Rechercher
Rechercher

Idées - Visite de Netanyahu en Inde

Israël face aux contradictions de sa politique de la périphérie

Le Premier ministre indien Narendra Modi et son homologue israélien Benjamin Netanyahu lors d’une visite du musée commémoratif de l’Holocauste à Jérusalem le 4 juillet 2017. Abir Sultan / Reuters / Pool.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu entame dimanche un voyage en Inde. Ce séjour, qui doit durer une semaine, comprend de nombreux échanges aux niveaux politique et militaire, incluant notamment la vente de missiles israéliens devant intégrer l'arsenal du futur porte-avions indien. Par ailleurs, Netanyahu participera au Raisina Dialogue, la grande conférence géopolitique annuelle à New Delhi. Le dirigeant israélien a aussi prévu une visite à Mumbai des studios Bollywood, qu'il veut encourager à venir tourner en Israël. Enfin, une délégation de 130 dirigeants d'entreprise israéliens se déplace à ses côtés, signifiant l'importance accrue des échanges économiques entre les deux pays.

Cette visite constitue la suite logique de celle du Premier ministre indien, Narendra Modi, en juillet dernier en Israël – une première historique pour un chef de gouvernement indien. Vu depuis New Delhi, le rapprochement Modi-Netanyahu peut se lire comme le point culminant d'une politique indienne « décomplexée » vis-à-vis d'Israël qui s'est progressivement mise en place au lendemain de la guerre froide. Si les dirigeants indiens ont longtemps gardé leurs distances avec l'État hébreu, en raison de l'occupation des territoires palestiniens et de l'alliance israélienne avec les États-Unis qui contredisait le non-alignement indien, ces réserves ont aujourd'hui été levées, du moins en ce qui concerne la relation avec Washington.

 

(Lire aussi : Netanyahu ira en Inde avec une importante délégation commerciale)

 

Doctrine ancienne
Du côté israélien, l'enthousiasme avec lequel le gouvernement Netanyahu communique et met en scène cette relation indo-israélienne est le reflet d'une politique étrangère israélienne qui tend à renforcer ses partenariats en Afrique et en Asie afin de pallier l'absence de liens solides avec son voisinage direct, le monde arabe.

Cette politique n'est pas nouvelle : dès les années cinquante, David Ben Gourion et Reuven Shiloah, le fondateur du Mossad, en avaient fait une doctrine dite de « la périphérie ». Ces derniers partaient du principe que pour contrecarrer l'hostilité des voisins arabes – et plus particulièrement de l'Égypte de Nasser –, il fallait s'allier avec les pays périphériques du Moyen-Orient, à savoir l'Iran, la Turquie ou encore l'Éthiopie. La logique était simple : l'ennemi de mon ennemi peut devenir mon ami.

Pendant des décennies, cette doctrine de « la périphérie » fut menée, le plus souvent clandestinement, par le Mossad et Tsahal avec les pays partenaires. Tombée aux oubliettes après la révolution iranienne de 1979, la doctrine refait surface après le printemps arabe et se trouve plus particulièrement employée par Avigdor Liberman, lors de son passage au ministère des Affaires étrangères de 2009 à 2012. Elle entend remédier à de nouvelles problématiques : l'effondrement du régime égyptien, la guerre civile syrienne et surtout la crise des relations turco-israéliennes.

Aujourd'hui, les contours de cette « périphérie » sont devenus bien flous et il n'existe pas de document gouvernemental qui en ferait une « doctrine » officielle. En ce sens, il s'agit moins d'une stratégie régionale que d'une matrice, ou d'un cadre intellectuel à travers lequel les dirigeants israéliens perçoivent leur environnement géopolitique.

