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Liban - Développement

L’eau au Liban : une richesse au compte-gouttes

Deux cents litres. C'est la quantité d'eau moyenne utilisée par jour et par personne au Liban, selon un rapport de la Banque mondiale sur l'eau au Liban et un autre du directeur général du ministère de l'Énergie et de l'Eau, Fadi Comair, sur l'efficience de l'utilisation de l'eau au Liban. C'est sans doute moins qu'aux États-Unis (379 L/jour/personne), champions du gaspillage, mais quasiment le double de la Belgique (107 L/jour/personne) ou des Pays-Bas (118 L/jour/personne). Compte tenu du fait que pour les décennies à venir l'eau va manquer, au Liban et autour de la Méditerranée, il est primordial que le Liban commence à adopter des mesures pour rationaliser l'usage de l'eau.

En effet, notre pays figure parmi ceux qui seront le plus touchés par le changement climatique : d'ici à 2050, le Liban risque de perdre jusqu'à 20 % des précipitations et gagner entre 3 et 5° C, en moyenne. Entre-temps, sa population devrait grimper à 4,9 millions d'habitants (4) sans compter les millions de réfugiés que nous avons/aurons. Par conséquent, la quantité d'eau disponible par personne va fortement diminuer, ce qui nécessite une meilleure utilisation de cette précieuse ressource, notamment dans les bâtiments. Car, avec l'urbanisation rampante, ces derniers vont représenter jusqu'à 45 % de la demande nationale en 2030, comparé à 31 % en 2010, toujours selon le rapport de la Banque mondiale.

Plusieurs stratégies de réduction de la consommation d'eau dans les immeubles sont possibles, à l'instar de la récolte des eaux de pluie ou du traitement des eaux usées. Dans l'étude intitulée « Analyse du cycle de vie de l'eau, de l'énergie et des coûts des multiples mesures de collecte et de gestion de l'eau pour les immeubles dans un climat méditerranéen » (disponible gratuitement via ce lien) , André et Laurent Stephan ont quantifié tous les coûts financiers et énergétiques de plusieurs stratégies de réduction de consommation ou de récolte des eaux, à travers le cycle de vie du bâtiment.

L'énergie grise et l'eau virtuelle des matériaux nécessaires à la production des systèmes ont été également prises en compte. Un immeuble de 4 étages à Sehaileh, au Mont-Liban, est pris comme bâtiment représentatif du logement libanais. Le même bâtiment avait été utilisé dans leurs deux études précédentes (ici et ici). L'article scientifique comprend tous les détails de la modélisation ainsi qu'une analyse des incertitudes.

 

(Lire aussi : « Il faut davantage de recherches pour déterminer les sources d'eau contaminées par le plastique à Beyrouth »)

 

Les principaux résultats ainsi que leurs implications sont présentés ci-dessous :

L'étude
Les stratégies considérées et illustrées dans le schéma ci-dessous sont les suivantes :
Récolte des eaux de pluie.
Récolte des eaux de condensation du système d'air conditionné en été (de juin à septembre inclus).
Réduction de la demande en eau à travers l'installation de lave-linge et lave-vaisselle performants, ainsi que des robinets, douches et chasses d'eau économiques en eau (et énergie).
Récolte et traitement des eaux usées (seules les eaux grises issues des lavabos, douches, lave-linge et lave-vaisselle sont considérées. Les eaux noires issues des chasses d'eau et des éviers de cuisine, beaucoup plus difficiles à traiter, ne sont pas prises en compte).
La combinaison de 1 et 2.
La combinaison de 1, 2, et 3.
La combinaison de 1, 2, 3, et 4.
Les bilans financier, énergétique et d'eau ont été calculés sur 50 ans, par rapport au cas de base où aucune stratégie n'est mise en place. Ce bilan est représenté dans le graphe qui suit, dit à coordonnées parallèles. Ce type de graphe permet de combiner plusieurs indicateurs et axes en une seule figure afin de faciliter la visualisation des relations entre différentes performances.

 

(Pour mémoire : La pollution de la rivière de Rachiine : vers une solution de court terme ?)

 

Les valeurs négatives indiquent un coût énergétique ou financier. Force est de constater que les économies d'eau ne riment pas nécessairement avec des économies financières.
Vu le prix très bas de l'eau courante au Liban et le fait qu'il n'y a, le plus souvent, pas de compteur, le bilan financier de plusieurs mesures n'est pas brillant. Ainsi, installer quelques tuyaux en plus et un filtre basique pour récolter les eaux de pluies (stratégie 1) n'est actuellement pas rentable, puisque coûtant 2 cents de dollars (soit 30 livres libanaises) pour chaque m³ net d'eau courante et de citernes économisé (après avoir déduit l'eau virtuelle, qui est négligeable dans ce cas). Le traitement des eaux usées (stratégie 3), bien que réduisant la demande en eau de l'immeuble de près de 20 %, coûte très cher, que ce soit en investissement, en maintenance ou en énergie : 93 cents de dollars (1 400 LL) par m³ d'eau recyclée.

Par contre, les économies d'eau associées à une utilisation de robinets, douches, chasses d'eau, lave-vaisselle et lave-linge économiques (stratégie 3) sont significatives. La consommation d'eau de cet immeuble de 32 habitants (8 ménages de 4 personnes) peut être réduite de 1 520 m³/an, ou 54 % ! De plus, comme ces appareils ont quasiment le même prix à l'achat que leurs équivalents gourmands en eau, l'investissement est négligeable.

Mais ça ne s'arrête pas là. Ces appareils économisent aussi beaucoup d'énergie et ainsi beaucoup d'argent. En effet, au total, chaque m³ d'eau économisé à travers cette stratégie garde 35 cents de dollars en énergie (~530 LL) dans le portefeuille. L'autre stratégie qui marque des points vis-à-vis des finances est la récolte des eaux de condensation. En effet, une petite machine d'air conditionné produit en moyenne 1 L d'eau par heure en été. Toute cette eau remplace donc l'eau de camion-citerne, beaucoup plus chère que l'eau courante, ce qui résulte en une économie de 15 cents de dollars (30 LL) par m³ d'eau récoltée, deuxième au classement parmi les stratégies 1-4. Malheureusement, l'eau de condensation couvre moins que 1 % du total et ne fait pas de grande différence pour un ménage.

Les combinaisons de plusieurs stratégies peuvent réduire les coûts d'investissements (stratégie 5), augmenter les économies d'eau par effet de synergie (stratégies 6 et 7 ; si on utilise moins d'eau au total, on peut faire plus avec un litre d'eau de pluie) ou contrebalancer les coûts du traitement des eaux par les économies financières des autres stratégies (stratégie 7). Il est ainsi possible de réduire l'utilisation d'eau courante et de camions-citernes de 75 % ! Et ce pour un coût financier et énergétique quasi nul sur 50 ans. Il y a donc de l'espoir d'un point de vue technique.

 

(Pour mémoire : Des voix beyrouthines réclament l'arrêt de l'acheminement de l'eau du Litani vers Beyrouth)

 

Ensemble, préservons l'eau
Le système de distribution des eaux au Liban est vétuste, et c'est un euphémisme. On estime les pertes sur le réseau entre 30 et 40 % ! Il faut rajouter à cela les coupures journalières ou même permanentes, ainsi que le manque de planification urbaine en termes de récolte des eaux de pluie, de drainage et de bassins d'orage. Cerise sur le gâteau, une étude récente publiée par le quotidien britannique The Guardian sur la teneur en plastique de l'eau courante dans le monde place le Liban à la 2e place mondiale, ce qui nécessite une série de mesures.

D'abord, il est nécessaire d'installer un compteur pour chaque ménage qui devra alors payer son eau au m³ (ou litre). Cela est plus transparent et plus juste (si on utilise moins, on paie moins, et vice versa). Le gouvernement a d'ailleurs commencé la campagne d'installation.

En parallèle, il faudrait complètement revoir l'infrastructure. Réduire les fuites est le moyen le plus rentable pour économiser l'eau. Si les pertes sont ramenées à 15 %, cela reviendrait à des millions de mètres cubes d'eau disponibles en plus (1 million de m³ couvre la demande annuelle de 14 000 personnes).

Les tarifs devraient être en outre revus. Le prix moyen d'un m³ d'eau courante au Mont-Liban est actuellement de 0,55 $ (825 LL). Passer à un minimum de 0,7 $/m³ (1 050 LL) rendrait la collecte de l'eau de pluie rentable. Au lieu d'une hausse en bloc qui pourrait être injuste, des tarifs par tranches, comme c'est le cas de la facture d'Électricité au Liban, seraient plus appropriés. Le prix de l'eau devrait augmenter avec la quantité d'eau utilisée, afin de sensibiliser les gens à être économes et de pénaliser les gaspilleurs.

