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Culture - LE GRAND ENTRETIEN DU MOIS

Mirna Bustani : « Mon père voulait faire de moi une lady, moi je courais après les ballons »

Visionnaire et bâtisseuse tout comme son père, Émile Bustani, mélomane et passionnée de musique à l’image de sa mère Laura Syriani, Mirna Bustani, cette dame au sacré caractère et à la poigne de fer, a su mener sa barque avec persévérance et détermination, pour la ramener à bon port. Au décès de son père, elle doit assumer à l’âge de 25 ans sa succession sur le plan de la politique et des affaires. Mais c’est surtout dans le domaine artistique qu’elle s’est distinguée, en créant le festival musical d’al-Bustan avec pour écrin l’hôtel éponyme. Toujours présente, l’œil observateur et à l’écoute du pouls de ce festival niché dans la montagne du Metn-Nord, elle est parvenue à l’enrichir jusqu’à atteindre, certaines années, 36 représentations. Recevant le public en parfaite maîtresse des lieux, elle n’a jamais fait de concessions sur la ponctualité. Avec elle, il faut toujours être à l’heure. L’impeccable organisation de ce festival âgé de 25 ans a réussi à le hisser au niveau international. À l’occasion de son démarrage ce soir avec une programmation consacrée à Bach, la « Lady » revient sur un parcours semé d’embûches, mais, au bout du compte, assurément gratifiant.

Mirna Bustani, visionnaire, bâtisseuse, mélomane et passionnée. Photo DR

Vous êtes la fille unique d’Émile Bustani, l’homme d’affaires, l’entrepreneur qui, avec sa société CAT, a poussé ses ramifications dans les pays arabes et d’Afrique. Ainsi que de Laura Syriani qui était, souvent, l’inspiratrice des projets de votre père. Que vous ont-ils appris tous les deux ?
Il y a un terme qui définit mon père en anglais : « Larger than life », c’est-à-dire plus large que la vie. Il croquait la vie à pleines dents. C’était un fonceur, un travailleur, un battant. Parti de rien, il a su atteindre les sommets dans la société civile et politique (il a été député et ministre). Je pense qu’il m’a tout appris de la vie avec tout ce qu’elle englobe comme défis et paradoxes. Il voulait faire de moi une lady alors que moi, je courais après les ballons ! C’était un passionné et il réussissait toujours à être à la hauteur de ses rêves. Il était connu pour son large sourire qui brisait toutes les difficultés. Quant à ma mère, elle m’a transmis son amour pour la musique. Elle était elle-même chanteuse et dotée d’une très belle voix de soprano. Mais elle m’a surtout transmis l’amour de la famille et tous les préceptes essentiels dans l’éducation des enfants. D’ailleurs, mon petit-fils, un des fils de Laura, m’a un jour remerciée parce que je lui ai appris à aimer la musique. Ce que m’a donc appris ma mère a traversé les générations.

L’hôtel al-Bustan et par la suite le festival sont très chers à votre cœur. Vous vous en occupez avec beaucoup de soin et d’attention. Comment est né l’hôtel ?
Mon père a acheté l’hôtel dans une vente aux enchères car les propriétaires voulaient s’en débarrasser. Il racontait que cet hôtel, qui ne portait pas encore le nom d’al-Bustan, lui rappelait l’époque de ses fiançailles avec ma mère. Étant un bon vivant, il aimait aussi créer ces atmosphères de rassemblement, de convivialité, de réceptions que peut engendrer un hôtel. C’était aussi un homme moderne et qui voyait loin. Pour lui, le pays devait vivre sur les échanges, le tourisme et le commerce. Le concept hôtelier fait partie de ces services-là. L’initiative de l’hôtel est donc la sienne mais le nom, on le doit à ma mère. Elle disait qu’il y avait trop d’hôtels au Liban aux noms étrangers, pourquoi ne pas donner un nom arabe au nôtre. C’est ainsi qu’al-Bustan est né. Lequel évoque bien sûr notre patronyme, mais signifie aussi « jardin ». Mon père, disparu trop tôt, n’a pas eu le temps d’assister à toutes les rénovations de l’hôtel. Nous nous en sommes chargées ma mère et moi.

Vous avez été la première femme à entrer au Parlement après que le mandat de député de votre père eut été brusquement interrompu par son décès tragique. Pourquoi n’avoir pas réitéré cette expérience par la suite ?
Mon père est originaire de Debbiyé au Chouf. Outre son implication dans le monde des affaires, il est entré également en politique. Il était très aimé et avait le sens des relations publiques et des rapports avec les autres. Il a effectué plusieurs mandats de député au Parlement libanais, de 1951 à 1960, et a été désigné ministre des Travaux publics en 1956. À sa mort, je devais lui succéder au Parlement et occuper sa place vacante. Mais je ne pouvais faire plus que cela. Certaines personnes sont faites pour la politique, pas moi. Bien que je déplore le manque de femmes au Parlement, ainsi qu’à d’autres postes-clés importants dans la vie publique, je n’étais pas du genre à mener cette bataille.

Vous êtes pourtant une battante et vous en avez mené des batailles ! Durant une période de la guerre, al-Bustan était devenu un havre de paix, un refuge pour des familles habitant les lignes de démarcation. Grâce au festival créé il y a 25 ans, l’hôtel reprenait cette fonction avec une musique qui réchauffe les cœurs en hiver. Comment est née cette idée de festival ?
 J’avais quitté le pays pour une certaine période. À mon retour, j’ai eu une envie très forte de créer un festival international de musique à l’image de ceux d’Europe. J’en ai parlé avec Walid Gholmieh. J’ai commencé par lui proposer le concept d’un quatuor de chambre qui jouerait dans le hall de l’hôtel à l’heure du thé, comme à Londres. Il a hésité car tous les livres et cahiers du Conservatoire avaient été brûlés ou simplement jetés par la fenêtre durant la guerre. En 1997, le Wiener Kammerensemble était venu donner un atelier de musique dans le cadre du festival. Le Conservatoire n’ayant encore pas été rénové, les musiciens se sont, ce jour-là, installés dans la cuisine. Ce projet commença donc à prendre la forme d’un festival avec le soutien du maestro Gholmieh, mais aussi d’autres amis et amies comme Ghassan Tuéni et May Menassa. La salle Émile Bustani était un auditorium pour les conférences et une salle de cinéma. Pour améliorer le son, elle a été aménagée grâce à un acousticien venu de France du nom de M. Clou qui, après une étude des lieux, avait envoyé un rapport très élaboré afin que l’auditorium soit polyvalent.

Ce festival avait chaque année un thème, et il s’est développé au fil du temps jusqu’à atteindre plus d’une trentaine de programmes. Quel a été pour vous le plus grand accomplissement ou défi de ce festival ?
Le fait qu’il devenait international et qu’il avait réussi à fidéliser un nombre grandissant de spectateurs et auditeurs est déjà un défi en soi. Mais l’année la plus spectaculaire fut 2005. Le festival devait commencer le 15 février et le Premier ministre Rafic Hariri avait été assassiné en ce triste jour du 14 février. On n’a rien annulé. Les musiciens étrangers sont tous venus. Plus encore, les manifestants qui descendaient dans la rue tous les jours (protester contre la tutelle syrienne, NDLR) venaient le soir au festival, avec leur foulard rouge autour du cou. La vie était plus forte que la mort et le Liban aussi. Quelques années plus tard, j’ai eu l’idée d’éditer un album relatant tous ces moments. Deux pages étaient consacrées à la même journée. D’un côté, le programme musical du jour, et de l’autre, la photo du jour des manifestants qui répondaient en écho à ce concert ou récital. C’était impressionnant de voir comment le festival accompagnait les instants les plus tragiques et les plus palpitants de la nation. Le dernier jour du festival, mon équipe et moi-même sommes descendus rejoindre les manifestants.

Vous formez une équipe de soldats dans l’ombre. Et votre fille Laura ainsi que les autres membres du comité sont très présents dans le fonctionnement du festival. Comment travaille cette fourmilière ?
Nous avons tous et toutes les mêmes responsabilités. Nous nous concertons beaucoup. Et même si parfois on m’oppose un non (rires), je finis par suivre mon intuition. Il est vrai que j’ai toujours été à l’initiative du thème de l’année. Mais ensuite, les contacts, le suivi, le programme et son élaboration incombent à tous et à toutes, et principalement au directeur de la programmation, Gianluca Marciano, qui s’est joint à nous en 2010. L’organisation est la clef de la réussite. Pour assurer le succès d’un tel festival, il faut qu’elle soit parfaite et ne souffre d’aucune faille ou faiblesse. Ainsi, dès que les festivités de l’année en cours se terminent, nous sommes déjà fin prêts pour enclencher les suivantes.