Par le biais de ses partenariats actuels avec l'Inde, mais aussi la Grèce, le Soudan du Sud ou encore l'Azerbaïdjan, Israël reproduit donc un vieux schéma : dépasser l'hostilité du monde arabe en tissant des liens bien au-delà de ses frontières. Pour autant, cette politique, dont la visite indienne de Netanyahu témoigne, est porteuse des mêmes limites que celle des années cinquante. Si, à court terme, la stratégie devait permettre de consolider la supériorité militaire israélienne dans la région, Ben Gourion espérait qu'à long terme, de tels partenariats favoriseraient la normalisation d'Israël.

Le vœu de Ben Gourion de légitimer la place d'Israël au Moyen-Orient par l'intermédiaire de la périphérie échoua systématiquement : les dirigeants à Ankara, Téhéran, et Addis-Abeba exploitèrent autant que possible le savoir-faire industriel et militaire israélien mais prirent leurs distances avec Israël à chaque fois qu'un conflit avec les pays arabes éclatait. Les dirigeants israéliens attendaient de ces relations une rétribution symbolique – la normalisation – que leurs partenaires de circonstance se refusaient à leur concéder.

 

(Pour mémoire : Israël annonce un nouveau contrat de livraison de systèmes anti-aériens à l'Inde)

 

Asymétrie des attentes
L'ambivalence des acteurs du partenariat et l'asymétrie des attentes entre chacune des parties sont aussi à l'œuvre dans la relation indo-israélienne contemporaine. La politique de New Delhi est avant tout guidée par des considérations pragmatiques. Les industriels et les militaires indiens estiment avoir beaucoup à gagner de l'expérience israélienne dans les secteurs de l'armement ou du contre-terrorisme – notamment vis-à-vis de leur propre combat avec les groupes pakistanais au Cachemire.

Cependant, le gouvernement Modi maintient une certaine prudence en ne s'enfermant pas dans une alliance exclusive. Pour ce faire, il n'hésite pas à entretenir des liens à rebours des intérêts israéliens. Quelques jours seulement avant la visite de Netanyahu, le ministre des Routes et du Développement urbain iranien, Abbas Ahmad Akhoundi, était à New Delhi pour discuter des investissements indiens dans les infrastructures iraniennes. De même, ces dernières semaines, les autorités à New Delhi ont tenu à communiquer sur la préparation d'une visite imminente de Modi (aucune date n'a été arrêtée) en Palestine. Enfin et surtout, l'Inde a clairement condamné à l'ONU la décision américaine de déplacer son ambassade à Jérusalem.

L'Inde n'a rien à gagner d'un soutien trop appuyé à Israël qui pourrait nourrir le mécontentement de sa minorité musulmane tout en compromettant, à l'international, sa volonté d'obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Ces paramètres de la politique indienne ont donc de quoi modérer l'enthousiasme israélien.

En somme, la politique étrangère israélienne envers sa périphérie, qu'il s'agisse de l'Inde ou d'autres partenaires, ne fait que perpétuer ses propres contradictions. Certes, à court terme, elle permet au pays de s'extraire de l'impasse moyen-orientale et d'entériner l'idée selon laquelle le conflit israélo-arabe n'est plus la problématique fondamentale dans la région. Mais à long terme, parce qu'elle relègue la question palestinienne au second plan, cette diplomatie limite les propres attentes qu'elle peut nourrir à l'égard de ses partenaires potentiels.

Professeur associé d'études stratégiques pour le Near East South Asia Center. Dernier ouvrage : « Israel's Foreign Policy Beyond the Arab World : Engaging the Periphery » (Routledge, 2017)

 

Pour mémoire

L'Inde achète pour 1,6 md EUR de missiles à Israël

Des descendants d'une tribu juive vivant en Inde immigrent en Israël

 

Lire aussi

Israël va-t-il s'inviter dans la danse de mort régionale ?

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu entame dimanche un voyage en Inde. Ce séjour, qui doit durer une semaine, comprend de nombreux échanges aux niveaux politique et militaire, incluant notamment la vente de missiles israéliens devant intégrer l'arsenal du futur porte-avions indien. Par ailleurs, Netanyahu participera au Raisina Dialogue, la grande conférence géopolitique...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut