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Culture - Rétrospective

Ce Baalbaki qui n’était pas à la mode...

Certains estiment que ce peintre, sculpteur, écrivain et poète est la source du talent plurivalent de sa lignée. Son œuvre est cependant largement méconnue...

« The War Mural » (huile, 208 cm x 370 cm), toile majeure de l’œuvre de Abdel-Hamid Baalbaki. Photo collection Saradar

À travers ses enfants, Abdel-Hamid Baalbaki (1940-2013) aura laissé à la postérité un patronyme synonyme d'art libanais sous toutes ses formes. Père de Soumaya (chanteuse), de Loubnan (chef d'orchestre), d'Oussama (peintre), de Mounzer (comédien) ou encore de Salmen (musicien), ce géniteur de tant de talents était lui-même également un artiste multidisciplinaire et néanmoins méconnu. Peu se souviennent de son travail. Exception faite, peut-être, de The War Mural, l'une de ses pièces maîtresses, qualifiée de Guernica libanaise. Cette grande et magnifique composition vaut à elle seule le détour par la galerie Saleh Barakat, à Clemenceau. Empruntée à la collection Saradar, elle y est exposée jusqu'au 30 décembre.

Peintre, sculpteur, écrivain et poète, diplômé des beaux-arts de l'Université libanaise (UL) en 1971, puis bénéficiaire d'une bourse d'études à l'École nationale des arts décoratifs de Paris, c'est à l'aune de la guerre civile, en 1974, que Abdel-Hamid Baalbaki entame sa vie professionnelle d'artiste et de professeur d'art à l'UL. Un timing qui jouera en sa défaveur. D'autant que ce Baalbaki-là n'a jamais voulu composer avec les grands courants de son époque. Privilégiant le réalisme social à une période où, au Liban, les artistes en vogue se tournaient vers l'expressionnisme abstrait, ce fils du Sud, gauchiste engagé, est resté toute sa vie fidèle à ses convictions. Quitte à ne pas être à la mode de son temps. « À la chute du mur de Berlin, son monde s'est écroulé », raconte Saleh Barakat, qui a voulu rendre hommage à cet artiste atypique en lui consacrant une rétrospective accompagnée d'une monographie bilingue (anglais-arabe) signée Gregory Buchakjian. Une exposition à but non commercial (les pièces sont tirées de collections privées, essentiellement celles de la famille) et un bel ouvrage qui, à travers cette figure singulière de l'art libanais, reviennent sur une époque particulière et en offrent un intéressant éclairage artistico-social des années de guerre.

Antibourgeois

Par idéalisme pour ses valeurs de gauche, Abdel-Hamid Baalbaki refusait de participer aux Salons et autres événements de « marchandisation de l'art », selon lui. « Même s'il a quand même exposé à la Gallery One en 1983 », rappelle Barakat. Baalbaki rejetait l'esthétisme de nombre de ses pairs et tout ce qui, de près ou de loin, pouvait être considéré comme un art bourgeois. Il pratiquait avec intransigeance une peinture et une sculpture destinées à être comprises et appréciées des couches populaires. D'où sa prédilection pour les fresques grand format inspirées des muralistes mexicains. À l'instar de cette fameuse War (208 cm x 370 cm), aux dimensions de murale, mais peinte sur toile...

« Il est probablement l'un des rares artistes des années 70 qui ont clairement choisi l'école figurative à une période où, au Liban comme ailleurs, la CIA soutenait, à travers plusieurs agences, la promotion de l'expressionnisme abstrait pour contrer l'influence soviétique. Et, pour cette raison, il a été marginalisé pendant très longtemps », assure le galeriste.

Originaire de Odeissé, village défavorisé de Jabal Amel, Abdel-Hamid Baalbaki était un peintre populaire, au sens noble du terme. Lorsqu'il « monte » vers la capitale, il commence par s'installer à Nabaa, avant de déménager à Hamra. Menant de front une carrière artistique et des travaux alimentaires pour subvenir aux besoins de sa grande famille (il est père de 7 enfants), il veut refléter dans ses peintures la rudesse de la réalité quotidienne des gens. En particulier celle des ruraux partis tenter leur chance à Beyrouth et qui se sont retrouvés entassés dans la fameuse, et explosive, ceinture de pauvreté de la capitale.

La guerre et ses personnages

Il commence par traiter des thèmes du folklore populaire, comme les traditions religieuses, des scènes de condoléances, le retour du hajj ou encore la commémoration de Achoura (thème d'une large murale à la faculté des beaux-arts de l'UL, perdue durant les événements), « tout en stylisant sa figuration avec une bidimensionnalité inspirée des miniatures orientales », relève Saleh Barakat. Puis, durant la guerre, il se met à représenter, avec une pointe de satire, la vibration de la rue et les profils des personnages qui la peuplent : l'abaday, surnommé Abou al-Jamajem (1982), l'intellectuel de gauche, les marchands ambulants de la Corniche, ou encore ces politiques au café, entourés de leurs ouailles... En parallèle, il fait aussi doucement entrer le spectateur dans l'intimité des foyers défavorisés, chez ce couple de vieillards esseulés, chez ces femmes démunies...

« C'était intrinsèquement un peintre de personnages et de genre, plus qu'un peintre urbain ou un paysagiste, même s'il s'est consacré, dans la derrière période de sa vie, à la représentation de la nature, qui devient alors le symbole de ses désillusions politiques comme des désastres écologiques à venir », conclut Saleh Barakat.

L'exposition, qui déroule des œuvres réalisées durant sa jeunesse estudiantine, jusqu'au début des années 2000, retrace le parcours d'un artiste au talent sincère. Dessinateur doué, sculpteur classique, mais qui réussit parfaitement à reproduire l'expression de ses modèles, et peintre habile, en dépit de l'inégalité de ses toiles, il aura surtout été un artiste témoin d'une certaine période. À découvrir.

Saleh Barakat Gallery, Clemenceau, rue Justinien, jusqu'au 30 décembre.


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À travers ses enfants, Abdel-Hamid Baalbaki (1940-2013) aura laissé à la postérité un patronyme synonyme d'art libanais sous toutes ses formes. Père de Soumaya (chanteuse), de Loubnan (chef d'orchestre), d'Oussama (peintre), de Mounzer (comédien) ou encore de Salmen (musicien), ce géniteur de tant de talents était lui-même également un artiste multidisciplinaire et néanmoins méconnu....

commentaires (1)

DE BELLES PEINTURES !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 28, le 27 novembre 2017

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Commentaires (1)

  • DE BELLES PEINTURES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 28, le 27 novembre 2017

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