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Moyen Orient et Monde - Portrait

Arménie : Nikol Pachinian, le charismatique candidat du peuple

Si l’opposant arménien pouvait devenir Premier ministre le 8 mai, ses plus grands défis resteraient à venir.

Le chef de l’opposition arménienne Nikol Pachinian (centre) pose pour un selfie à Erevan le 2 mai 2018. Karen Minasyan/AFP

La casquette solidement vissée sur le crâne, la tenue décontractée, un mégaphone à la main. C’est ainsi que Nikol Pachinian arpente les rues d’Erevan, haranguant les foules. Ce leader de l’opposition arménienne a su rassembler des dizaines de milliers de personnes pour demander le départ de Serge Sarkissian, président de 2008 à 2018 puis nommé au poste de Premier ministre début avril. Nikol Pachinian et les manifestants lui reprochent de vouloir s’accrocher au pouvoir, et de n’avoir rien fait pour remédier à la pauvreté et à la corruption généralisée qui gangrène l’Arménie. Sous la pression populaire, l’ancien président a fini par céder. 

 Nikol Pachinian, ancien journaliste, marié et père de quatre enfants, semble fasciner ses partisans. « Il a une présence intense. Il regarde son interlocuteur droit dans les yeux, lui accorde toute son attention, sans pour autant être intimidant. Il est ferme, strict, ne se départit pas de son sérieux même en parlant des choses plus légères, tout en mettant les gens à l’aise, ce qui donne un ressenti assez étrange », raconte à L’Orient-Le Jour une personne qui l’a personnellement connu, mais tient à garder l’anonymat. L’engagement de l’opposant plaît également. Il est de notoriété publique qu’il n’hésite pas à mettre de côté son propre confort pour faire passer un message. La preuve, la marche de 250 km qu’il organise pour protester contre la nomination de Serge Sarkissian au poste de Premier ministre. Il lui faut deux semaines pour marcher de la ville de Gioumri à la capitale Erevan, dormant à la belle étoile, dans une tente ou à même le sol, tout en organisant des meetings tout au long du parcours sur des toits de garage ou autres lieux improvisés. De plus en plus, les termes « audace », « créativité » lui sont associés. « Quand il est arrivé à Erevan à la mi-avril, il s’est installé, tout seul, sur l’une des places de la ville avec le drapeau arménien, pour crier des slogans anti-Sarkissian. En quelques jours à peine, des centaines, puis des milliers de protestataires se sont joints à lui », raconte la source anonyme, non sans un certain amusement. 

Le plus étonnant ? Le caractère pacifique de la contestation, sur lequel insiste Nikol Pachinian, qui la qualifie très vite de « révolution de velours ». L’absence de dérapages sécuritaires contribue à la popularité croissante de l’opposant, même si son rôle dans les manifestations sanglantes de 2008 contre Serge Sarkissian, réélu à la présidence, remonte souvent à la surface. À l’époque, dix personnes sont tuées, des centaines blessées, dans des affrontements avec les forces de l’ordre. Mis en cause, le journaliste passera plusieurs mois avant de se rendre à la police. Condamné à sept ans de prison en janvier 2010, il est libéré un an plus tard, dans le cadre d’une amnistie en faveur de prisonniers politiques. La non-violence des rassemblements aujourd’hui « est largement due à la stratégie des organisateurs : ils ont clairement indiqué qu’il s’agissait d’un mouvement de désobéissance civile non violent, et que les manifestants ne répliqueraient pas, même si la violence était utilisée contre eux. Les manifestants levaient leurs mains en l’air chaque fois qu’il y avait une possibilité de conflit avec la police antiémeute », explique à L’Orient-Le Jour Anahit Shirinian, chercheuse à Chatham House et spécialiste de l’Arménie. La grande médiatisation des rassemblements, ainsi que la présence de nombreuses femmes et adolescents dans les rues de la capitale, ont également contribué à diminuer la possibilité que la police utilise la force, d’après la chercheure.


« Nouvelle Arménie » 

Cette atmosphère positive joue largement en faveur de Nikol Pachinian, qui sait se faire entendre des manifestants. Ses appels à la désobéissance civile après le rejet de sa candidature mardi par le bloc majoritaire au Parlement, mené par le Parti républicain de Serge Sarkissian, suivis d’appels au calme dès le lendemain, après s’être assuré avoir obtenu le soutien de l’ensemble du Parlement pour son élection au poste de Premier ministre le 8 mai, montrent qu’il est écouté de la population. « C’est réellement un visionnaire : la nouvelle Arménie qui semble se dessiner, il l’a en tête depuis longtemps, du temps qu’il était activiste et journaliste, avant même les manifestations de 2008. Et toutes ces qualités font qu’il a la population de son côté, notamment cette tranche de la population qu’on appelle “la génération étudiante” », estime la source anonyme. 

