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Culture - L’artiste de la semaine

Charbel Haber, ses maux en images

L'homme est un poète, un auteur, un artiste dont les œuvres touchent vivement la sensibilité et l'imagination par des qualités esthétiques.

Photo Ayla Hibri

Pendant longtemps, on tombait sur Charbel Haber à l'heure du café, au Torino à Gemmayzé, en train de dessiner. Équipé de son armée de feutres, il dessinait la plupart du temps dans des Moleskine. Finissant toujours ses œuvres, ne les laissant jamais inachevées, il remplissait les pages en exercice, en variations. Et quand les Moleskine manquaient, ce sont les serviettes qu'il utilisait en support. Il était déjà un musicien reconnu, au sein de son groupe Scrambled Eggs et au travers de performances solo pleines de technicité et de charisme. Guitariste, chanteur, parolier et musicien, Haber s'épanouissait officiellement dans la musique, gratifiant aussi ses repères nocturnes préférés de DJ sets aussi dansants qu'épiques. Mais voulant élargir son champ d'expression, il s'exerçait au dessin, de la seule manière qu'il connaisse : discrètement mais sérieusement.

Lorsque sa carrière de musicien soliste a pris une tournure internationale, il a alors multiplié les résidences à l'étranger et de nombreux concerts sur tous les continents. Il a commencé aussi à s'intéresser aux musiques de films, participant aux premiers travaux du duo Joreige-Hadjithomas (Prix Marcel Duchamp 2017), réalisant des ciné-concerts et composant des musiques de films pour les productions Abbout. Les images prenaient de plus en plus de place dans sa carrière, dans son inspiration. Il a participé aussi, pendant plusieurs années, à la tournée triomphale de la pièce Photo-Romance de Rabih Mroué et Lina Majdalani, jouant tous les soirs en direct l'habillage sonore de l'œuvre. Aventure humaine et artistique, cette tournée était pour lui un challenge énorme, mais fondateur. Car il touche à d'autres arts et apprend à mixer les formes avec le texte, la musique, le jeu ou la mise en scène.

Scrambled Eggs se dissout en 1998 après un concert homérique à Wickerpark, mais la musique occupe toujours la face émergée de son iceberg artistique, alors que le dessin, puis la photo, continuent à être perfectionnés. Ses amis ont beau le pousser à exposer, des galeristes ont beau lui proposer leurs cimaises, lui n'est pas satisfait et n'a pas encore la mise en scène recherchée. Il lance des projets musicaux aux noms toujours aussi improbables avec Mayaleen, the Johnny Kafta Vegetarian Orchestra, ou encore The Bunny Tylers, et enchaîne les collaborations avec des labels et musiciens étrangers. En assistant au concert qu'il donne dans une salle de concert, Reunion, avec des membres de Oiseaux Tempête, on se rend compte à quel point il maîtrise son art, à quel point il est respecté par les artistes internationaux et à quel point il navigue dans un univers qu'il continue à construire, mais qui est très personnel et compact, fort et mélancolique. Il y parle toujours d'amour et de destruction, mais il y met des couleurs, de l'humilité, de la sensualité, du respect et beaucoup de générosité. Car si on imagine plus facilement un poète solitaire, Haber, lui, est un humaniste, un ami, un membre d'une famille nombreuse, toute habillée de noir certes, mais profitant bien de la vie. Naviguant dans les milieux artistiques, jouissant de sa position de pionnier et de mentor, il est tout aussi à l'aise au milieu de ses amis « néo-conservateurs », comme il aime à les appeler. À la fois rocker et bien élevé.

 

Inferno
Il n'adore rien de plus que de recevoir sur les bancs de l'Inter à Mar Mikhaël, où il discute à bâtons rompus aussi bien de politique que d'amour, mais toujours en anglais, parce que « quand c'est important, ça se dit en anglais ». Et c'est en anglais que sa prose poétique prend toute son ampleur, à la fois reconnaissable immédiatement et inimitable, il a trouvé un rythme qui lui est propre, un vocabulaire qui le définit et un univers qui le décrit. C'est pendant ses collaborations avec le tandem Mroué/Majdalani et Tarek Atoui que l'idée de The Day Before (Farewell Letters to Ri) lui est venue. Cela faisait presque 3 ans que son histoire d'amour atomique coréenne avait pris forme. Et ça n'est qu'en septembre 2017 qu'il a décidé de sauter le pas, sur proposition du Beirut Art Residency.

Après avoir vécu une période intense de travail partout dans le monde, cette première exposition hors musique est la première pierre d'un édifice nouveau qui se découvrira au fil de l'année 2018, permettant à Haber de montrer l'étendue de son imagination, de ses qualités esthétiques, et la force et l'inspiration qu'il tire de ses rencontres, de ses collaborations. Charbel Haber se voit enfin en artiste complet et assume son univers dichotomique, d'amour, de séparation, de beauté et de destruction. Revêtant à l'occasion des robes de cardinal, il a fait sienne cette citation du cardinal des plaisirs, François-Joachim de Pierre de Bernis : « Si je préfère aller au ciel pour le climat, je préférerais l'enfer pour sa fréquentation. »
Par sa poésie, l'Inferno dantien de Haber devient notre paradis à nous.

 

1er juin 1978
Naissance à Beyrouth

1983
Découverte de Omar Khorshid
et de la guitare

1998
Scrambled Eggs

2003
Première collaboration artistique avec Lamia Joreige pour « Sleep »

2005
Bande originale de « Perfect Day »
de Khalil Joreige
et Joanna Hadjithomas

2009-2015
Tournée théâtrale avec Rabih Mroué et Lina Majdalani

26 octobre 2017
Première exposition solo à BAR.

Pendant longtemps, on tombait sur Charbel Haber à l'heure du café, au Torino à Gemmayzé, en train de dessiner. Équipé de son armée de feutres, il dessinait la plupart du temps dans des Moleskine. Finissant toujours ses œuvres, ne les laissant jamais inachevées, il remplissait les pages en exercice, en variations. Et quand les Moleskine manquaient, ce sont les serviettes qu'il utilisait...

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