Le prix de l'eau au Liban, et partout ailleurs en Méditerranée, devrait être d'ailleurs saisonnier. Vu la variabilité des précipitations entre l'hiver (130 mm de précipitations pour janvier) et l'été (0 mm pour juin, juillet et août), le prix de l'eau doit suivre. En effet, l'eau de la douche en janvier, alors qu'il pleut des cordes, n'a pas la même valeur qu'en août, quand les réservoirs sont au plus bas et que l'herbe est sèche. Des tarifs saisonniers ont été testés au Chili avec grand succès.

Au final, le gouvernement pourrait aussi proposer des primes et des subsides pour l'installation de systèmes pouvant réduire la consommation de l'eau. Car il ne faut pas oublier qu'installer des systèmes de récolte des eaux de pluie d'une manière généralisée réduit drastiquement le risque d'inondations entre septembre-avril et permet de diminuer la demande en eau courante en même temps.

Par ailleurs, les architectes et les ingénieurs se doivent d'installer les systèmes, robinets et chasses d'eau les plus économiques en eau. À part cela, les ingénieurs doivent systématiquement installer la plomberie nécessaire aux systèmes de récolte des eaux de pluie et de séparation des eaux noires et grises. Cela a un coût négligeable durant la construction et permet de raccorder les systèmes correspondants à très bas coût plus tard.

De plus, les ménages peuvent utiliser moins d'eau, notamment en investissant dans un lave-vaisselle au lieu de laver à la main, en réutilisant l'eau de rinçage des fruits et légumes pour le jardin ou pour les plantes en pot, etc. Il existe énormément d'informations sur les économies d'eau à faire chez soi, sur internet. André et Laurent Stephan recommandent, entre autres, les sites suivants : le guide de l'établissement de l'eau de Beyrouth et du Mont-Liban, le guide de l'ADEME et le guide britannique sur le site waterwise.

Ainsi, en matière d'économies, il est grand temps de se jeter à l'eau... tant qu'il y en a.

 

* André Stephan est professeur assistant à l'Université de Melbourne, Australie. Il est docteur en bâtiments soutenables (Université libre de Bruxelles et l'Université de Melbourne), et master ingénieur-architecte (Université libre de Bruxelles).
** Laurent Stephan est directeur de l'entreprise Technical Enterprises Co. au Liban. Il est détenteur d'un MBA (Insead), et master ingénieur civil (Université libre de Bruxelles).

 

Édité par Christelle Stephan-Hayek, professeure associée à l'Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), Liban et détentrice d'un doctorat ès lettres (Université de la Sorbonne).

 

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AU PAYS DE L,EAU ON A SOIF ! QUEL DOMMAGE ! ET QUEL CRIME !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 54, le 12 janvier 2018

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Commentaires (2)

  • AU PAYS DE L,EAU ON A SOIF ! QUEL DOMMAGE ! ET QUEL CRIME !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 54, le 12 janvier 2018

  • Il faut surtout changer les mentalités et les habitudes. - cesser de laisser le robinet ouvert pendant toute la durée de la vaisselle ou de la toilette. Dans tous les pays civilisés la vaisselle se fait dans deux bacs, l'un pour le lavage,l'autre pour le rinçage. De même, pour la toilette, on remplit le lavabo et on se lave avec les quelques litres qu'il contient. Ce n'est pas pour faire joli que les fabricants de lavabos et d'éviers ont prévu un bouchon! - Une douche n'a pas besoin de durer une demi-heure: 5mn suffisent! - Il est aberrant de voir, alors que l'on manque d'eau arroser la rue en été devant les magasins pour donner de la fraîcheur! En France, en été, après un mois sans pluie, il devient interdit d'arroser son jardin et de laver sa voiture! - Pour laver le sol d'une cuisine, un jet d'eau n'est pas nécessaire: un seau suffit. Surtout si on utilise un détergent ne nécessitant pas de rinçage. - etc. C'est une éducation anti-gaspi qui est avant tout nécessaire. L'installation de compteurs, et donc des factures correspondant à la consommation peut y contribuer.

    Yves Prevost

    07 h 31, le 12 janvier 2018

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