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Moyen Orient et Monde - Décryptage

L’échec de la politique du tout-sécuritaire de Sissi

Le président égyptien ne parvient pas à endiguer la menace terroriste alors qu'il a axé toute sa politique autour de cet objectif.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a promis hier de répondre avec « une force brutale » à l’attentat perpétré contre une mosquée dans le Sinaï, et qui a fait au moins 235 morts. AFP/HO/Présidence égyptienne

L'attentat perpétré hier contre la mosquée al-Rawda, située dans le nord de la péninsule du Sinaï, et qui a fait au moins 235 morts, vient s'ajouter à la longue liste des attaques qui endeuillent régulièrement l'Égypte. L'attaque s'est produite dans le village de Bir al-Abed, à 40km à l'ouest d'al-Arich, la capitale de la province du Nord-Sinaï, une région où les forces de sécurité combattent la branche égyptienne du groupe jihadiste État islamique (EI).
De manière générale, les groupes jihadistes sont particulièrement présents dans le nord du Sinaï où ils multiplient les attaques contre les forces de l'ordre qui ne parviennent pas, pour l'instant, à endiguer la menace. Les cellules étaient déjà actives durant la présidence de Hosni Moubarak, puis celle du président islamiste Mohammad Morsi. Mais la cadence des attentats s'est accélérée au cours de ces dernières années, et ce alors même que le président Abdel Fattah al-Sissi, contrairement à son prédécesseur, a fait de la lutte contre le terrorisme son objectif numéro un.

Le 20 octobre dernier, une embuscade ayant officiellement fait 16 morts parmi les forces de l'ordre, dans la région des Oasis à 135 km au sud-ouest du Caire, a été revendiquée par le groupe jihadiste Ansar al-islam . Le 9 avril 2017, un double attentat contre des églises coptes à Tanta avait fait 44 morts. Le 1er juillet 2015, une attaque perpétrée par une branche de l'État islamique dans le Nord-Sinaï avait fait 70 morts. Il y a près de sept mois, le groupe jihadiste Province du Sinaï, ayant fait allégeance à l'EI en novembre 2014, et labellisé « État islamique en Égypte », avait affirmé sa volonté de s'étendre sur l'ensemble du territoire égyptien.

À l'occasion de son premier discours devant l'Assemblée générale de l'ONU, en septembre 2014, le président Sissi avait appelé à affronter avec détermination le terrorisme au Moyen-Orient, au moyen d'une « confrontation décisive » contre « les forces de l'extrémisme et du terrorisme » et contre « toute tentative d'imposer des opinions par l'intimidation et la violence ». Une vision sécuritaire qu'il a à nouveau défendue lors de ses allocutions en 2015, 2016 et 2017.

Si le président égyptien a promis hier de répondre avec une « force brutale » à l'attentat qui a frappé le village de Bir el-Abed, le plus meurtrier de l'histoire récente de l'Égypte, la multiplication des attaques met surtout en lumière l'échec de la politique du tout-sécuritaire du chef de l'État. « L'État ne parvient pas à garantir la sécurité [...] plusieurs centaines de familles chrétiennes du Sinaï, notamment, ont quitté leur travail, leurs foyers », déclare à L'Orient-Le-Jour Mina Thabet, responsable du département groupe religieux et minorités à la Commission égyptienne pour les droits et libertés (ECRF).

Le Sinaï est historiquement une région particulièrement sensible. Les logiques de solidarité tribales y sont très développées et la violence de l'armée contre ses habitants rend le terrain favorable au recrutement jihadiste. La montée en puissance de ces groupes dans le Nord-Sinaï est le « reflet d'un malaise », explique à L'OLJ Tewfik Aclimandos, chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France. Historiquement, peu d'investissements publics ont été déployés dans la région du Nord-Sinaï, au profit de zones plus touristiques, et la désorganisation de l'État et de l'appareil sécuritaire depuis 2011 ont permis aux jihadistes de voir grossir leurs rangs. Même si la zone est géographiquement assez restreinte, ses particularités sociologiques rendent le combat contre les groupes terroristes particulièrement difficiles, puisqu'il met à mal les populations locales, dont le soutien est pourtant essentiel pour parvenir à ce but. Le tout-sécuritaire apparaît ainsi inopérant pour répondre à un danger qui se nourrit essentiellement de la misère économique, de la défiance des populations locales envers l'autorité centrale et de la complexité géopolitique de la région, prise en tenaille entre les intérêts égyptien, israélien et palestinien. Le pouvoir égyptien semble ainsi être prisonnier d'une logique qui ressemble à un cercle vicieux : à chaque nouvel attentat, il promet d'être encore plus répressif, alors que les groupes jihadistes se nourrissent de ce qu'implique cette stratégie pour les populations locales. « Je ne suis pas partisan du tout-répressif, je vois très bien les reproches que l'on peut adresser, sauf que s'il y avait une recette qui pouvait fonctionner, croyez-moi les autorités égyptiennes y auraient recours », assure Tewfik Aclimandos.

 

(Pour mémoire : L’EI menace les adeptes du soufisme en Égypte)

 

Contre-productive
Si elle peut sembler inefficace, cette stratégie peut même être contre-productive en retournant la population locale contre le pouvoir. Les nouvelles « lois antiterroristes », entrées en vigueur en 2015, ressemblent à un blanc-seing accordé aux autorités pour mener à bien la lutte contre le terrorisme, quels que soient les moyens utilisés. Tribunaux spéciaux, protections juridiques aux policiers, amendes très lourdes pour les journalistes qui rapporteraient de fausses informations sont prévus par le texte. En avril dernier, Human Rights Watch avait révélé la possibilité d'exécutions sommaires commises par les forces militaires égyptiennes à l'encontre de détenus non armés dans le Nord-Sinaï, présentés comme des « terroristes ». « J'ai passé un peu plus d'un mois en prison. Ils m'ont accusé d'appartenir à un groupe terroriste, de vouloir tenter de renverser le régime, d'inciter à la violence », confie Mina Thabet. « Je pense qu'en réalité, la principale accusation vient du fait que je travaille pour une association de défense des droits humains, et ils n'aiment pas ça, c'est tout. [...] Je représente une menace pour le pouvoir », ajoute-t-il. Le responsable mentionne également avoir été battu en prison et avoir été harcelé sexuellement.Si les forces armées égyptiennes combattent quotidiennement les groupes jihadistes, la lutte contre le terrorisme est utilisée, dans le même temps, par le pouvoir comme un instrument pour mater toute forme d'opposition.

 

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