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Liban - Dialogue interreligieux

Un « message » musclé pour torpiller l’ouverture et la tolérance d’un cheikh sunnite

Des individus lancent une grenade sur des voitures appartenant au juge Nokkari.

Le juge Mohammad Nokkari sanctionné pour son ouverture et sa tolérance religieuse

Ce n'est pas un simple fait divers et banal comme on en témoigne au quotidien. Les grenades lancées à l'aube du jour de Noël contre les deux véhicules du cheikh Mohammad Nokkari, juge des tribunaux chériés sunnites et ancien directeur général de Dar el-Fatwa, constituent une offensive contre la coexistence islamo-chrétienne que ce dignitaire sunnite n'a cessé de prôner au cours de sa longue carrière. Connu pour son engagement fiévreux en faveur du dialogue des religions et ses initiatives courageuses en ce sens, le juge chérié n'hésite pas à effectuer le lien entre son approche libérale et l'agression dont il a été victime. Celle-ci a eu lieu devant son domicile à Aramoun à 3 heures du matin et s'est soldée par des dégâts matériels.

Vivement critiqué par l'ancien mufti de la République, cheikh Mohammad Kabbani, pour avoir initié en 2007 une célébration commune devenue nationale aux deux principales communautés de la fête de l'Annonciation (le 25 mars), le cheikh Nokkari s'est vu contraint de démissionner de son poste à Dar el-Fatwa, avant de demander son transfert au tribunal chérié. Depuis, le dignitaire sunnite, qui n'a cessé d'œuvrer en direction d'un rapprochement islamo-chrétien en prenant activement part aux célébrations annuelles dédiées à la Vierge Marie, a même réussi à obtenir gain de cause le 25 mars dernier, après que le chef de l'État, Michel Aoun, et le Premier ministre, Saad Hariri, eurent avalisé un nouveau projet qu'il avait présenté en vue de la création d'un centre marial au Liban dont le terrain devait être assuré par l'État. Le projet consistait également à déclarer le 25 mars « journée internationale du dialogue interreligieux » et à le faire adopter par l'ONU.

C'est, semble-t-il, la goutte qui aurait fait déborder le vase. Dès le lendemain le dignitaire sunnite a commencé à recevoir des menaces sous forme d'appels téléphoniques et de commentaires houleux sur son compte Facebook, suivies d'interventions télévisées virulentes de la part de représentants du comité des ulémas, réputés pour leur conservatisme religieux. Ces derniers avaient publiquement contesté la décision de considérer la fête de l'Annonciation comme une célébration nationale. Ils ont même été jusqu'à émettre une Fatwa refusant de reconnaître cette occasion comme une fête commune aux chrétiens et aux musulmans. Le comité a clairement affirmé par ailleurs qu'il rejetait toute idée de « prière commune » récitées par les membres des deux communautés.

« Mon initiative a été mal interprétée », commente le cheikh Nokkari, dans un entretien à L'Orient-Le Jour. « Pour moi l'idée n'était pas de réciter une prière liturgique conjointe le jour de l'Annonciation, ce qui est inconcevable puisqu'il s'agit de deux religions distinctes, mais tout simplement de formuler ensemble, avec nos frères chrétiens, une invocation de Dieu. Il n'était pas question non plus de créer une nouvelle religion, encore moins de prêcher aux uns et aux autres la conversion », dit-il.

Le dignitaire sunnite, qui enseigne la théologie à l'USJ et un cours sur les statuts personnels à la NDU, tient à rappeler que la Vierge Marie est un « personnage sacré » et un « symbole-clé » pour les deux religions. « La Vierge Marie est citée trente-six fois dans le Coran », souligne-t-il. D'où d'ailleurs l'idée de transformer ce symbole en un espace commun de dialogue en vue du rapprochement entre les deux religions. « Nous ne pouvons plus tabler sur un dialogue en théorie et se contenter de brandir des slogans creux sur la coexistence. Il fallait traduire le vivre-commun dans une initiative conjointe, qui était de célébrer ensemble la Sainte Vierge, c'est-à-dire l'amour », poursuit le dignitaire religieux, qui se dit « conscient » que cette initiative était inacceptable pour certains. Le cheikh Nokkari s'étonne d'ailleurs de la rigidité de la réaction d'une poignée de conservateurs sunnites à l'heure où même l'Arabie saoudite wahhabite est en train de faire de plus en plus preuve de tolérance et d'ouverture à l'égard des autres religions et à un moment où le radicalisme sunnite représenté par l'État islamique et ses acolytes a été décimé au Proche-Orient.