Gianluca Marciano a rejoint la famille du Bustan en tant que directeur artistique. Comment s’est passé le processus d’adaptation ?
Je cherchais à l’époque un chef d’orchestre pour la chorale de dames (amatrices) qui anime jusqu’à aujourd’hui une des soirées du festival. On m’a envoyé le CV d’un professionnel, Gianluca Marciano. À la vue de son riche parcours, je ne pouvais croire qu’il accepterait ma proposition. Mais il a insisté pour venir et il a tenu bon. Par la suite, il m’a fait une contre-proposition : celle d’être chef d’orchestre de tout le festival. C’est un bonheur que de l’avoir. Il est notre cheville ouvrière.

L’action du festival a été fédératrice avec un rôle éducateur au fil du temps. Était-ce l’objectif premier de ce projet ? 
Certainement. Le festival a rassemblé des personnes venues de plusieurs milieux pour le simple désir d’écouter de la musique. Par ailleurs, le public d’il y a vingt ans, ou même d’il y a cinq ans, n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Quand je vais aux concerts de l’église des pères jésuites, je suis étonnée de voir combien le public a grandi et a gagné en maturité. Je suis convaincue, et j’ose le dire tout haut, que c’est grâce à notre festival.

Vous parlez couramment trois langues : arabe, français et anglais. N’avez-vous jamais pensé à apprendre l’allemand ? 
Si, et je regrette beaucoup de ne l’avoir pas fait. On ne peut bien comprendre la musique classique si on ne comprend pas la langue allemande, langue d’un grand nombre d’opéras et d’autres compositions musicales. Il y aura toujours quelque chose qui manque.

Vous avez eu l’idée, en mars 2017, de créer un spa à l’hôtel. Cet espace, géré par votre fille Laura, est un peu la continuation du rôle du festival, la sérénité physique qui se mélange à celle de l’esprit et de l’âme. Avez-vous encore d’autres rêves que vous aimeriez accomplir ?
Une petite maison ancienne et mitoyenne à l’hôtel a été effectivement aménagée en spa. Elle est aussi dans l’esprit du festival qui, selon moi, est un havre de sérénité et de tranquillité. Je n’ai aucune crainte pour ce dernier. Je sais et suis persuadée qu’il va encore grandir et s’élargir. J’ai encore un tas de rêves que j’aimerais accomplir. Et même si cela va prendre du temps, je n’ai pas peur.


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Vous êtes la fille unique d’Émile Bustani, l’homme d’affaires, l’entrepreneur qui, avec sa société CAT, a poussé ses ramifications dans les pays arabes et d’Afrique. Ainsi que de Laura Syriani qui était, souvent, l’inspiratrice des projets de votre père. Que vous ont-ils appris tous les deux ? Il y a un terme qui définit mon père en anglais : « Larger than...

commentaires (2)

C'est l'hotel fameux à "Beyt Meri" je pense, joli vue sur Beyrouth. Je ne savais pas que le nom était un jeu de mot sur le nom de la famille ...

Stes David

14 h 16, le 14 février 2018

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Commentaires (2)

  • C'est l'hotel fameux à "Beyt Meri" je pense, joli vue sur Beyrouth. Je ne savais pas que le nom était un jeu de mot sur le nom de la famille ...

    Stes David

    14 h 16, le 14 février 2018

  • Tout comme Elissa la fondatrice de Carthage si illustre par sa volonté son dynamisme et sa détermination, Mirna Boustany à su bâtir sur les fondations rêvées par son père Émile Boustany un Carthage de la paix du tourisme de la beauté de l'efficacité et surtout de la musique!!! On vous doit beaucoup Mme Boustany! Allah yihfazik pour le bien du Liban et des Libanais!

    Wlek Sanferlou

    02 h 38, le 14 février 2018

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