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Culture - L’artiste de la semaine

Khaled el-Mays, le penseur du rotin

En dépoussiérant la technique du rotin et en s'employant à lui rendre ses lettres de noblesse, le créateur libanais aventureux a participé à Design Miami en décembre dernier et s'apprête à faire son entrée dans la prestigieuse galerie Nilufar à Milan.

Khaled el-Mays : C’est grâce à un cours d’histoire de l’art que j’ai compris que je voulais me lancer dans le design de meubles. Photo Carl Halal pour House of Today

À l'heure où les artistes se doivent d'être au fait des reflets qu'ils projettent et des miroirs qu'on promène au long de leurs parcours, sans se faire prier, Khaled el-Mays dit « avoir mis du temps à se trouver ». Rompant ainsi avec ceux peuplés de prétentieuses certitudes, il admet même s'être longtemps perdu. D'abord, en faisant des études d'architecture à l'Université américaine de Beyrouth qu'il intègre par défaut. Puis en rejoignant New York, où il se disperse davantage et fait ses armes au Pratt Institute pour un master en art digital, manière d'irriguer une curiosité à volets ouverts. « C'est d'ailleurs grâce à un cours d'histoire de l'art que j'ai compris que je voulais me lancer dans le design de meubles », se souvient-il dans un éclat de rire éraillé qui fait sitôt ricocher les cailloux qu'il a patiemment maçonnés sur son destin de Petit Poucet. C'est qu'aujourd'hui, le déboussolement avec lequel il marchait bras dessus, bras dessous porte enfin ses fruits. Le créateur, réinventeur du rotin qu'il a élu comme technique fétiche, voit un tas de félicités lui tomber dessus : une première participation à Design Miami en décembre 2017 avec House of Today et une glorieuse entrée, au printemps, dans la galerie milanaise Nilufar.

 

Fishawy
Sauf que pour en arriver là, Khaled el-Mays en a fait du chemin, multipliant les expériences, se laissant dériver au gré du courant, et, surtout, se fiant au hasard qui s'avère être blotti au creux de sa poche tant « les rencontres que j'ai pu faire, presque des accidents, ont pavé la voie vers une découverte de moi », confesse-t-il. Si le designer rentre à Beyrouth en 2011, où il avoue avoir mis une bonne année à s'adapter, c'est en 2013 qu'il expose sa première collection, Rhizomes, dont les tables, comme dotées de plusieurs jambes, avaient marqué la Beirut Design Week. « Je ne connaissais pas les rouages du métier et j'ai basculé dans cela un peu par accident. » Dans cette scène du design dont il ignore les codes, armé de son sourire patelin en bandoulière et ses créations qui interpellent dès lors, la voie de Khaled el-Mays croise celle de Hazem al-Jisr, qui le convie à montrer son travail à Cities, dans le cadre de Design Days Dubai, en 2015 et 2016.

C'est lors de sa deuxième participation que le créateur libanais se démarque réellement en pensant une collection de meubles à travers laquelle il propose une réinterprétation de la chaise en khayzaran, baptisée Fishawy, en référence au café du Caire auquel elle doit sa notoriété. « Certes, l'idée était de proposer une réinterprétation de cette cousine des chaises de Thonet, mettre ce siège mythique sur son piédestal et aussi en faire un objet luxueux, mais il fallait d'abord que je comprenne cette pièce emblématique, explique-t-il. C'est alors que je me suis penché sur la technique du rotin, car à ce moment je ne traitais la technique que par bribes. »

 

D'où il vient et où il va...
Remarqué par Chérine Magrabi Tayeb, fondatrice de la plate-forme House of Today, qui décèle chez le créateur un potentiel de révolutionner un artisanat promis au moins à l'essoufflement, sinon à la mort, Khaled el-Mays est invité à participer à la troisième édition de cette biennale. À l'issue de cet événement pour lequel il brusque les limites de son travail et crée un panier entièrement enveloppé de rotin, Chérine Magrabi Tayeb l'a incité à explorer cette technique. « C'est ainsi que pendant une année, ensemble, nous avons réfléchi autour de cette piste », raconte celui dont on loue désormais le vocabulaire, souple et éthéré, d'une modernité tempérée, quoique s'irriguant d'un procédé longtemps considéré, à tort, comme kitsch, voire désuet.

Et voilà : en dynamitant les a priori sur le rotin, dont il s'emploie à lacérer la réputation essoufflée, dans ce décloisonnement assumé où l'artisanat n'est plus en bras de fer avec le design, où passé ose rimer avec fonctionnalité, que Khaled el-Mays envole, au propre comme au figuré, ses pièces à Curio Design Miami (en décembre) sous l'aile de House of Today. Des lampes et tables de chevet, impeccablement exécutées et dont la géométrie fluide est ennoblie par du rotin tressé et du laiton, auront suffi à générer un petit phénomène auprès de la presse, et même séduire Nina Yashar lors de son passage à Curio. La fondatrice à la main de fer de la galerie Nilufar à Milan représente désormais Khaled el-Mays, qui montrera lors du Salon en avril une première collection exclusivement conçue pour l'occasion. « J'en suis ravi, surtout que mon objectif premier est de maintenir et faire rayonner une tradition qui se meurt », conclut celui qui se souvient d'où il vient. Et qui sait très bien, désormais, où il va.

 

19 juin 1985
Naissance à Beyrouth.

2008
Master en art digital au Pratt Institute à New York.

2011
Retour à Beyrouth.

2013
Lancement de sa première collection Rhizomes.

2016
Exposition à Cities Dubai dans le cadre des Design Days Dubai.

2016
Participation à la troisième biennale de House of Today.

2017
Participation à Curio Design Miami avec House of Today.

2018
Entrée à la galerie Nilufar à Milan.

 

 

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