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Moyen Orient et Monde - Interview express

Malgré le rôle russe dans la défaite de l’EI, Poutine ne peut pas tirer à lui seul tous les bénéfices

Le chef du Kremlin a tenu à faire l'éloge du rôle « crucial » de la Russie dans la défaite des jihadistes en Syrie.

Douze malades, en majorité des enfants, ont quitté la Ghouta orientale, région rebelle proche de Damas, avec des membres de leur famille pour être transportés vers des hôpitaux de Damas. Abdulmonam Eassa/AFP

Le président russe Vladimir Poutine a fait l'éloge hier du rôle « crucial » de la Russie dans la défaite des jihadistes en Syrie, où le groupe État islamique a perdu la quasi-totalité de son territoire. « La Russie a fourni une contribution cruciale dans la défaite des forces criminelles qui avaient défié toute la civilisation, en détruisant l'armée terroriste d'une dictature barbare », a ainsi déclaré M. Poutine, au début d'une cérémonie de remise des décorations aux militaires qui ont participé à l'opération russe en Syrie. Ces forces « semaient la mort et la destruction (...) et aspiraient à faire de la Syrie et de ses pays voisins un terrain propice au lancement d'une agression globale visant notre pays », a-t-il affirmé.

Selon M. Poutine, « les équipements des jihadistes, leurs états-majors, leurs infrastructures et des milliers de combattants ont été détruits » depuis le début de l'opération russe, à laquelle ont participé au total « plus de 48 000 soldats et officiers russes ». Ce chiffre comprend notamment des pilotes et des marins, des unités de la police militaire, des agents de renseignements et de communication, ainsi que des conseillers militaires, a-t-il expliqué. « Vous comme personne d'autre comprenez, savez et sentez que l'armée a changé de manière radicale au cours de ces deux ans et quelque. Elle a changé parce que les gens ont senti qu'elle était à la hauteur », a estimé M. Poutine.

En passe d'être défait, le groupe État islamique (EI) ne contrôle plus que 5 % du territoire syrien et Vladimir Poutine s'est attribué une grande part de cette défaite. Décryptage avec Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la Russie.

 

(Lire aussi : Moscou accuse Washington d'entraîner d'anciens combattants de l'EI)

 

Pensez-vous légitime que Vladimir Poutine estime que la Russie a joué un rôle crucial dans la défaite des jihadistes en Syrie ?
Je pense qu'il est naturel que le président russe, qui s'était fortement engagé en Syrie, fasse sa propre promotion à cet égard. En effet, qu'aurait-on dit si l'intervention russe avait connu le même sort que celle effectuée en Afghanistan dans les années 80 ? On aurait probablement dit que c'est une défaite de Poutine. Qu'il revendique une forme de victoire de ce point de vue là n'est pas surprenant. Cependant, faut-il attribuer à la seule Russie la défaite de l'EI ? Bien sûr que non. Il y a eu d'autres offensives de la part de la coalition internationale. Mais il est juste de dire que la Russie a eu un rôle déterminant. Il est notable que depuis son engagement à l'automne 2015, le conflit était entré dans une nouvelle dimension. La Russie peut-elle tirer à elle seule tous les bénéfices de la défaite de l'EI et assurer le retour de son influence en Syrie ? Probablement pas, dans la mesure où ce n'est pas Moscou qui pourra mener à bien, sur le plan économique, la reconstruction de la Syrie. Là, on peut penser qu'il y aura d'autres acteurs qui entreront en jeu, notamment la Chine. Il a certainement raison de dire qu'il a eu un rôle très important dans la défaite de l'EI, mais il ne peut néanmoins pas tirer tous les bénéfices à lui seul, ni détenir seul les cartes pour la suite des événements.

Mais pourquoi s'attribuer la victoire sur les jihadistes, alors que ce sont les Forces démocratiques syriennes soutenues par les États-Unis qui ont principalement lutté contre l'EI ?
Les Russes ont vu en Libye et en Égypte des groupes démocratiques, relativement minoritaires, remporter « dans la rue » les élections mais qui, dans les urnes, sont tombés sur des régimes beaucoup plus proches des islamistes. Ce qu'on voit côté russe, c'est « soit être pour un État souverain, son armée et ce qui va avec », soit Vladimir Poutine mettra l'ensemble des groupes rebelles contre l'État central dans le même sac. Les jihadistes sont alors mis sur le même plan que d'autres locaux antirégime. Il s'agit d'une faille dans la manière de présenter cela de la part de la Russie. Mais cette faille va être délégitimée dans le langage russe, en expliquant que même s'ils sont tous contre le régime de Bachar el-Assad, dès lors que le régime syrien aura été remplacé, seuls les groupes dissidents les plus radicaux seront vus comme ceux pouvant faire la courte échelle aux jihadistes. C'est comme cela qu'il faut interpréter les propos russes. Vladimir Poutine fait l'amalgame dans les groupes antirégime, même s'ils ont des motivations très différentes.

 

(Lire aussi : Même si la paix est loin d’être gagnée, Moscou récolte les premiers fruits de son intervention)

 

Quel avenir pour la Russie en Syrie maintenant que l'EI est en passe d'être défait ?
Deux hypothèses sont à formuler : premièrement, la Russie a fait ce qu'elle estimait devoir faire, à savoir défaire l'EI, d'un côté, et conforter le pouvoir central et l'armée syrienne, de l'autre. Une fois la défaite de l'EI confirmée, la Russie va-t-elle continuer à interférer dans le conflit avec les rebelles ? Ce n'est pas sûr. Elle peut considérer que sa part du travail est terminée et que son intention est maintenant de se concentrer sur la reconstruction politique, sachant que la reconstruction économique sera assurée par d'autres. La Russie pense qu'elle a fait sa part du contrat et que c'est aux autres puissances sur place de s'occuper des groupes restants dans le pays.

La seconde hypothèse serait de pousser à la reconquête du statut de la Russie au Moyen-Orient, qui jusque-là était relativement discret. Le roi Salmane d'Arabie saoudite, lors de sa venue à Moscou, avait d'ailleurs montré que quelque chose était en train de bouger. La Russie organisant le Mondial de football l'année prochaine et avec des combattants qui vont revenir de Syrie, on peut penser que dans les prochains mois, toute l'attention de Moscou sera tournée vers ce Mondial et sa sécurité. La Russie a l'occasion de se refaire une image dans laquelle elle a investi beaucoup de ressources, comme les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Elle veut promouvoir sa victoire en avertissant que toute personne qui serait susceptible d'envoyer des jihadistes sur le sol russe serait cruellement châtiée.

 

 

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