Mais Nikol Pachinian, aujourd’hui chef du parti Contrat civil, ainsi que de la coalition « Sortie » (« Elk » en arménien), n’a pas que des partisans. Certains n’hésitent pas à lui attribuer une ambition démesurée, qui le pousse à organiser ces manifestations dans le seul but d’arriver à ses fins, à savoir être nommé Premier ministre. D’autres critiquent sa capacité de jouer de son image pour convaincre. Il peut très bien porter un costume cravate un jour, un treillis militaire et une casquette le lendemain. Il prône également la sortie de son pays de l’Union économique eurasiatique, cofondée par Moscou, tout en insistant sur les liens fraternel unissant l’Arménie et la Russie. Son manque d’expérience en politique nourrit le scepticisme, en ce qui concerne ses capacités à être un bon Premier ministre. Il est, aussi, souvent accusé d’être l’homme des États-Unis, dans un contexte de tensions entre Washington et Moscou. Selon le quotidien russe Komsomolskaïa Pravda, « les patrons de Pachinian sont à chercher à l’ambassade des États-Unis à Erevan, la deuxième plus grande ambassade américaine dans le monde (2 500 diplomates pour un pays de 2,8 millions d’habitants) », affirme le quotidien, qui souligne que le plus grand intérêt d’« un petit pays montagneux sans pétrole ni façade maritime » réside dans « la dernière base militaire russe dans le Caucase du Sud (à Gioumri) ». Enfin, certains de ses détracteurs n’hésitent pas à souligner qu’il n’a pas de programme clair pour mener le pays, bien que, pour l’instant, les points principaux qu’il met en avant suffisent, estime Anahit Shirinian, qui juge prématuré de se forger une opinion avant de lui donner une chance, vu le caractère exceptionnel de son arrivée quasi certaine au pouvoir. « C’est une révolution et non un processus électoral naturel. Sûrement, ce sera un défi de mener à bien les réformes, mais nous verrons comment exactement son gouvernement, s’il reste au-delà du gouvernement intérimaire, gère ces défis. D’un autre côté, nous avons vu que le système existant qui avait prétendument un programme ou une expérience de gouvernance a échoué. L’Arménie a besoin de nouvelles idées et de nouvelles solutions », avance la chercheuse, alors que Nikol Pachinian a promis hier de publier un programme politique d’ici à vingt jours. 

Pour l’instant, la confiance subsiste, malgré les doutes sur un règlement simple et rapide de la crise. « Les gens ont tellement foi en lui, qu’ils prédisent une amélioration spectaculaire de la situation économique s’il est élu au poste de Premier ministre », souligne la source anonyme. La neutralité de la Russie, depuis le début du mouvement de contestation, est rassurante. Nombreux sont ceux qui estiment que les multiples liens qui unissent les deux pays ne changeront pas. Le 8 mai, jour de l’élection du futur Premier ministre, sera déterminant pour l’avenir du pays. Les plus grands défis de Nikol Pachinian sont encore à venir. Reste à voir s’il saura y faire face.


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commentaires (1)

Je salue le succès et la reussite de l'homme a faire bouger les lignes ... Incontestablement cest une stratégie qui a porté ses fruits. Mais au fond cest plus une volonte forte du peuple armenien à vouloir changer les têtes er de faire eradiquer la corruption (faire baisser la pauvrete etc...) qu'une réelle adhesion à Nikol Pachinian car on voit bien le nouveau messie n'a même pas encore un programme et projet bien défini pour le pays. En tout cas bonne chance à l'Arménie qui demontre ainsi sa puissance et sa maturité.

Sarkis Serge Tateossian

14 h 06, le 04 mai 2018

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Commentaires (1)

  • Je salue le succès et la reussite de l'homme a faire bouger les lignes ... Incontestablement cest une stratégie qui a porté ses fruits. Mais au fond cest plus une volonte forte du peuple armenien à vouloir changer les têtes er de faire eradiquer la corruption (faire baisser la pauvrete etc...) qu'une réelle adhesion à Nikol Pachinian car on voit bien le nouveau messie n'a même pas encore un programme et projet bien défini pour le pays. En tout cas bonne chance à l'Arménie qui demontre ainsi sa puissance et sa maturité.

    Sarkis Serge Tateossian

    14 h 06, le 04 mai 2018

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