Tout le monde en convient, dans quasiment tous les milieux politiques : il est encore trop tôt pour déterminer une cartographie des alliances électorales, dans la perspective des prochaines élections législatives du 6 mai. Il reste que les états-majors des principaux partis et courants politiques ont entamé bel et bien leurs concertations et tractations sur ce plan, le plus souvent loin des feux de la rampe, entretenant les spéculations et les supputations sur le cours que prendra le scrutin du printemps prochain. Dans ce cadre, une importante réunion a groupé samedi dernier à Meerab le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, le député Ibrahim Kanaan (secrétaire général du bloc aouniste du Changement et de la Réforme) et le ministre Melhem Riachi.
Pendant près de 2 heures 30, MM. Kanaan et Riachi – artisans de l’entente entre les FL et le Courant patriotique libre – ont passé en revue avec M. Geagea la situation dans les principales circonscriptions où les deux formations ont une présence et une assise électorale bien établies. Les possibilités d’alliances ont été discutées au cas par cas, et décision a été prise de mettre sur pied une commission bilatérale ad hoc chargée d’examiner de manière minutieuse, chiffres à l’appui, les opportunités qui se présentent à ce sujet. La formation de cette commission conjointe devrait être annoncée sous peu, dans le courant de cette semaine, et elle entamera aussitôt ses travaux intensifs.
D’entrée de jeu, il ressort de ces concertations préliminaires que le document d’entente signé en janvier 2016 à Meerab par les Forces libanaises et le Courant patriotique libre (CPL) devrait en toute logique se traduire par une alliance électorale dans « certaines circonscriptions », comme l’indique une source responsable du courant aouniste. Concrètement, l’alliance entre les deux formations paraît la plus réalisable, et donc la plus probable, dans la circonscription du Chouf-Aley, ainsi qu’à Beyrouth et dans certains cazas du Mont-Liban. La coopération au Liban-Nord est qualifiée de « possible » par le responsable précité qui souligne que le CPL et les FL examinent en outre les moyens de renforcer la représentation chrétienne dans les régions où ils ne sont pas en position de force.
Parallèlement à ces concertations bilatérales, chacune des deux formations entreprend des contacts avec ses alliés « naturels » respectifs. Le chef du CPL, le ministre Gebran Bassil, a ainsi tenu il y a quelques jours une réunion, non médiatisée, avec le Hezbollah, tandis que les FL poursuivent leurs discussions avec le courant du Futur et les Kataëb.
(Repère : Législatives libanaises : les dates à retenir)
Vision stratégique
La source aouniste susmentionnée relève dans ce contexte que cette collaboration électorale bilatérale est une conséquence directe de l’entente de Meerab, soulignant que nombre de factions locales misent sur un divorce entre les FL et le CPL en se basant sur les frictions apparues ces derniers temps entre les deux partis au sujet d’un certain nombre de questions en rapport avec la gestion des affaires publiques. « Ceux qui font un tel pari se livrent à de faux calculs car l’entente de Meerab revêt un caractère stratégique et dépasse de très loin les sujets ponctuels de désaccord sur la gestion de certains dossiers, souligne la source aouniste. L’entente de Meerab est en effet le fruit d’une réflexion en profondeur qui a duré un an et huit mois, et qui a porté sur toutes les expériences passées auxquelles ont été confrontés les chrétiens, de la mission de Mgr Howayek à Paris (à l’époque du mandat français) jusqu’à nos jours, en passant par l’étape de l’indépendance et les conflits interchrétiens ».
Une vision stratégique s’est dégagée de cette réflexion profonde pour ce qui a trait aux conditions de la présence et du rôle des chrétiens, d’une part, et aux impératifs de la prééminence de l’État, d’autre part. La source précitée indique sur ce plan que les dirigeants des deux formations ont pris conscience du fait qu’aucun des deux partis n’a pu avancer, seul, sur la voie de la réalisation des objectifs recherchés dans un contexte de conflit interchrétien, en dépit des alliances contractées ici et là, aussi bien sur le plan interne qu’au niveau externe. D’où la nécessité d’une vision stratégique commune ayant pour fondement – et pour plafond, en cas de divergences – l’édification d’un État efficace.
Ce dernier point a d’ailleurs été soulevé explicitement, au cours d’une rencontre informelle, par le député Ibrahim Kanaan qui a déclaré il y a quelques jours que « lorsque le rôle des chrétiens s’est affaibli au niveau du pouvoir, la place et l’autorité de l’État se sont affaiblies parallèlement ». « Ce sont les conflits interchrétiens qui ont empêché l’État de rétablir son rôle central, et aujourd’hui, c’est l’entente interchrétienne qui permettra de restaurer l’autorité de l’État », a souligné M. Kanaan qui a précisé que cela est « dans l’intérêt non seulement des chrétiens, mais aussi des Libanais en général, dans la mesure où le rétablissement d’un équilibre au niveau du partenariat national et des fondements du pacte est dans l’intérêt de toutes les composantes locales ». « Dans cette optique, ajoute le député, l’objectif de l’entente de Meerab est d’améliorer la présence chrétienne au niveau de l’État, et non pas de se livrer à un partage du gâteau ou de marginaliser les autres parties en imposant un monopole de la représentation chrétienne. De ce fait, il ne saurait y avoir de retour en arrière en termes de conflits interchrétiens. »
C’est précisément dans ce cadre général que la source aouniste susmentionnée place les discussions entre le CPL et les FL dans la perspective des prochaines élections. Et tous les regards sont aujourd’hui tournés vers la commission conjointe qui se réunira dans les prochains jours afin de déterminer les possibilités d’alliances électorales entre les deux formations.
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commentaires (3)
L'entente de Meerab signée par les FL et le CPL en janvier 2016 me rappelle le conte "Le Petit Chaperon rouge". Sa conclusion est : "Le méchant loup se jeta sur le petit Chaperon rouge et la mangea."
Un Libanais
12 h 01, le 13 février 2018