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Économie - Reconstruction

Un « Solidere syrien » en préparation dans la banlieue de Damas ?

Le gouvernement se lance dans de vastes projets immobiliers, synonymes de reconstruction du pays. Mais le plan est critiqué par des habitants expropriés et des chercheurs.

Damas, Syrie. Louai Beshara/AFP

Tranche par tranche, le régime de Bachar el-Assad reprend le contrôle du territoire syrien avec l’aide de la Russie et de l’Iran. Les forces gouvernementales ont désormais la mainmise sur deux tiers de la population, selon des estimations du géographe Fabrice Balanche en septembre dernier. Mais sept ans après le début de la guerre, les combats ont détruit une grande partie des infrastructures du pays, notamment celles de grandes villes comme Raqqa ou Alep. En avril 2016, la Banque mondiale évaluait le coût de la reconstruction à 180 milliards de dollars. 

Si les combats ne sont pas finis, le régime s’y attelle déjà. Dès fin 2016, un important projet immobilier a ainsi été lancé dans le sud de Damas, rapporte à L’Orient-Le Jour Joseph Daher, maître de conférences à l’Université de Lausanne. Présenté comme le symbole de la reconstruction du pays, le projet a déjà attiré les investissements d’hommes d’affaires syriens proches du pouvoir, Samir Foz et Mazen al-Tarazi, selon plusieurs médias syriens.

 

Décret n° 66

Ce projet a pu voir le jour grâce au décret n° 66 de 2012. Signé par Bachar el-Assad, il permet « le développement de quartiers (comprenant de nombreuses constructions) illégales ». Deux zones dans Damas ou sa banlieue sud sont concernées : la première, où les travaux ont déjà été lancés, englobe Mazzé, quartier résidentiel proche du palais présidentiel, et Kafr Soussa. La superficie de la seconde zone, qui inclut aussi Mazzé et Kafr Soussa, mais également Kanawat, Bassatine, Daraya et Kadam, atteint 880 hectares, soit 10 % de la superficie de Damas, rapportait en décembre l’agence de presse officielle, SANA. L’expropriation de ses habitants est annoncée pour 2018. 

« De nombreux Syriens appellent le projet de Bassatine al-Razeh (du nom du quartier de la première zone concernée, NDLR) “le Solidere syrien”, à cause de ses gratte-ciel et de ses trams, et du fait qu’il sera dédié au segment très limité de la population qui a les moyens d’acheter des logements onéreux », écrivait le spécialiste de l’économie syrienne Jihad Yazigi dans le quotidien panarabe al-Hayat en novembre dernier. 

Solidere avait été créé au lendemain de la guerre civile libanaise pour reconstruire et gérer le centre-ville ravagé de Beyrouth. Aujourd’hui, les anciens propriétaires du quartier se plaignent d’avoir été insuffisamment dédommagés, tandis que le centre-ville est synonyme de magasins et d’appartements de luxe. Selon Guillaume Boudisseau, consultant chez Ramco, leur valeur est de 30 % à 40 % plus élevée que la moyenne de ceux de la capitale.


(Pour mémoire : Ziad Hayek : Les PPP sont « indispensables » à la reconstruction de la Syrie)



Marota City, synonyme de souveraineté

Signe de l’importance du projet, les médias prorégime soulignent fréquemment que le nom de la première zone de construction, Marota City, signifie « nation ou souveraineté » en syriaque. D’après SANA, le projet est chapeauté par le gouvernorat de Damas et financé par un prêt de 20 milliards de livres syriennes, soit 38 millions de dollars, de la Banque commerciale de Syrie. La holding Cham Company, lancée en 2016 par le gouvernorat avec un capital de 60 milliards de livres syriennes (116 millions de dollars), assure le suivi des travaux. 

En décembre dernier, SANA citait le directeur du projet, Jamal Youssef, selon lequel « 80 à 85 % » des travaux d’infrastructures (tunnels, fondations, déblaiements) étaient terminés. La zone de construction, qui s’étale sur plus de 200 hectares, disposera à terme de 12 000 unités de logement, en plus de parcs, de 17 écoles et d’un parking à étages. « Les citoyens auront accès à un bâtiment neuf avec tous les services à des prix justes (…), au lieu de vivre dans un logement illégal, qui ne répond pas aux exigences de base », a indiqué Jamal Youssef. Suite à l’arrivée en masse des populations rurales à Damas, près de la moitié des habitations étaient construites sans permis, précise Joseph Daher. Aujourd’hui, tous les anciens habitants de ce qui deviendra Marota City ont quitté les lieux.


Retard des indemnisations

Le décret prévoit d’indemniser les résidents en fonction de leur éligibilité à un nouveau logement. Ceux qui y ont droit – soit 5 000 personnes, selon Jamal Youssef – doivent recevoir l’équivalent d’un loyer annuel jusqu’à ce que sa construction soit terminée. Quant à ceux qui n’y ont pas droit, il est prévu qu’ils perçoivent l’équivalent de deux ans de loyer, payé en une fois et au plus tard un mois après la notification d’éviction.

Le décret ne précise pas sous quelles conditions les habitants sont considérés éligibles ou non à un nouveau logement. Jamal Youssef indique dans SANA que 90 % des habitants se sont vu proposer un nouveau logement, et que les deux ans de loyer promis ont été versés aux 10 % restants, qui pouvaient contester cette décision jusqu’à la fin du mois de janvier. 

Pourtant, certains anciens habitants protestent et assurent que ces conditions n’ont pas été remplies. La chaîne de télévision officielle Ortas a diffusé en décembre quelques témoignages : « D’après le décret, un logement alternatif devait être proposé au plus tard 4 ans après le décret, et nous attendons toujours. Pour l’instant il n’y a eu aucune démarche sur le terrain, juste des paroles », déclare un résident, tandis qu’une dame s’inquiète : « Les personnes forcées à quitter la Syrie vont-elles perdre le droit à une compensation ? » Sur le plateau d’Ortas, Jamal Youssef justifie ces retards par l’ampleur du projet et des délais dans la construction, indiquant qu’ils génèrent également des « pertes » non précisées pour le gouvernement.

D’autres critiquent le choix politique des zones de construction. Dès octobre 2012, soit un mois après la signature du décret, France 24 rapportait les propos d’un résident : « Je suis convaincu que cette opération relève tout simplement de la punition collective à laquelle on veut donner un semblant de légalité. » La seconde zone de construction inclut notamment Daraya, symbole de la révolte syrienne lancée en 2011 contre le régime. Soumise à un long siège, la ville a été reprise par le gouvernement en 2016. 

Les autorités ambitionnent d’étendre ce modèle de projet immobilier à tout le territoire syrien. D’après Joseph Daher, le décret 66 sert déjà de « modèle à suivre » pour la reconstruction de Homs. « Les vastes projets immobiliers devraient attirer des capitaux étrangers, cruciaux pour assurer la reconstruction syrienne. Les investissements des acteurs publics et privés sont en effet insuffisants pour reconstruire le pays », conclut le chercheur.


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