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À La Une - conflit

Les enjeux d’une frappe occidentale en Syrie sans l’aval de l’ONU

Washington et ses alliés cherchent à consolider la légitimité politique de leur action suite au blocage russe aux Nations unies.

L’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, au siège de l\'organisation, le 10 avril à New York. Hector Retamal/AFP



L’attente se fait de plus en plus longue alors que l’horloge tourne et les tractations diplomatiques du côté occidental se font pressantes sur le dossier syrien. Car l’enjeu principal pour les Occidentaux est d’asseoir une légitimité politique solide à leur potentielle action en Syrie, tout en expliquant clairement leurs objectifs et éviter toute escalade avec les parrains russe et iranien de Damas.

Face à un Donald Trump enflammé, le président français Emmanuel Macron s’efforce de temporiser la situation. « En aucun cas les décisions que nous prendrions n’auraient vocation à toucher des alliés du régime ou s’attaquer à qui que ce soit mais bien à s’attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime », a déclaré le dirigeant français mardi lors d’une conférence de presse commune avec Mohammad ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite.

L’administration américaine s’était donnée jusqu’à mercredi pour prendre « des décisions majeures » sur la Syrie. Un délai justifié par les contraintes de planification tant technique que politique qui accompagnent une intervention militaire sur un terrain particulièrement sensible. Les blocages au sein de la machine onusienne compliquent d’autant plus la tâche de la communauté internationale pour décider de la marche à suivre en réponse à l’attaque chimique présumée du régime contre les civils. Le projet de résolution américain pour la création d’un nouveau « mécanisme d’enquête indépendant des Nations unies » sur l’utilisation d’armes chimiques présenté mardi au Conseil de sécurité s’est heurté sans surprise au veto russe. Une équipe de l’Organisation internationale sur les armes chimiques (OIAC) doit toutefois être dépêchée en Syrie « sous peu » à la demande de Damas, a-t-il été annoncé mardi pour déterminer si une arme chimique a été utilisée ou non dans l’attaque de samedi dernier sur Douma. L’OIAC n’a cependant pas la compétence de désigner l’auteur de l’attaque.


(Repère : La présence militaire russe et son arsenal en Syrie)


Pas de légitimité juridique
Toute la délicatesse d’une opération dénuée de légitimité juridique réside dans la manière dont elle serait perçue et exploitée par Damas et ses parrains. Car une intervention dénuée de légitimité juridique et donc considérée comme illégale au regard du droit international « serait une grande victoire de propagande pour Bachar el-Assad et ses alliés », estime Nicholas A. Heras, chercheur au sein du programme sur la sécurité au Moyen-Orient du Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS), interrogé par L’Orient-Le Jour.

Cela ne devrait pas pour autant arrêter le plan des Américains qui brandissent la menace d’une intervention en Syrie en dehors du cadre onusien. « Nous en sommes arrivés au stade où justice doit être faite aux yeux du monde », a déclaré lundi Nikki Haley, l’ambassadrice américaine aux Nations unies. « L’histoire retiendra que c’est à ce moment que le Conseil de sécurité a fait son devoir ou a démontré son incapacité totale à protéger le peuple syrien. Quoi qu’il en soit, les États-Unis répondront », a-t-elle poursuivi.


(Lire aussi : Le piège de la ligne rouge : frapper quoi et pour quels objectifs ?) 



Tout recours à la force sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU constitue pourtant une violation de la Charte des Nations unies et peut être considéré comme une agression par le pays concerné. Seul un cas de légitime défense individuelle ou collective peut présenter une exception à l’interdiction du recours à la force, selon l’article 51 de la Charte et dont les Occidentaux ne peuvent se prévaloir en Syrie.

Une intervention sans mandat de l’ONU « ne changerait rien à la situation actuelle », selon Alain Pellet, professeur émérite de l’Université Paris-Nanterre et ancien président de la Commission du droit international des Nations unies, contacté par L’OLJ. « Ou bien on admet qu’il existe une situation de catastrophe humanitaire qui justifie une intervention militaire et la légitimité de l’intervention se trouve renforcée du fait de l’utilisation renouvelée d’armes chimiques ; ou bien on considère que l’interdiction de l’utilisation de la force armée constitue une norme impérative du droit international et tous les intervenants extérieurs sont responsables d’un fait internationalement illicite », complète-t-il. Mais le droit international présente ses limites alors qu’il n’a pas de portée contraignante à l’égard des États et que ses mécanismes de sanction sont réduits.


(Lire aussi : De l’intérêt d’Assad à utiliser les armes chimiques)



Éviter un Irak bis
Washington devrait pouvoir compter sur le soutien de ses alliés français et britannique avec qui il entretient une coopération stratégique étroite. « Les États-Unis et leurs alliés pourraient faire valoir l’argument que les armes chimiques de Bachar el-Assad sont illégales, constituant une menace pour la sécurité collective mondiale et pour la sécurité nationale des États-Unis et de leurs alliés », observe M. Heras. Selon l’expert, « toute cette situation est une zone grise ».

L’objectif est surtout d’éviter à tout prix un scénario qui pourrait être comparé à l’intervention américaine en Irak en 2003 lancée de manière unilatérale par Washington sans l’aval de l’ONU et qui s’est soldée par un échec sans précédent marqué au fer rouge dans les mémoires. Ainsi, « la réponse de l’administration Trump est davantage influencée par la décision du président Bill Clinton de lancer des frappes sur plusieurs jours contre le gouvernement de Saddam Hussein à Bagdad en 1998 que par la décision du président George W. Bush de lancer la guerre en Irak en 2003 », note M. Heras. « Donald Trump cherche à punir sévèrement Bachar el-Assad, comme Bill Clinton l’a fait à Saddam Hussein en 1998, au lieu de le renverser, comme l’a fait George Bush à Saddam Hussein en 2003 », poursuit-il.

La légitimité politique des frappes sans mandat de l’ONU serait cependant renforcée par un soutien du côté des pays arabes afin d’éviter d’envoyer l’image d’une énième intervention unilatérale occidentale au Moyen-Orient.


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