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Liban - Environnement

Mais qu’avons-nous fait, nous Libanais, de toute notre eau...

Cru et dramatiquement réaliste, le documentaire de Paul Cochrane et Karim Eid-Sabbagh, « We made every living thing from water », dénonce l’économie politique de l’eau au Liban.

Une image devenue habituelle : des camions qui vident leurs déchets dans les fleuves. Ici, le fleuve Abou Ali, à Tripoli. Photo Paul Cochrane

Une plage du littoral tapissée de bouteilles en plastique que la mer a rejetées. Des torrents d’eau de pluie qui dévalent les escaliers d’un quartier résidentiel et s’invitent dans les logements, alors que les habitants sont privés d’eau potable. Des canalisations éventrées, qui laissent couler ce précieux liquide, indéfiniment. Des camions par dizaines qui déversent dans les lits des fleuves leurs cargaisons de déchets, de goudron parfois aussi. Des dépotoirs et décharges par centaines qui s’étendent à vue d’œil et qui non seulement défigurent les plaines et les montagnes, mais s’infiltrent jusque dans les nappes phréatiques. Des ordures qu’on brûle par tonnes, pour éviter de prendre la peine de les traiter. Des fleuves dans lesquels s’invitent les eaux boueuses des carrières. Des agriculteurs qui arrosent leurs plantations avec une eau polluée, contenant matières fécales, bactéries et résidus de plastique. Des barrages en construction sans étude préalable, menaçant villages traditionnels et sites naturels. Un État gangrené par la corruption et le clientélisme, qui a lamentablement échoué à gérer la crise des ordures dans laquelle s’enfonce le pays depuis 2015, et qui ne sait toujours pas se doter d’une politique de gestion des ressources en eau du Liban.


(Lire aussi : Les eaux du Berdawné teintées de rouge)


Toute chose vivante
Ces images dans toute leur laideur, cette accablante réalité, ont été montrées, expliquées dans un documentaire de 40 minutes, en arabe et en anglais, We made every living thing from water (Et de l’eau, nous avons fait toute chose vivante), projeté mardi dernier à l’Université américaine de Beyrouth, à l’auditorium Issam Farès. Reprenant cette sourate du Coran, le journaliste indépendant Paul Cochrane, qui travaille au Liban depuis plus de 15 ans, et le chercheur universitaire Karim Eid-Sabbagh, spécialisé dans les études du développement, dans l’économie politique des ressources naturelles et des études agraires, ont présenté hier leur travail d’investigation de plus de deux ans, dans un amphithéâtre plein à craquer. Un travail réalisé avec le photographe documentaire professionnel Alan Gignoux, qui a vu le soutien de la faculté des sciences de la santé de l’AUB et le financement du gouvernement canadien, à travers le Centre de recherche pour le développement international. Crûment, sans détour, il montre « comment la politique, le sectarisme, les agences de développement et l’économie produisent une gestion spécifique et mauvaise des ressources en eau du Liban », pour reprendre les termes des auteurs.

Paul Cochrane et Karim Eid-Sabbagh ont essaimé le pays, ses décharges, ses fleuves, ses régions agricoles, son littoral, ses sites naturels, pour y montrer les dégâts souvent irréversibles causés à la nature et son eau. Fneidek, Naamé, Bourj Hammoud, Costa Brava, Jdeidé, Nahr el-Salib, Nahr el-Litani, Nahr Abou Ali, Jeb Jannine, Kefraya, Brih, Baalbeck, Janné, Bisri, Anjar, Qaraoun… et bien d’autres encore. Pour y dénoncer aussi le système politico-économique qui favorise des individus et leur profit personnel, et l’émergence d’une économie parallèle de l’eau, au détriment de la santé publique et du bien-être des citoyens.


(Lire aussi : Geagea : Pensez à l'électricité, l'eau et les routes avant de voter)

« Deal en or »
Ils ont interrogé des habitants qui paient leurs factures d’eau rubis sur l’ongle, mais demeurent privés du précieux liquide. Et qui n’ont d’autre choix que d’acheter de l’eau, par citernes et en bouteille. Ils ont rencontré des agriculteurs qui ont déserté leurs terres par manque d’eau et de moyens convenables d’irrigation, le pompage des puits artésiens étant particulièrement coûteux en mazout. Sans compter que les puits tendent à s’assécher, vu leur exploitation excessive, l’été. Ils ont rendu visite à des pisciculteurs et des apiculteurs qui ont tout perdu à cause de la pollution de l’eau. Ils ont aussi fait parler des responsables, comme cet ancien président de la municipalité de Hosh Moussa à Anjar, Garabet Bambukian, qui a raconté son refus du « deal en or » que lui proposaient les autorités, de déverser dans son village 300 camions de déchets par jour. « J’ai été chassé de la municipalité pour cette décision. Mais cela aurait été une catastrophe pour notre région en diamant », dit-il dans le reportage.