Interrogé à son tour, le cheikh Salem Rafeï, un prédicateur salafiste de Tripoli, a vivement condamné l'acte d'agression ainsi que « toute forme de violence qui se substituerait au dialogue et à l'argumentation rationnelle ». Pour autant, il n'approuve pas l'idée d'un mémorial et des prières conjointes symbolisant la Vierge Marie. « Ce type de manifestation n'encourage pas nécessairement le rapprochement entre les chrétiens et les musulmans », dit-il dans un entretien à L'OLJ. Il explique sa réticence par le fait que la Vierge Marie, « effectivement vénérée par les deux communautés, est considérée comme une figure divine par les chrétiens (NDLR : un avis contraire à la doctrine officielle de l'Église), alors que les musulmans la considèrent comme une sainte. Nous avons donc à ce sujet deux points de vue différents », souligne-t-il. Pour le prédicateur islamiste, qui revendique haut et fort son amitié avec le cheikh Nokkari, « si l'on veut véritablement arriver à un rapprochement entre les deux communautés, il faudra concrétiser l'idée de la coexistence dans des actions concrètes en termes de développements et de services rendus à des jeunes sunnites qui se trouvent dans la misère la plus totale ».

« Que l'on cesse de tromper les gens. Nous pourrons parler de rapprochement le jour où un ministre chrétien initiera un projet utile à la communauté sunnite défavorisée et lorsque les autorités lèveront l'injustice qui touche des dizaines de jeunes sunnites arrêtés sans raison valable ». Pour lui, c'est par des actes « réels et concrets et non par un rapprochement artificiel des points de vue religieux que l'on peut consolider la coexistence ».

 

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commentaires (5)

Je tiens juste à préciser que Marie, pour la foi catholique et donc maronite, n'est pas une figure divine, mais une personne humaine, conçue sans le péché originel. Elle est vierge et mère, mère de Dieu en raison en raison de Jésus, une seule Personne en deux natures, réellement Homme et Dieu (Mystère et dogme de l'Incarnation). Merci de me permettre cette précision.

dintilhac bernard

15 h 14, le 27 décembre 2017

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Commentaires (5)

  • Je tiens juste à préciser que Marie, pour la foi catholique et donc maronite, n'est pas une figure divine, mais une personne humaine, conçue sans le péché originel. Elle est vierge et mère, mère de Dieu en raison en raison de Jésus, une seule Personne en deux natures, réellement Homme et Dieu (Mystère et dogme de l'Incarnation). Merci de me permettre cette précision.

    dintilhac bernard

    15 h 14, le 27 décembre 2017

  • Dans un pays dit civilisé, on n'assassine pas en gros et en détails; on ne détruit pas les biens des autres; on ne s'en prend pas aux gens honnêtes; on n'humilie par les journalistes libres; on n'attaque pas les vrais croyants en un vrai Dieu... Où en sommes-nous dans la jungle que l'on appelle encore Liban ex-Suisse de l'Orient ?

    Un Libanais

    11 h 57, le 27 décembre 2017

  • message vous dites ? les accomplissements de cet homme sont beaucoup plus forts que tous les messages de la sorte. a une condition : qu'il ne soit pas torpille , non pas par ces messagers neandertaliens , mais bien par les autres qui craindraient pour leur popularite.

    Gaby SIOUFI

    10 h 23, le 27 décembre 2017

  • Ils ne veulent pas l'ouverture vers les autres...car alors leurs privilèges avant tout financiers diminueraient, ainsi que leurs pouvoirs sur la société . Ils ont intérêt à maintenir le peuple dans l'ignorance et en soumission totale à leurs directives obscurantistes...en les justifiant par des arguments qui n'ont rien à faire avec DIEU ! Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 41, le 27 décembre 2017

  • LE PROFOND OBSCURANTISME TOUJOURS EN VOGUE CHEZ CERTAINS QUI REFUSENT L,OUVERTURE SUR LES AUTRES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 30, le 27 décembre 2017

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