles gouvernementaux ou encore les aides aux associations n’ayant pas d’utilité publique, indique Charbel Cordahi.


Le parti Kataëb compte aussi sur la réforme du secteur de l’électricité pour réaliser les premières réductions budgétaires, mais souhaite aussi s’attaquer au poste des salaires et traitements de la fonction publique. « Il y a un gaspillage important à ce niveau-là car nous faisons face à une injustice. Il y a d’une part des fonctionnaires méritants et investis et d’autre part d’autres qui ne doivent leurs postes qu’au recrutement politique. Il faut opérer une réorganisation de l’organigramme de la fonction publique et revoir les fiches de postes en y incluant des missions et des objectifs spécifiques, avec l’introduction d’indicateurs de performance (KPI) », propose Jean Tawilé. Le parti souhaite également « supprimer les salaires et indemnités versés aux anciens députés et à leurs familles en cas de décès, qui coûtent annuellement 23,8 millions de dollars à l’État ». Avec l’ensemble de ces réformes, les Kataëb se sont fixé comme objectif de réduire le déficit public à 4,7 milliards de dollars en 2019, en le baissant progressivement de 300 millions de dollars par an, pour atteindre un déficit à 3,5 milliards de dollars en cinq ans.


Le Hezbollah insiste particulièrement sur la nécessité de renégocier le service de la dette. « Après Paris 2 en 2002, il y a eu un accord entre les banques commerciales, la Banque du Liban (BDL) et le ministère des Finances pour diminuer le service de la dette de 14 à 8 %. Il faut que le même genre d’accord, même sur le court terme, soit réalisé aujourd’hui, pour que le service de la dette baisse à 1,5 ou 2 % », suggère Abdel Halim Fadlallah.
Le PSP estime, quant à lui, que les salaires et le service de la dette sont des dépenses incompressibles, du moins à court terme. « Il faut travailler en priorité sur la réduction du déficit d’EDL et sur le gaspillage au niveau des dépenses courantes, ainsi que sur les frais de location des bureaux gouvernementaux et sur les frais des voyages officiels », affirme Mohammad Basbous.


Quant aux Forces libanaises, elles indiquent avoir déjà fixé des objectifs chiffrés pour articuler une vision globale d’assainissement des comptes publics. « Les recettes doivent être à au moins 25 % du PIB et les dépenses au maximum à 28 % pour un déficit qui oscille entre 0 et 3 % du PIB à terme. » Si nous sommes aux commandes, nous pourrons lancer les réformes nécessaires et amorcer ce processus qui prendra 3 à 5 ans dès 2020 », assure Roy Badaro.
Pour Li Baladi en revanche, la solution au déficit public ne proviendra pas forcément de réductions budgétaires mais davantage d’une meilleure gestion des ressources et des établissements publics ainsi que des réformes de modernisation de l’administration publique, afin de gagner en efficacité dans l’exercice du pouvoir et surtout d’éradiquer la corruption. Plus concrètement, Gilbert Doumit propose, au nom de Li Baladi, de revoir toute la méthode de construction du budget de l’État à travers sa consolidation par l’intégration des budgets de l’ensemble des établissements publics (comme le CDR et le Conseil du Sud) ; une description plus détaillée des budgets des différents ministères et institutions publiques ; une allocation par portefeuille cohérente avec l’objectif de relancer la croissance et donc par la hausse des budgets des ministères de l’Économie, du Travail et de l’Industrie ; et enfin une automatisation, qui facilitera le travail de contrôle exercé par les parlementaires et ainsi le vote des lois de règlement. Parallèlement, Li Baladi propose de rendre plus transparent le processus d’attribution des marchés publics, de réorganiser les ressources humaines au sein de la fonction publique. Tout comme les Kataëb, ils souhaitent supprimer les salaires et indemnités des anciens députés.


(Lire la première partie de ce dossier : I- Réforme du secteur de l’électricité : que proposent les partis politiques libanais ?)    


