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De poudre et de béton

Où est le faux, où est le vrai, où se nichent encore les peut-être, possible, plausible, probable et autres incertitudes, dans le sidérant feuilleton de politique-fiction qui se joue très réellement pourtant, à un rythme soutenu, dans ce royaume d'Arabie qui jette aux orties sa proverbiale nonchalance ?


Tels les cailloux du Petit Poucet, photos et clips de la télévision saoudite sont venus montrer, par intermittence, que Saad Hariri, démissionnaire depuis samedi dernier, n'est pas séquestré par les Saoudiens, comme le voulait une rumeur aussi malveillante que persistante. Non seulement le chef du courant du Futur a été reçu en audience par le roi Salmane qui lui a même donné l'accolade, mais il s'est rendu hier à Abou Dhabi pour s'y entretenir avec les dirigeants locaux avant de regagner Riyad où il pourrait prolonger son séjour.


De larges zones d'ombre continuent d'entourer en revanche les motivations exactes d'une démission fracassante, certes, mais dépourvue de panache, annoncée par lui-même à partir d'une capitale étrangère et due aux visées hégémoniques de l'Iran et du Hezbollah qui se doublaient, a-t-il affirmé, d'un projet d'attentat visant sa personne. C'est un fait que Saad Hariri avait toutes les raisons du monde de se lasser d'une situation née d'un arrangement politique boiteux qui s'est avéré n'être qu'un marché de dupes. S'il a bien réintégré le Sérail en échange de l'élection de Michel Aoun à la présidence de la République, il a vite fait de constater qu'il n'était guère davantage qu'un Premier ministre sans autorité sur son équipe, subissant humiliation sur humiliation au fil des initiatives individuelles, souvent outrageuses, de ses ministres. Ce fut le cas surtout en matière de politique étrangère, jugée par trop complaisante envers l'Iran et la Syrie, ce qui porte à croire que si Saad Hariri en avait ras le bol, il y avait bien plus désenchanté, plus impatient, plus irrité que lui, à savoir ses alliés d'Arabie.


Plus déterminés, surtout, en particulier pour ce qui est du prince héritier Mohammad ben Salmane (dit MBS) qui, en ce même et fatidique samedi, embastillait pêle-mêle émirs, ministres, chefs militaires et puissants magnats, qu'il se promet de faire juger pour corruption : accusation plutôt piquante, quand on sait dans quel luxe tapageur vivent, depuis des décennies, les milliers de descendants du fondateur du royaume. Il est évident que cette nuit des longs couteaux et l'épisode Hariri sont les deux indissociables volets d'une même entreprise visant, pour son impétueux auteur, à bétonner son pouvoir, déjà considérable, dans la perspective d'une épreuve de force tous azimuts avec l'Iran.


En réalité, c'est un coup d'État long, à combustion lente, tout juste parvenu au stade du feu vif, que mène MBS avec le plein appui de son géniteur, le roi, depuis qu'il a arraché à son cousin l'héritage du trône. Une fois écarté le gêneur, l'émir secoue furieusement maintenant un palmier-dattier dynastique que l'on croyait immuable et relègue au musée le Conseil de famille qui, de longue tradition, arbitrait les rivalités princières. Il s'arroge ainsi le contrôle de la garde nationale, milice tribale surarmée chargée de la protection de la famille royale et des puits de pétrole ; et il élimine les patrons des grandes chaînes satellitaires du pays, de même que certains détenteurs de fortunes colossales. Du coup se trouvent neutralisées, sinon asséchées, les diverses sources potentielles – famille, armes, communication et argent – de toute contestation.


Quant au bras de fer avec l'Iran, il prend déjà une tournure explosive au Yémen, avec le tir de missile balistique, par les rebelles chiites houthis, qui a visé la capitale saoudite. Mohammad ben Salmane y a vu une agression militaire, un véritable acte de guerre imputable à Téhéran : accusation aussitôt endossée par Washington, qui, par la bouche de Donald Trump, a également béni la purge visant ceux, a-t-il dit, qui ont saigné l'Arabie.


C'est d'une confrontation d'un autre type, veut-on croire et espérer, que le Liban, sanctuaire du Hezbollah, devrait être le théâtre, même si Riyad considère aussi comme un acte de guerre toute inféodation future de l'État libanais à la milice. C'est en douceur, et il faut s'en féliciter bien sûr, qu'a été absorbée l'onde de choc résultant de la démission non écrite de Saad Hariri. En raison de ce vice de forme, celle-ci a été judicieusement gelée par le chef de l'État qui multiplie les concertations, mais qui s'est abstenu de s'adresser solennellement, de vive voix, aux citoyens afin de les rassurer, laissant ce rôle à Hassan Nasrallah. Que le gouvernement démissionnaire demeure pour expédier les affaires courantes ou que l'on envisage, à plus long terme, la formation d'une équipe de technocrates non partisans chargée d'organiser les élections législatives du printemps, c'est d'un langage nouveau face à la région et au monde que doit impérativement se doter le pays pour éviter la tempête. Nouveau, oui, et surtout crédible.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Où est le faux, où est le vrai, où se nichent encore les peut-être, possible, plausible, probable et autres incertitudes, dans le sidérant feuilleton de politique-fiction qui se joue très réellement pourtant, à un rythme soutenu, dans ce royaume d'Arabie qui jette aux orties sa proverbiale nonchalance ?
Tels les cailloux du Petit Poucet, photos et clips de la télévision saoudite sont...