Les deux enquêteurs ont enfin rencontré des experts, comme Michel Afram, PDG de l’Institut de recherche agronomique libanais (Icarda), Roland Riachi, économiste et professeur assistant invité au département d’études politiques et d’administration publique de l’AUB, Samira Korfali, professeure associée de chimie à la LAU (Lebanese American University), et Jad Chaaban, professeur d’économie à l’AUB, qui tirent tous la sonnette d’alarme, chiffres à l’appui, et dénoncent le danger de la pollution provoquée par la crise des déchets sur l’eau potable, les nappes phréatiques, les fleuves, la mer. On apprend alors que près de 50 % de l’eau du pays est gaspillée. Qu’en mars 2016, un échantillon d’eau comportait 2 000 trillions de bactéries en tout genre, alors qu’un échantillon normal ne devrait en comporter que 200. Que le pays du Cèdre compte 80 000 puits artésiens, et donc 8 puits par kilomètre carré, un chiffre exorbitant, et que le niveau des nappes phréatiques a baissé de 70 à 80 %, car les quantités de pluie sont en baisse...
Une certitude, « il faudra des décennies pour que l’eau du Liban puisse à nouveau être consommée sans représenter un danger pour la santé », si et seulement si les Libanais, État y compris, arrêtent de jeter leurs déchets de manière sauvage, comme ils continuent de le faire.

Pour visionner le documentaire, cliquer sur le lien suivant : https://vimeo.com/channels/1352702

Une plage du littoral tapissée de bouteilles en plastique que la mer a rejetées. Des torrents d’eau de pluie qui dévalent les escaliers d’un quartier résidentiel et s’invitent dans les logements, alors que les habitants sont privés d’eau potable. Des canalisations éventrées, qui laissent couler ce précieux liquide, indéfiniment. Des camions par dizaines qui déversent dans les...

commentaires (11)

C'est effrayant !! On est impardonnables ?

Danielle Sara

20 h 19, le 11 mars 2018

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Commentaires (11)

  • C'est effrayant !! On est impardonnables ?

    Danielle Sara

    20 h 19, le 11 mars 2018

  • L'histoire de l'ancien président de la municipalité de Hosh Moussa à Anjar montre qu'il existe une bonne volonté chez bcp. de politiciens libanais, son réfus de laisser polluer son village vers la frontière syrienne par des déchets, ca revient régulièrement aussi dans les vidéos de 'Village préféré des Libanais' que les politiciens locaux qui présentent leur village parlent de l'eau comme un trésor important. Donc comme point d'optimisme je pense que beaucoup de politiciens libanais locaux essaient, le mieux qu'ils peuvent, de protéger l'eau et la qualité de l'environment, mais c'est difficile bien-sûr.

    Stes David

    20 h 48, le 04 mars 2018

  • En voyant ces saletés on dirait l'Inde. Pourquoi ils ne font pas des incinérateurs ? Ils sont entrain de détruire le pays, et dire que le Liban est le seul pays du moyen orient qui n' a pas de désert

    Eleni Caridopoulou

    17 h 58, le 03 mars 2018

  • La seul goutte d'eau qui nous reste ... est une larme. Et même elle refuse de sortir de peur de la pollution... Quelle misère!

    Wlek Sanferlou

    15 h 36, le 03 mars 2018

  • Dire la vérité est la seule solution pour espérer une amélioration. Notre pays est un record des contrastes. Des extrêmes. Le très pauvres côtoie le très riche, le très érudit voisine le très ignorant etc! Le revers de nos beaux quartiers sont d'une laideur incroyable, résultat des négligences et absence cruelle d'infrastructures et de solidarité nationales organisée au niveau étatique. Le système social est totalement absent. Il suffit de copier 10 ou 20% du système social des pays scandinave par exemple et la différence sera saisissante.

    Sarkis Serge Tateossian

    14 h 27, le 03 mars 2018

  • Comme on peut rire de tout mais que ça dépend avec qui, dans un concours de bûcheron le candidat algérien remporte la palme du 1er prix. Quand on lui demande comment a t il être aussi performant venant d'un pays aride désertique il répond qu'en Algérie IL N'Y A PLUS D'ARBRES laissant entendre en se vantant qu'il est celui qui les a tous coupé. Pour le Liban aussi, il n'y a plus d'eau , elle a été vidée par des experts en aquatique.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 53, le 03 mars 2018

  • CET ARTICLE EST PARFAIT , MAIS omet d'avouer un autre etat de fait : LA SALETE, LE MANQUE DE CIVISME, L'IMPOLITESSE, L'ARROGANCE DES CITOYENS qui sont + fautifs que les "responsables" , car eux C bien participent a salir le pays -les routes, les plaines, les fleuves, les forets non par omission mais bien par actes consentis. pareil s'agissant de leur facon de conduire : j'userai des memes adjectifs ci-haut .

    Gaby SIOUFI

    11 h 25, le 03 mars 2018

  • Bechara el Khoury, Riad el Solh, de là-haut, pouvez-vous voir ce que les Libanais, T O U S, ont fait de leur pays ? Les Kataëb, les Forces Libanaises, le Future, le Hezbollah, Amal, le CPL etc. ??? Un immense dépotoir de saletés...du Sud au Nord, de l'Est à l'Ouest, un pays défiguré par les conséquences d'une incroyable corruption et d'une criminelle négligence... Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 31, le 03 mars 2018

  • NOUS LA POLLUONS ET LA JETONS A LA MER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 48, le 03 mars 2018

  • Il y a un phénomène que je n'ai jamais expliqué. Quand il n'y a plus d'eau, on en achète aux camions-citernes. Mais où donc ces camions-citernes font-ils le plein d'une eau qui n'existe pas?

    Yves Prevost

    08 h 06, le 03 mars 2018

  • Mon Dieu, on a du pain sur la planche...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 23, le 03 mars 2018

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