Positions sur la réforme administrative prévue ?
Le courant du Futur, le CPL, le PSP, les Forces libanaises, les Kataëb, le Hezbollah et Li Baladi ont affirmé soutenir la réforme administrative annoncée par le gouvernement Hariri et programmée dans la loi de finances de 2018, qui vise à supprimer ou fusionner 86 institutions publiques. Le courant du Futur estime que la première étape de cette réforme devra porter sur la fusion des caisses mutuelles. Le CPL considère que cette réforme doit avoir pour objectif de baisser à long terme la charge salariale dans la fonction publique. Les Forces libanaises suggèrent que les budgets ne soient plus annuels mais trisannuels pour permettre une meilleure planification de cette réforme. Le PSP insiste sur la lutte contre le recrutement politique. Enfin, le parti Kataëb propose de confier cette mission spécifique à un cabinet de conseil international.



Positions sur le swap en cours entre la BDL et le ministère des Finances sur les bons du Trésor détenus par la Banque du Liban ?
Le courant du Futur approuve ce swap « sur les bons du Trésor d’une valeur de près de 6 milliards de dollars, car il permettra de réduire le service de la dette mais aussi de renforcer les avoirs de la BDL en devises ».
Le Hezbollah approuve également le swap « puisqu’il permettra de baisser le service de la dette et de faire 200 millions de dollars d’économies ». Toutefois, il considère « qu’il ne s’agit pas d’une solution durable, car la BDL doit avoir les moyens d’attirer assez de devises ».
Le CPL considère que le coût de la dette doit être revu à la baisse par des mesures internes en premier lieu, en commençant par ce swap. « Ensuite, l’État doit pouvoir produire un excédent primaire, qui lui permettra de rembourser graduellement sa dette tout en négociant avec les détenteurs de la dette publique pour réduire les taux d’intérêt ; et demander aux autorités monétaires de ne plus émettre des certificats de dépôts et de ne plus réaliser des ingénieries financières », insiste Charbel Cordahi.
Le parti Kataëb estime que ce swap et des opérations similaires doivent avoir pour objectif de « rétablir l’équilibre à 50 % d’eurobonds et 50 % de bons du Trésor ». Mais prévient que ce swap « doit être considéré comme un outil et non pas comme un plan général de réduction de la dette ».
Li Baladi y est opposé car il y voit une perpétuation de la politique monétaire actuelle qui pose problème (voir ci-dessous), « puisqu’elle permet de continuer d’assurer de la liquidité à l’État et contribue ainsi à perpétuer la corruption ».
Mouwatinoun wa mouwatinate considère que « les détenteurs de la dette et les banques n’ont plus de choix que de renégocier la dette et la restructurer, sinon ils risquent d’assister à un effondrement du système ».


(Lire la seconde partie de ce dossier : II – Réforme de la politique fiscale : que proposent les partis politiques libanais?)


DETTE PUBLIQUE


Faut-il plafonner les émissions d’eurobonds et de bons du Trésor ? Quel plafond sur les cinq prochaines années ?
Le CPL, le courant du Futur, Li Baladi, les Forces libanaises et le parti Kataëb se sont dit favorables au plafonnement des émissions d’obligations d’État. Les Kataëb précisent s’être fixés pour objectif d’atteindre un ratio dette / PIB à 110 % au bout des cinq prochaines années, et insistent sur le fait que les futurs budgets doivent être préparés en fonction de cet objectif. Les Forces libanaises ont fixé un objectif à plus long terme (sur 12 à 15 ans) visant à atteindre un ratio de 100 %.

