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Moyen Orient et Monde - Portrait

Saleh, ou l’art de danser avec les serpents

Ali Abdallah Saleh le 20 février 2011 à Sanaa. Khaled Abdullah/Reuters/File Photo

À trop « danser au-dessus des serpents », il a fini par se faire mordre. Après avoir survécu aux guerres civiles, aux tentatives d'assassinat, aux luttes fratricides, aux interventions extérieures et au printemps arabe, l'ancien président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a été tué hier par ses ex-alliés houthis. Ceux-là mêmes à qui il avait lié sa résurrection politique depuis 2014, jusqu'à son dernier retournement de veste au cours de ce week-end.

Rapidement diffusées par les houthis, les images de sa mort rappellent celle de Mouammar Kadhafi : enveloppée dans une couverture colorée, sa dépouille mortelle est transportée dans un pick-up aux cris de « Allah Akbar » et « Mort à Israël ». Son visage est figé, son crâne est fendu. Les houthis « remercient Dieu » de la mort de celui qui fut, durant ses quinze dernières années, leur pire ennemi avant de devenir leur moins fidèle allié. Quarante-huit heures plus tôt, Ali Abdallah Saleh mettait en effet un terme à ce mariage forcé des deux côtés par les circonstances, en annonçant être prêt à dialoguer avec l'Arabie saoudite pour tourner la page de la guerre civile qui déchire le pays depuis 2015. Comme un clap de fin qui résume parfaitement la vie politique de ce maître tacticien, spécialiste des renversements d'alliances au service de sa propre survie.

 

(Lire aussi : La mort de Saleh ouvre un nouveau chapitre dans la guerre)

 

Une histoire intimement liée à la guerre
Après son élection à la présidence du Yémen du Nord en 1978, les connaisseurs du pays considèrent qu'il ne restera pas plus de six mois au pouvoir. Ses deux prédécesseurs se sont fait assassiner et le Yémen est réputé « ingouvernable », entre les rivalités claniques et tribales, le surarmement de la population et les ingérences étrangères. Ali Abdallah Saleh va pourtant régner sur le Yémen pendant 33 ans et rester au centre des tractations politiques de son pays jusqu'à sa mort. Pendant presque 40 ans, celui qui était quasiment inconnu à son arrivée au pouvoir a incarné le Yémen. En étant à la fois l'homme de la réconciliation et celui de la guerre. En résumant, par son parcours, par sa personnalité et par sa politique, tous les contrastes du pays le plus pauvre de la péninsule Arabique.

L'histoire de Ali Abdallah Saleh est intimement liée à la guerre, celle qui oppose entre 1962 et 1970 les républicains, soutenus par les Égyptiens, aux royalistes, aidés par l'Arabie saoudite. Elle permet à ce jeune officier aux origines modestes, né en 1942, de se faire un nom. L'offensive qu'il lance contre le Yémen du Sud au milieu des années 1990 lui permet de mater les revendications sécessionnistes, quatre ans après la réunification du pays. La guerre qu'il déclare aux houthis durant la décennie 2000, les accusant d'être les instruments de l'Iran, lui permet de consolider son pouvoir dans le Nord. Celle qu'il mène contre les groupes jihadistes, au lendemain des attentats du 11-Septembre, lui permet d'obtenir le soutien des Américains. Celle, enfin, qui détruit le pays depuis 2015, lui permet de faire son retour sur la scène politique.

Dans les années 1960, Saleh est dans le camp des républicains du Nord, alors qu'une république socialiste soutenue par Moscou était proclamée dans le Sud en 1968, après l'évacuation des Britanniques. Au début des années 1990, il est l'un des héros de la réunification, alors que l'implosion de l'URSS libère le Yémen de la prison de la guerre froide. À la fin des années 1990, « l'Empereur », comme il est surnommé par ses partisans, se présente comme le « champion de la liberté et de la démocratie », le défenseur du « Yémen moderne ». Dans les années 2000, il est l'homme de la lutte contre le terrorisme, alors qu'il autorise les Américains à utiliser leurs drones sur son territoire, pour éliminer les cadres d'el-Qaëda dans la péninsule Arabique (AQPA).

 

(Lire aussi : Saleh-houthis : les raisons d’un divorce)

 

OPA familiale sur le pouvoir
L'homme est de plus en plus autoritaire et sa famille fait une OPA sur le pouvoir central. Ses fils sont aux manettes de la défense et de la sécurité du pays. En 2006, il annonce qu'il va quitter le pouvoir avant de finalement revenir sur sa décision dans un scénario très nassérien : alors que plus d'un million de ses partisans se réunissent pour le supplier de demeurer à la tête de l'État, le président yéménite, grand seigneur, accède à leur demande.

Dans les années 2010, Saleh est pris dans la tourmente des printemps arabes. Mais le président résiste, se pose en seul recours face au chaos et instrumentalise la menace el-Qaëda, à qui il va permettre de prendre le contrôle de la ville de Zinjibar, pour sauver sa peau sur le trône. Les manifestations de janvier 2011 font toutefois place à des combats sanglants, à partir du mois de mai, entre pro et anti-Saleh. Ses alliés d'hier, comme le général Ali Mohsen al-Ahmar, l'homme à qui il aurait promis qu'il lui succéderait, lui tournent le dos. Il est lâché par les Américains et par les Saoudiens.

Saleh est isolé mais continue de s'accrocher. Il faudra attendre le bombardement de son palais, le 3 juin 2011, pour que le chef du Yémen disparaisse momentanément de la scène yéménite. Grièvement blessé, il se rend à Riyad où il est soigné pendant des mois avant d'être contraint de rendre le pouvoir. Il apparaît presque méconnaissable, la tête recouverte d'un keffieh rouge et blanc, des bandages entourant sa poitrine sous sa chemise blanche ainsi que ses mains. Saleh demande alors pardon à tous ses compatriotes « pour tout manquement pendant (ses) 33 ans de pouvoir ». En février 2012, au moment où il signe sa démission en échange de son immunité, l'homme a pourtant le sourire. Sans doute sait-il déjà que tant qu'il est vivant, son histoire politique n'est pas encore terminée.

 

(Lire aussi : La rupture Saleh-Houthis "sans doute encouragée" par Riyad)

 

L'art de la trahison
Il va revenir deux ans plus tard à la faveur d'une guerre civile provoquée par la marche des houthis vers le Sud, qui vont occuper la capitale et même Aden, et provoquer l'intervention de l'Arabie saoudite et de ses alliés au secours du président Abed Rabbo Mansour Hadi, l'ex vice-président de Saleh. Le « charmeur de serpent » va aider ses anciens adversaires à marcher sur la capitale, grâce aux réseaux qui lui sont restés fidèles au sein de l'armée et de la garde républicaine. Mais le mariage entre les deux est profondément fragile et contre nature. Saleh se veut le chantre de la contre-révolution qui doit lui permettre de préparer son retour ou celui de son fils aîné, Ahmad Ali Abdallah Saleh. Les houthis, qui ont tissé des liens de plus en plus étroits avec Téhéran au cours des dernières années, sont dans une logique de confiscation du pouvoir afin d'imposer leur idéologie religieuse au reste du pays. Les deux se sont fait la guerre pendant presque 10 ans, bien qu'ils appartiennent, l'un comme l'autre, au zaïdisme, une branche du chiisme. Mais alors que pour Saleh, qui vient de la tribu des Sanbane, rattaché au clan des Hached, le zaïdisme est seulement une origine culturelle et géographique, pour les houthis, c'est une appartenance politique et idéologique.

Au cours de sa longue carrière politique, Saleh a maîtrisé mieux que personne l'art de la trahison et des alliances contradictoires. Il s'est allié avec les islamistes, avec les Iraniens, avec les Saoudiens, avec les Américains, à chaque fois que cela pouvait lui permettre de renforcer son pouvoir. Entre les houthis et lui, le divorce était toutefois inéluctable. Restait à savoir quelle partie allait le plus en être affectée. La réponse ne s'est pas fait attendre.

« Si tu veux que ton fils soit rusé, prénomme-le Ali », dit un dicton célèbre au Yémen. Ayant arrêté ses études au collège, l'ex-président yéménite n'était pas particulièrement éduqué. Il était davantage connu pour sa ruse et sa brutalité, inspiré par son mentor, Saddam Hussein.

Après Saddam, Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, la mort de Saleh est une nouvelle page qui se tourne dans le monde arabe. Même si, à l'instar des autres leaders déchus, malgré son maigre bilan, « l'ombre du charmeur de serpents » risque de hanter le Yémen pendant encore longtemps.

 

 

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commentaires (6)

on nous a montrer comment les membres du front du refus regle ses comptes politique !! A BON ENTENDEUR SALUT

Bery tus

15 h 54, le 05 décembre 2017

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • on nous a montrer comment les membres du front du refus regle ses comptes politique !! A BON ENTENDEUR SALUT

    Bery tus

    15 h 54, le 05 décembre 2017

  • Mort en martyr… l’appareil iranien au Yemen lui accordé cet « honneur », comme sa filiale libanaise a accordé le même honneur à notre classe politique

    Chorzow Factory

    12 h 47, le 05 décembre 2017

  • HOULALALALALALALA. ..... L'ART DE RETOURNER SA VESTE L'A PERDU A CE PAUVRE TYPE .....faut surtout pas lui ressembler. ..houlalalalalala.....

    FRIK-A-FRAK

    11 h 31, le 05 décembre 2017

  • IL A DANSE AVEC LES SERPENTS ET IL S,EST FAIT MORDRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 29, le 05 décembre 2017

  • Jamais 2 sans 3....Apres KHADAFI et SALEH,le prochain sur la liste et de loin le pire de tous...BASHAR le boucher de Damas.

    HABIBI FRANCAIS

    07 h 50, le 05 décembre 2017

  • La comparaison avec Kadhafi s'arrête au fait que Kadafi a été exécuté PAR des agents dd la DGSE FRANÇAISE TANDIS QUE SALEH S'EST FAIT LIQUIDE PAR DE VRAIS REBELLES. J'espère que des libanais ne vont pas pleurer sa MORT. A moins qu'ils le feraient pour des raisons confessionnelles.

    FRIK-A-FRAK

    06 h 45, le 05 décembre 2017

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