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Moyen Orient et Monde - Reportage

Rafah, purgatoire de la bande de Gaza

Alors que les négociations pour la réconciliation palestinienne sont en cours, les habitants de la bande de Gaza trépignent et espèrent une ouverture permanente de la frontière avec l'Égypte.

Des Palestiniens réclament l’ouverture du poste-frontière de Rafah. SAID KHATIB/AFP

« Je suis épuisée, je n'en peux plus d'attendre ici sans savoir si on va réussir à passer, on nous enlève toute dignité à nous parquer ici sans nous donner de solution », crie Aïcha, 34 ans, une mère de six enfants originaire de Zeytoun, un faubourg du sud de la ville de Gaza. Au poste-frontière de Rafah, Aïcha espère rejoindre son mari, qui a dû quitter la bande de Gaza cinq ans auparavant. Elle est accompagnée par sa dernière fille, qui ne connaît la voix de son père qu'à travers le téléphone. Le blocus israélo-égyptien de la bande de Gaza pèse sur le destin de deux millions d'habitants, dont la liberté de mouvement est largement restreinte.

Le point de passage d'Erez, vers Israël, est ouvert aux Palestiniens au compte-gouttes. Les autorités israéliennes justifient cette politique par des considérations sécuritaires. Rafah, au sud de la bande de Gaza, n'est pas beaucoup mieux. Elle s'ouvre sur l'Égypte, mais est fermée de manière quasi permanente depuis 2014, aussi pour des raisons de sécurité. D'après l'ONG israélienne Gisha, en 2015, il n'aura été ouvert que 32 jours, dont 25 au cours desquels les habitants de la bande de Gaza pouvaient sortir.

Ainsi quand, le 1er novembre, l'Autorité palestinienne a repris le contrôle des postes-frontières, qui étaient opérés par le mouvement islamiste Hamas depuis sa prise de pouvoir dans le territoire, les Gazaouis ont accueilli la nouvelle avec beaucoup d'enthousiasme. « Je pensais qu'ils ouvriraient la frontière immédiatement et j'étais folle de joie », se souvient Sally Helail, une jeune femme de 26 ans. Elle veut rejoindre son mari en Norvège, où il travaille.
« L'Autorité a annoncé qu'ils allaient ouvrir le passage de manière permanente deux semaines plus tard, mais à l'approche de la date d'ouverture, celle-ci a été reportée, j'étais très déçue », raconte Sally. Elle explique qu'elle a ensuite utilisé un mot-dièse sur les réseaux sociaux pour solliciter l'attention des dirigeants palestiniens exigeant l'ouverture de la frontière : « Quand on est très nombreux à se mobiliser de cette manière, on peut obtenir des résultats : l'Autorité a finalement décidé d'ouvrir la frontière pour trois jours. »

Aussitôt, Sally, comme des milliers de Gazaouis, s'est préparée à partir de l'enclave palestinienne. Avec sa mère, elle s'est rendue dans un gymnase de Khan Younès, une localité proche de Rafah, où les voyageurs se regroupent à chaque ouverture du poste-frontière. Le Hamas constitue des listes de voyageurs prioritaires, en coordination avec l'Égypte. Les voyageurs attendent qu'on les appelle par leur nom pour monter dans un bus, direction Rafah.

Dans le gymnase, la tension est palpable, conduisant même à quelques empoignades entre les milices du Hamas, qui sont ici encore aux manettes, et des candidats au voyage, excédés. Chacun tente de trouver une parade à l'attente suppliciante : une mère coiffe sa très jeune fille de mille tresses ; des hommes conversent des différences entre le coût de la vie en Europe et à Gaza, comptant leurs billets en devise étrangères ; quelques enfants somnolent et des lycéens se renseignent sur le prix du foul ou du tourmous vendus à l'extérieur par des marchands ambulants.