Faut-il s’endetter davantage auprès d’acteurs internationaux pour réduire l’exposition des banques à la dette ? Positions sur la CEDRE ?
Pour le courant du Futur, il faut privilégier davantage l’endettement auprès des acteurs internationaux et les PPP, qui permettront de réduire le rythme de croissance de la dette. « Ainsi, le secteur bancaire et la BDL auront les capacités de prêter davantage au secteur privé, plutôt que de prêter à l’État », justifie Raya el-Hassan.
Le CPL se dit également « optimiste » vis-à-vis des prêts promis par la communauté internationale durant la CEDRE, « surtout ceux qui seront octroyés par la Banque mondiale qui travaille déjà avec le gouvernement sur certains des projets inclus dans le programme d’investissement (CIP), qui allaient être mis en œuvre dans tous les cas », commente Charbel Cordahi. Avec la CEDRE, « le Liban va donc pouvoir financer la première phase du CIP à un coût plus faible. Ce qui va réduire le coût de la dette », ajoute-t-il.
Le PSP affiche son opposition au processus CEDRE et à tout endettement supplémentaire, mais estime que certains projets sont tout de même indispensables.


Le parti Kataëb considère comme un atout le fait que la dette soit très majoritairement détenue par des acteurs locaux. « C’est un avantage qui nous empêche d’être comparés à la Grèce et qui nous permet de négocier avec un seul acteur : le secteur bancaire libanais. Une multiplication des acteurs compliquera les négociations », explique Jean Tawilé. En ce qui concerne tout particulièrement la CEDRE, il affirme « qu’il n’est plus possible de s’endetter aveuglément sans réaliser de véritables études et analyses d’impact macroéconomique de cette dette ».
Le Hezbollah s’oppose au principe d’augmenter la dette « sauf si c’est nécessaire », en raison des possibles conséquences négatives sur l’économie et les ménages. « Les investissements dans les infrastructures peuvent être trouvés en interne et pas nécessairement à partir de prêts internationaux », affirme Abdel Halim Fadlallah. Il ne considère pas la CEDRE comme un package global et souhaite étudier distinctement chacun des projets en fonction de leurs faisabilités, leurs impacts et leurs modalités de financement. Il propose la création d’un fonds pour les infrastructures, qui se chargerait de ces études. Le Hezbollah estime que l’exposition des banques locales à la dette ne constitue pas un danger actuellement, mais pourrait le devenir à plus long terme, s›il n’y a pas de restructuration de la dette.
Li Baladi estime que le Liban ne parviendra pas à encaisser l’argent promis par la communauté internationale lors de la CEDRE, « car la classe politique actuelle n’appliquera pas les réformes sur lesquelles elle s’est engagée ». Li Baladi affiche son opposition à tout endettement supplémentaire, « qu’il soit local ou international, car nous estimons qu’il existe d’autres moyens de financer ces investissements, et ce après la mise en œuvre des réformes structurelles », affirme Gilbert Doumit.


(Lire aussi : Liban : Investissements et réformes feraient grimper la croissance à 4 % en 2023, estime le FMI)


POLITIQUE MONÉTAIRE


Position sur la politique de stabilité du taux de change ? Faut-il la maintenir ou proposez-vous une alternative ?
Le courant du Futur considère qu’il faut poursuivre la politique de stabilité du taux de change et continuera de l’appuyer « car c’est ce qui renforce la confiance en l’économie et c’est primordial. Il faudra néanmoins renforcer la coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire », avance Raya el-Hassan.
Le PSP ne voit pas d’alternative à la politique de stabilité du taux de change.
Le CPL estime que du moment où il y a un consensus national sur la stabilité du taux de change, qui a contribué et contribue toujours à la stabilité financière du pays, il soutiendra cette politique. « En revanche, le CPL n’approuve pas toutes les mesures prises par la BDL au cours de la dernière décennie, en ce qui concerne l’émission de certificats de dépôts et les ingénieries financières », prévient Charbel Cordahi.
Le parti Kataëb explique que la politique monétaire « doit continuer de jouer son rôle de stabilisateur des prix, mais dans le contexte actuel de ralentissement économique, il faut que l’on puisse baisser les taux d’intérêt qui touchent de plein fouet les secteurs productifs (industrie et agriculture) pour aller au-delà de l’économie de rente et créer des emplois ».
Pour le Hezbollah, en revanche, la politique monétaire devrait « être du ressort du gouvernement, pas de la BDL ».
Les Forces libanaises pensent qu’il faut revenir sur une fixation du taux de change classique, basée sur l’offre et la demande, après la mise en œuvre des autres réformes structurelles et l’augmentation des exportations afin qu’elles représentent 50 à 60 % des importations. « Nous sommes contre toute forme de subvention, même sur la livre libanaise », affirme Roy Badaro.
Pour Mouwatinoun wa mouwatinate, il ne sera pas possible de lancer une transition vers une politique monétaire alternative avant une restructuration de la dette.
Li Baladi indique que la politique de stabilité du taux de change « a servi ses propos pour un certain temps, mais n’est plus valable dans le contexte actuel car elle ne sert plus la confiance en l’économie ». Il faut pouvoir la repenser graduellement en cassant la dynamique actuelle entre les banques locales, les leaders politiques au pouvoir, qui en sont aussi les principaux bénéficiaires, et l’endettement de l’État qui est aggravé par la corruption et le clientélisme. Cette dynamique fait que ceux qui décident de l’endettement de l’État sont les mêmes qui bénéficient des profits générés par les banques sur la dette publique, explique Gilbert Doumit. Pour parvenir à ce changement graduel, il faut lancer les négociations avec les banques pour les responsabiliser face à cette situation ; mettre en œuvre la réforme du budget et adopter une stratégie économique pour la croissance des secteurs productifs.

