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Liban - La carte du tendre

Entre le «poste du Bourj » et « Marica », un flagrant délit d’affection publique

Crédit photo : collection Georges Boustany/LLL

Voulant célébrer la Saint-Valentin à notre manière, nous cherchions une vieille photo de couple amoureux dans un lieu public reconnaissable de Beyrouth. Grosse déception : nos grands-parents étant extrêmement pudiques, il n’était pas question de se laisser aller à des PDA (Public Display of Affection, ou manifestation d’affection en public) et encore moins devant un photographe! Nous devions donc nous contenter de mettre la main sur des tourtereaux au bord de la faute, et, pour cela, il a fallu les prendre par la ruse. 

Gloire soit donc rendue au photographe ambulant qui a « surpris » ce couple de la fin des années 1950. Une datation approximative permise, plus que par la tenue vestimentaire, par le modèle de lunettes que le futur président de la République Sleiman Frangié gardera toute sa vie.

Bien heureusement, les victimes n’en veulent pas au photographe et prennent même le parti de lui sourire, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Ils sont pourtant bel et bien collés l’un contre l’autre : leurs épaules font plus que se frôler. En imaginant la seconde d’avant la prise de vue, il paraît fort probable que la femme tenait le bras de son partenaire et qu’elle a baissé la main à la hâte avant d’être prise en « flagrant délit »… Sinon leur manière de marcher comme des siamois paraîtrait absurde, à moins qu’ils n’aient bu comme des Irlandais avant de traverser la place des Martyrs.

À leur décharge, soulignons que le discret PDA se trouve légitimé par les alliances portées aux annulaires droits et marquant leur lien institutionnel par les fiançailles. Du reste, l’on comprend que, non encore mariés, nos tourtereaux profitent de chaque moment de liberté sous le soleil et loin de l’autorité parentale pour se rapprocher dangereusement l’un de l’autre : personne ne plaisante avec ce genre de choses, la révolution sexuelle est encore loin et, pour faire leurs premières armes, les hommes n’ont pas beaucoup de choix.

Ce qui nous amène à un détail croustillant : en prolongeant le regard à l’arrière, l’on aperçoit sur la rue Moutanabbi une magnifique bâtisse à arcades, et comme son architecture ouverte ne l’indique pas, il s’agit bien d’une célèbre maison close de douze chambres. Eût-elle été lisible sur la photo que l’enseigne aurait indiqué un nom, « Marica », dont nous avons rencontré la tenancière haute en couleur il y a deux semaines à la pharmacie Gemayel, non loin de là. Que le couple, et en particulier l’homme, tourne le dos à cette rue et à cet établissement n’en porte que plus de valeur comique.

On s’étonnera toujours de la proximité du « quartier réservé » avec la police : feu le célèbre « poste du Bourj » se trouve à l’angle de cette même rue et de la place des Martyrs ; sa glorieuse façade se dresse, immaculée, entre notre couple et la maison close, témoignage de l’encadrement très étroit, si l’on peut se permettre l’expression, du quartier des « charmantes » par l’autorité publique depuis le mandat français.

Le jeu de miroirs ne s’arrête pas là dans ce cliché aux facettes multiples : le photographe a également surpris un collègue, juste à gauche à l’arrière-plan ; on l’aperçoit attendant sa prochaine victime, chapeau blanc de rigueur pour se protéger du soleil vertical, caméra de bois posée sur son trépied. Qu’il appuie sur la poire qu’il tient discrètement, une nouvelle victime tombera dans son escarcelle. Voilà donc l’arroseur arrosé.

La suite ? Nous espérons que nos amoureux se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, quoique la présence de cette photo entre nos mains profanes ne rassure pas beaucoup quant à cette version de l’histoire. Pas plus que ne porte à sourire le destin tragique des trois bâtiments visibles à l’arrière-plan et totalement rasés après avoir été transformés en passoires durant la guerre. En particulier, la destruction du poste de police, alors qu’il était récupérable, demeurera comme un point noir dans l’histoire de la reconstruction, ou de la déconstruction, du cœur battant de notre capitale.



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Voulant célébrer la Saint-Valentin à notre manière, nous cherchions une vieille photo de couple amoureux dans un lieu public reconnaissable de Beyrouth. Grosse déception : nos grands-parents étant extrêmement pudiques, il n’était pas question de se laisser aller à des PDA (Public Display of Affection, ou manifestation d’affection en public) et encore moins devant un photographe!...

commentaires (2)

EST-CE VRAIMENT LA MAISON CLOSE DE MARICA, DE BIANCA L,ALEPIENNE OU DE FRANCESCA LA JUIVE ? INTERNES AU COLLEGE DU SACRE COEUR DE GEMEYZE NOUS ESPIONNONS LA NUIT DE NOTRE DORTOIR LES SCENES QUI S,Y DEROULAIENT DANS LES MAISONS CLOSES... AUX FENETRES OUVERTES... QUI AVOISINAIENT !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 11, le 18 février 2018

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Commentaires (2)

  • EST-CE VRAIMENT LA MAISON CLOSE DE MARICA, DE BIANCA L,ALEPIENNE OU DE FRANCESCA LA JUIVE ? INTERNES AU COLLEGE DU SACRE COEUR DE GEMEYZE NOUS ESPIONNONS LA NUIT DE NOTRE DORTOIR LES SCENES QUI S,Y DEROULAIENT DANS LES MAISONS CLOSES... AUX FENETRES OUVERTES... QUI AVOISINAIENT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 11, le 18 février 2018

  • Merci de partager avec nous belle cette photo et ce temoignage d’un heureux passe revolu.

    Cadige William

    11 h 40, le 17 février 2018

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