Mère et fille Helail étaient parmi eux, entourées de cinq énormes valises. Elles ont été bouleversées par les gens qu'elles ont rencontrés. La jeune mariée en est encore toute émue : « On voit tellement de souffrances, c'est terrible ; il y avait un étudiant notamment qui s'est mis à hurler que son visa était sur le point d'expirer, qu'il allait rater son opportunité pour quitter Gaza, c'était déchirant parce qu'il criait : "Je veux partir, laissez-moi une chance pour un avenir meilleur". » « Les malades m'ont particulièrement touchée, raconte Oum Chadi, la mère de Sally, j'étais déjà un peu confuse entre la joie pour ma fille qui va retrouver son mari, et mon inquiétude de ne pas la voir avant longtemps, puisqu'on ne sait pas quand la frontière sera rouverte ; mais en voyant les malades qui étaient en train de mourir à attendre, j'étais vraiment triste et pleine de compassion pour eux. »

Alors que son mari avait quitté la Norvège pour l'attendre au Caire, Sally n'a pas pu passer côté égyptien. La frontière devait à nouveau ouvrir pour trois jours aujourd'hui, laissant à Sally l'espoir de retenter sa chance. Mais les autorités égyptiennes ont fait savoir hier à leurs homologues palestiniens que le passage resterait fermé en raison de l'attentat qui a frappé hier le village de Bir el-Abed, faisant au moins 235 morts.

 

(Lire aussi : Les groupes palestiniens veulent des élections générales d'ici la fin 2018)

 

« Changement à 360° »
Sur les 30 000 personnes souhaitant quitter l'enclave, à peine 1 450 auraient réussi à passer la frontière lors de ces trois jours d'ouverture. Ce qui devait être le premier accomplissement de la réconciliation palestinienne déçoit donc les Gazaouis. Le 1er décembre, un gouvernement d'union nationale doit prendre le pouvoir à Gaza, mettant enfin un terme à sa marginalisation, mais à Gaza, les journaux et les conversations sur le trottoir ne sont que le récit de frustrations. Les sanctions imposées par Ramallah, notamment sur l'électricité et les soins médicaux, pèsent toujours lourdement sur le quotidien.

Au lendemain des trois jours d'ouverture, la lourde porte de Rafah est bel et bien fermée. Les voyageurs, les mécontents et même les manifestants de la veille se sont volatilisés. Une forte pluie s'abat sur la bande de Gaza, le sol est boueux, le ciel est gris. Pourtant, quelques badauds sont encore là. Ils attendent ceux qui, de l'autre côté, ont passé la nuit dans le terminal égyptien pour gagner leur retour à Gaza. « Dieu soit avec eux, je viens d'appeler mon ami là-bas : on leur a promis de les laisser passer, ils seront les derniers à entrer à Gaza », explique Charif, un moustachu gouailleur de 38 ans. Il ne tient plus en place, impatient de retrouver un vieux copain d'enfance rentrant au pays après la fin de ses études en Tunisie.

Passée la fureur d'hier, les esprits se sont apaisés. Charif n'en veut pas aux dirigeants, Autorité comme Hamas, de tarder à améliorer la situation après tant d'années de division : « À Gaza, on est en train d'opérer un changement à 360°, donc il faut leur laisser du temps car absolument tout est à reconstruire politiquement et administrativement. »
Dans une petite gargote attenante au point de passage, Mohammad, 20 ans, vend du café, des narguilés et des cigarettes. Il tient ce commerce depuis l'adolescence et n'en revient pas que les mouvements palestiniens se soient finalement mis d'accord : « Si le gouvernement a pu revenir à Rafah, alors tout est possible », s'exclame cet observateur de la frontière, aux premières loges.

En face, un grand café ouvert sur la rue propose les mêmes services, mais à l'abri de la pluie. Il est presque plein. Islam Afana, 33 ans, y attend sa mère avec quelques amis, un narguilé à la main. Il ne l'a pas revue depuis neuf mois, elle était en visite chez sa sœur qui vit avec son mari à Dubaï. « Ma mère m'a vraiment manqué. Ici on a toujours peur que la frontière reste fermée et que les gens ne rentrent jamais, confie-t-il, je suis soulagé qu'elle revienne car je ne vais plus me lever chaque matin en vérifiant sur internet si Rafah va ouvrir, et j'espère pour tout le monde que nos responsables politiques vont s'accorder sur l'ouverture permanente de ce poste-frontière. »

 

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