Le Parlement doit-il avoir un droit de regard sur la politique monétaire ?
Le courant du Futur pense que la politique monétaire doit être coordonnée entre le ministère des Finances et la BDL et n’est pas du ressort du Parlement.
Le CPL, les Kataëb, le PSP, le Hezbollah, Li Baladi estiment que le Parlement doit avoir un droit de regard sur la politique monétaire. Le CPL et le Hezbollah mettent l’accent sur la nécessité pour la BDL de publier de manière transparente ses bilans. Les Kataëb pensent que le gouverneur de la Banque centrale devrait pouvoir répondre aux questions des députés.


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commentaires (1)

Bravo à l'Orient le Jour sur l'initiative d'appeler les partis à parler de leur projet . Une autre idée est de leur proposer un bilan chiffré des ministères occupés (Revenus et Dépenses n n-1 et dépassement ou pas du budget . En partant de la demande des jeunes y a t'il des projets bloqués par qui et les quels pour amener le parlement à revoter. Pour leur projet il faut un calendrier d'exécution semaine 1... Pourquoi ne l'ont ils pas fait alors qu'ils ont le pouvoir en refusant le prétexte des blocages des autres blocs.Nous attendons une autocritique en commençant par ses propres responsabilités d'échec. Quels sont les projets soumis au parlement qui assurent une meilleure éducation,des opportunités de travail,des relances du secteur privé,de la protection sociale,des droits de citoyen électricité,eau environnement,développement économique,retraite.... Un bon journalisme à l'Européenne obligera nos élus à prendre des mesures concrètes car les élus pourront juger sur leurs réalisations et non les promesses ou mensonges.

Egeileh Antoine

17 h 41, le 14 novembre 2019

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  • Bravo à l'Orient le Jour sur l'initiative d'appeler les partis à parler de leur projet . Une autre idée est de leur proposer un bilan chiffré des ministères occupés (Revenus et Dépenses n n-1 et dépassement ou pas du budget . En partant de la demande des jeunes y a t'il des projets bloqués par qui et les quels pour amener le parlement à revoter. Pour leur projet il faut un calendrier d'exécution semaine 1... Pourquoi ne l'ont ils pas fait alors qu'ils ont le pouvoir en refusant le prétexte des blocages des autres blocs.Nous attendons une autocritique en commençant par ses propres responsabilités d'échec. Quels sont les projets soumis au parlement qui assurent une meilleure éducation,des opportunités de travail,des relances du secteur privé,de la protection sociale,des droits de citoyen électricité,eau environnement,développement économique,retraite.... Un bon journalisme à l'Européenne obligera nos élus à prendre des mesures concrètes car les élus pourront juger sur leurs réalisations et non les promesses ou mensonges.

    Egeileh Antoine

    17 h 41, le 14 novembre 2019

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