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Liban - Les échos de l’agora

Un patriarche chez le custode de la Kaaba

À l'heure où la présente chronique sort de presse, Sa Béatitude Béchara Raï, patriarche d'Antioche des maronites et cardinal de l'Église catholique romaine, sera dans l'avion en partance pour un déplacement historique à Riyad, capitale du royaume d'Arabie saoudite dont le roi porte le titre de « custode des deux enclos sacrés » ; à savoir les lieux les plus saints de l'islam : la grande mosquée de La Mecque (enclos de la Kaaba) et la grande mosquée de Médine (enclos du tombeau du prophète Mahomet).

L'événement est un précédent de taille. Il comporte plusieurs dimensions symboliques et constitue, sans doute, un tournant historique majeur à caractère universel dépassant les frontières du Liban comme pays-message. Si les Libanais eux-mêmes sont loin d'être conscients de ce trait de leur pays, un cardinal de l'Église romaine ne l'est certainement pas. Et c'est ce message d'ouverture et de paix que le Libanais Bechara Raï va porter au cœur même des terres de l'islam, sur les lieux historiques où cette troisième religion monothéiste de la tradition abrahamique a vu le jour.

Plusieurs grilles de lecture s'offrent à nous pour saisir les portées multiples de cet événement exceptionnel.

– Il y a d'abord la dimension biblique abrahamique elle-même qui donne à l'événement une portée universelle. Le patriarche Raï, héritier spirituel d'Isaac, fils d'Abraham et de Sarah, va saluer et donner l'accolade au roi d'Arabie, héritier d'Ismaël, fils d'Abraham et de Hagar, l'ancêtre des Arabes. Et c'est en langue arabe que se déploiera le protocole de cette rencontre sans précédent. Il y a là comme une image de la réconciliation tant attendue des deux frères, Isaac et Ismaël, et leur participation mutuelle à l'héritage commun de leur père Abraham.

– Il y a ensuite la dimension historique de la présence chrétienne oubliée sur la terre d' Arabie. L'histoire préislamique de l'Arabie, assez mal connue, témoigne de la présence d'une chrétienté chalcédonienne et jacobite en Arabie du Nord-Ouest, chez les Ghassanides ; d'une chrétienté nestorienne en Arabie du Nord-Est, chez les Lakhmides ; d'une chrétienté monophysite sud-arabique qui fut persécutée par le royaume juif des Himyarites, alors que dans le Hijaz central, on fait état de la présence de groupes judéo-chrétiens (Ebionites). Quoi qu'il en soit, la terre d'Arabie a été arrosée par le sang des martyrs chrétiens comme à Najran. Elle a donné de grandes figures de sainteté comme Isaac le Syrien (saint Isaac de Ninive) originaire d'Arabie orientale, du Qatar plus précisément.

– Mais il y a aussi le fruit des efforts incessants qui ont été déployés en matière de dialogue islamo-chrétien et interreligieux On rappellera le rôle de premier plan que les Libanais (musulmans et chrétiens) ont joué dans les récents congrès que la prestigieuse institution al-Azhar a organisés au Caire en partenariat avec le Conseil des anciens de l'islam. La déclaration d'al-Azhar du 01/03/2017 sur la citoyenneté, les libertés et le vivre-ensemble résonne comme une adoption du travail de défrichage que les Libanais ont accompli en matière de dialogue. Cette déclaration pionnière proclame que l'unité politique est fondée sur une base juridique et constitutionnelle en chaque lieu donné qu'elle appelle « nos patries arabes ». En juillet dernier, le patriarche maronite avait organisé à l'Université de Louaizé une conférence interreligieuse en écho à al-Azhar. La déclaration de Louaizé s'abstient de parler de « minorités » et accueille la main tendue à al-Azhar. La visite de Mgr Raï à Riyad concrétise ainsi la volonté mutuelle de tourner la page et d'entamer un nouveau chapitre du vivre-ensemble au sein de l'Orient arabe entre islam et christianisme.

– Mais il y a surtout une dimension révolutionnaire au cœur même de l'islam le plus puritain, à savoir le wahhabisme. Recevoir fastueusement un prélat chrétien, arabe, mais aussi un haut dignitaire de l'Église romaine est un signe adressé au monde entier comme quoi quelque chose bouge et change au sein de l'islam. Quelles seront les conséquences d'un tel bouleversement ? Nul ne peut le prévoir mais on serait de mauvaise foi de ne pas y voir un signe majeur de changement radical.

– Comment ne pas évoquer également l'aspect purement chrétien oriental de cette visite ?
La présence à Riyad de Mgr Raï proclame haut et fort que les chrétiens du Liban ne font pas le choix de vivre en ghetto mais de poursuivre leur longue tradition d'ouverture qui fait du Liban le lieu par excellence du vivre-ensemble.

Enfin, il y a aussi les conséquences collatérales de cette visite. Le patriarche Raï rencontrera le Premier ministre démissionnaire du Liban, Saad Hariri, et pourra, si nécessaire, faire une mise au point qui mettrait fin à l'agitation médiatique du microsome libanais qui, au lieu de se focaliser sur les causes politiques de la démission, préfère détourner l'attention en se fixant sur la forme de cette démission.


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commentaires (4)

N'empêche que nul n'a encore qualifié les Lieux Saints de l'Islam d'"enclos sacrés", pour la simple raison qu'un enclos est un terrain entouré d'une clôture!

Georges MELKI

15 h 30, le 13 novembre 2017

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Commentaires (4)

  • N'empêche que nul n'a encore qualifié les Lieux Saints de l'Islam d'"enclos sacrés", pour la simple raison qu'un enclos est un terrain entouré d'une clôture!

    Georges MELKI

    15 h 30, le 13 novembre 2017

  • Un "sanctuaire" est un "enclos sacré" par définition. Un enclos sacré (contraire de profane) est un lieu frappé d'interdit selon l'étymologie latine de "sacer/sacré", le lieu du divin, de l'ineffable transcendant. Tout "enclos sacré" est un lieu qui ne peut être touché sans être souillé. Le "sacré/ιερός" (et non le Saint/άγιος) a, de ce fait, également le sens de "maudit" en latin.

    COURBAN Antoine

    10 h 50, le 13 novembre 2017

  • Enclos? Mais vous êtes incroyable!!! Un enclos, c'est un terrain fermé par une clôture pour enfermer le bétail! Haram se traduit par sanctuaire, mes amis! Monsieur Touma, où êtes vous passé. bon sang???

    Georges MELKI

    09 h 43, le 13 novembre 2017

  • "Les chrétiens du Moyen-Orient sont restés en Arabie saoudite jusqu'au XIIIème s. Il y avait beaucoup d'églises et de monastères au sud de l'Arabie même après l'émergence de l'Islam. C'est entre le XIIIème. s. et le XIVème. s. avec le retrait des Croisés que les chrétiens seront persécutés, scellant l'exil des Arabes chrétiens de Najran sur la frontière sud de l'Arabie vers le sud de la Jordanie." P. Antoine Génadry - L'Orient-Le Jour du 10/9/2013.

    Un Libanais

    08 h 48, le 13 novembre 2017

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